Après avoir vu le film
Maigret de
Patrice Leconte, avec Depardieu dans le rôle du commissaire, j'ai ressenti le besoin de lire le roman dont il s'est inspiré, c'est à dire
Maigret et la jeune morte.
Leconte nous propose un film très réussi portant essentiellement sur les méthodes d'investigation de
Maigret laissant une part importante à la reconstitution de la psychologie des victimes, de leur environnement et du mobile de leur assassin.
Leconte a pris des risques en gommant de l'histoire de
Simenon tout ce qui ne pouvait être transcris au cinéma sans perdre le spectateur.
Il a gommé la mère de Louise, retirée à Monaco où elle passe son temps à jouer à la roulette du casino pour gagner sa matérielle, comme elle l'avoue à l'inspecteur Féret de Nice.
Il a gommé la guerre que se livre à distance Lognon, l'inspecteur Malgracieux et
Maigret qui dresse de lui un portrait sans concession :
« Techniquement, il n'avait commis aucune faute, et aucun cours de police n'apprend à se mettre dans la peau d'une jeune fille élevée à Nice, par une mère à moitié folle. »
Il a gommé aussi l'histoire de Mme Irène la couturière :
« - Quand a-t-elle été condamnée la dernière fois ?
Il y a quatre ans ou cinq ans. Elle a d'abord été danseuse, puis sous-maîtresse dans une maison au temps où celles-ci existaient encore. »
Il n'a retenu que l'atmosphère de la société française des années 1950, restitué de façon admirable, le mariage de Jeanine Arménieu, plein de magnificence, la lumière sombre qui émane du personnage de Louise, la duplicité des personnages qui l'entourent et en font une victime désignée.
Il a retenu essentiellement la figure de Jules
Maigret que Depardieu incarne à merveille en mettant au service de l'histoire son visage volontiers torturé et son cerveau hanté par la victime :
« C'était curieux d'ailleurs. Car, ce n'était pas à
l'assassin qu'il avait pensé, mais à la victime, c'était sur celle-ci seule que l'enquête avait porté. Maintenant enfin qu'on la connaissait un peu mieux, il allait être possible de se demander qui l'avait tuée. »
Le roman, comme le film d'ailleurs, est construit autour de la capacité de
Maigret à retracer le parcours de la victime :
« Il la voyait entrer au Maxim's comme il la voyait, un mois plus tôt se faufiler , au Roméo, parmi les invités de la noce »
« Maintenant, encore, tout en parlant, il l'imaginait cachée sous le lit, chez Mlle Poré, puis plus tard, se disputant avec Jeanine Arménieu dans leur logement de la rue Ponthieu. Il la suivait dans son logement de la rue d'Aboukir et devant la boutique du boulevard Magenta où elle travaillait en plein vent. »
Maigret est tellement dans son enquête qu'il en rêve la nuit :
« Il pensait toujours à Louise Laboine et aux autres personnages qui avaient surgi les uns après
les autres, sortant de l'anonymat pour lui faire une sorte de cortège. La seule différence avec tout à l'heure, c'est que ces personnages devenaient flous et grotesques, qu'à la fin ils s'embrouillaient, jouant un rôle qui n'était pas le leur. (…)
Maigret se crut en train de jouer aux échecs (…) prenait la reine pour le roi, les fous pour les cavaliers et ne savait plus où il avait placé ses tours (…) »
Enfin, il parvient à reconstituer le puzzle :
« Les vides, maintenant, étaient presque tous remplis. Il devenait possible de reconstituer l'histoire de la jeune fille depuis le moment où elle avait quitté sa mère, à Nice, jusqu'à la nuit où elle avait retrouvé Jeanine au Roméo. »
Une des enquêtes de
Maigret les plus abouties dans laquelle il est aussi question de conflits des générations, de difficultés des jeunes femmes à faire leur place dans la société sans passer par la case « homme », des tentatives de rébellion de Louise Laboine contre ceux et celles qui acceptent les règles du jeu.
« Quand elle était embauchée comme vendeuse quelque part, il lui arrivait toujours une mésaventure. Ou c'était le patron, ou un chef de rayon qui essayait de coucher avec elle.
Au lieu de leur faire comprendre adroitement que ce n'était pas son genre, elle montait sur ses grands chevaux, les giflait, ou s'en allait en claquant les portes. Une fois il y a eu des vols dans l'établissement et c'est elle qu'on a soupçonnée, alors qu'elle était sûrement innocente. »
Son seul tort a été de croiser des personnes convaincues que dans la société il y a des loups et des agneaux et que pour ne pas être un agneau, il vaut mieux être un loup.
Un grand
Maigret. Relu avec toujours autant de plaisir.