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EAN : 9782070341504
192 pages
Gallimard (30/11/2006)
3.33/5   27 notes
Résumé :

Quels sont les secrets qui unissent Nouchi, l'entraîneuse de dix-huit ans originaire de Vienne, et Bernard de Jonsac, ce Français d'une quarantaine d'années que tout le monde croit diplomate ? Quels mystères se cachent derrière leur errance aux parfums d'insouciance ? Partis d'Ankara, ils arrivent à Istanbul. Les nuits moites du Bosphore cachent des personnages qui se guettent, se haïssent, sympathisent parfois... Rien n... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le roman se déroule en Turquie, à Ankara et à Stamboul. Une remarque à faire dès le départ : à moins que Simenon, dont on sait pourtant le soin qu'il apportait aux détails, soit passé pour une fois complètement à côté, dans la Turquie laïque de Mustapha Kemal, on ne parlait guère religion et quand on le pouvait, on menait une vie de bâton de chaises. Les cabarets, night-clubs et autres établissements de ce genre prospéraient mais toutes les filles devaient avoir, mentionné sur leur passeport, le titre d'"artiste." Beaucoup restaient d'ailleurs en Turquie parce que leurs dix-sept ans tout neufs les empêchaient de passer en Syrie où la règle n'admettait que des "artistes" de dix-huit ans minimum.

Tout commence dans un établissement de ce genre où Bernard de Jonsac (particule authentique mais vie sociale pas très brillante en raison de son emploi de simple drogman - mot turc pour désigner les interprètes d'où vient aussi le fameux "truchement" du "Bourgeois Gentilhomme" - à l'Ambassade de France) a ses habitudes. Avec ses mille francs (de l'époque, c'est-à-dire des années trente) par mois et divers petits profits et bakchichs qu'il est d'usage d'obtenir dans sa position pourvu qu'on n'aille pas s'en vanter sur les toits, il mène une existence un peu routinière mais qui le satisfait. Jusqu'au soir où il rencontre Nouchi, une danseuse-prostituée de dix-sept ans et d'origine hongroise, bien décidée à "réussir" à Stamboul.

Ce qui frappe tout de suite le lecteur, c'est que, d'un côté comme de l'autre, ce n'est absolument pas le coup de foudre. C'est pire que ça : l'attirance, aimable certes mais où pointent toujours des arrière-pensées plus ou moins périlleuses à long terme, de la Fatalité. Tous deux se sentent attirés l'un par l'autre, pas tant charnellement ou spirituellement que parce qu'ils s'imaginent, à tort ou à raison, appartenir à la même espèce. Et s'il ne se passe vraiment rien de physique entre eux, cela ne les empêche pas de se mettre en ménage, de déménager à Constantinople, dans le quartier chic du Pera et de s'y faire très vite les relations nécessaires pour mener la vie à grandes guides.

Au début, les "amis" de Jonsac, qui se réunissent régulièrement dans un petit restaurant d'habitués tenu par Avrenos, ne plaisent guère à Nouchi. Leurs habitudes, boire du raki, fumer du hashchich les uns chez les autres, mettre en commun le peu d'argent qu'il leur reste à chaque fin de mois pour s'acheter alcool, drogue ou fille, tout ça, elle méprise. En revanche, elle, elle séduit très vite toute la bande. du coup, elle en profite pour élever d'un cran leurs ambitions à tous. Par l'un d'entre eux, elle rencontre un tel, puis un tel. Elle se fait inviter ici, et puis là. Dans cette société cosmopolite qui connaît pour la première fois, malgré la dictature, le droit de respirer et de vivre comme elle l'entend, il est étonnant de constater avec quelle facilité qui peut vous présenter à qui .

Nouchi couche-t-elle ? Oui. Elle couche avec tout le monde - à condition que cela serve ses intérêts - sauf avec Jonsac. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de devenir très légalement, bien que dans la plus stricte intimité de l'Etat-civil, Mme de Jonsac. Une fois ou deux, c'est vrai, elle se livre au devoir conjugal mais Nouchi, malgré (ou plutôt à cause des) nécessités de la vie et pour des raisons qu'elle expose au tout début du livre à son futur époux, n'apprécie pas du tout les hommes. Mais enfin, il faut bien faire avec puisque ce sont ces imbéciles qui, en général, détiennent le pouvoir ...

Tant que Jonsac ne sort pas trop du rang, à l'Ambassade, on tolère sa "passade" pour cette danseuse hongroise qu'on voit à toutes les fêtes en vue. Mais ne voilà-t-il pas que Nouchi, pourtant prudente par nature, songe à monter un coup financier en affirmant à de futurs "pigeons" que certaines hautes personnalités françaises et turques seraient d'accord pour y participer ? La chose est peut-être vraie, d'ailleurs car Nouchi est une femme habile. le problème, c'est que la nouvelle se répand trop vite et trop tôt ...

De son côté, Jonsac se demande s'il ne ferait pas mieux de renoncer à Nouchi et, après un divorce aussi discret que leur mariage, d'épouser Lélia Pastore, une jeune fille d'excellente famille. Chose curieuse - et qui marque à nouveau le lecteur - si le charme de Jonsac attire Lélia comme il a attiré Nouchi, pour le reste, c'est autre chose. Elle veut et en même temps, elle ne veut pas . Exaspéré, les nerfs à vif autant en raison de l'histoire du montage financier que de Nouchi qui a repris son jeu "je-me-donne /je-me-donne-plus-et-devine-pourquoi-pauvre-crétin", Jonsac, après avoir convaincu Lélia de lui rendre visite dans l'appartement conjugal, oublie très volontairement de se comporter en gentleman.

On peut même dire qu'il s'acharne de façon honteuse à se comporter comme un mufle odieux. Me fais-je bien comprendre ?

... Après l'acte, comme de juste, le ciel lui dégringole sur la tête mais en deux fois : tout d'abord, Nouchi était là, dissimulée dans un coin, depuis au moins une heure ; ensuite, cette apparition subite, élégante mais ironique, affole complètement Lélia qui se jette par la fenêtre ...

Lélia s'en sortira mais ne marchera plus désormais comme elle le faisait dans le passé. Son père, qui avait été si accueillant et en même temps si méfiant avec Jonsac, meurt d'une faiblesse du coeur. A l'Ambassade, on accepte de garder Jonsac mais on lui serre la vis.

Quant à notre couple-vedette ... Eh ! bien, Jonsac reste avec Nouchi. Qui tantôt se donne à lui. Tantôt se refuse. Et l'on ne sait toujours pas ce qui la guide. Pas plus qu'on ne comprend pourquoi cette femme intelligente, raffinée, douée en affaires et en diplomatie, reste avec cet homme faible, velléitaire, sympathique certes mais d'une mollesse à désespérer tout un empire de mollusques.

Jusqu'au bout, Nouchi reste une énigme dont l'ambition assurée, éclatante, ne parvient pas à éclairer le profond mystère. Elle fascine Simenon comme, d'ailleurs, le fascine un Jonsac cependant nettement plus faible. Plus exactement, sans doute est-ce le rapport de forces qu'ils entretiennent qui a inspiré l'auteur dans l'écriture de ce roman, l'un de ses plus curieux, parfaitement dessiné et paradoxalement d'un flou absolu. Il est important de souligner que les héros ne sont pas des Orientaux mais bel et bien des Occidentaux. Si l'Orient a déteint sur eux - quand on vit à Constantinople et en Turquie, il faut adapter son rythme de vie à celui du pays, n'est-il pas ? - c'est surtout question couleur locale. Pour le reste, tout au fond d'eux-mêmes, Nouchi et Jonsac demeurent avant tout deux personnages de Simenon : une touche de caméléon par-ci, un défaut flagrant de volonté par-là, des rêves de réussite à tous prix (Jonsac est pudique sur la question, certes, mais, sur ce plan, il est bien moins honnête que Nouchi), la volonté de paraître et d'être ce que l'on paraît, une passion profonde, incontrôlée et d'ailleurs incontrôlable, pour ce qui est tordu, glauque, malsain, voire nettement sordide et un amour réel de l'anticonformisme. Beaucoup de narcissisme dans les deux cas mais, à la fin, le lecteur se demande : ces deux-là pensent-ils "Moi d'abord" - comme tout narcissique-type - ou "Nous d'abord" ?

S'aiment-ils en fait ? Et en ont-il conscience ou alors ce sentiment, qu'ils ne comprennent pas, leur fait-il si honte qu'ils préfèrent ne pas se poser la question ? ...

Un roman qui ne plaira pas à tout le monde et où beaucoup ne verront rien qu'une intrigue cosmopolite sur fond d'escroquerie et d'évocation de la Turquie. de toutes façons, quand vous décidez de lire tout Simenon, vous n'avez qu'une alternative : ou vous décrochez très vite, ou vous devenez un inconditionnel même si, de temps en temps, votre honnêteté de lecteur vous fait attirer l'attention sur telle ou telle menue faiblesse. Mais si menue, vraiment ... qu'elle n'a, en fait, aucune importance.

Bonne lecture, en tous cas à ceux qui décideront de lire "Les Clients d'Avrenos" ! ;o)
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Fin des années 1920. Bernard de Jonsac est drogman (interprète) à l'Ambassade de France de Stamboul (Istanbul) en Turquie. Il passe ses soirées dans des restaurants et des appartements croisant la faune locale et expatriée. Il rencontre Nouchi, une jeune danseuse hongroise, qui se joue de lui, le voit comme un camarade. Jonsac s'amourache alors par dépit de Lélia, jeune bourgeoise fragile..
Les Clients d'Avrenos est un roman mineur de Simenon où son fameux style atmosphérique et direct n'a pas marché pour fois cette fois. Lu avec ennui.
Lien : https://puchkinalit.tumblr.c..
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Citation :
[...] ... Il se tut, figé, incapable d'articuler une syllabe de plus. Tourné vers le fond du salon, il venait d'apercevoir Nouchi debout devant le rideau vert, dans la pièce même. Ses yeux riaient, d'un rire nerveux, son nez était plus pointu que jamais tandis qu'elle regardait Jonsac avec une intensité telle qu'il baissa la tête.

Elle ne bougeait pas. Il y avait peut-être longtemps qu'elle était à la même place. Des courants d'air pénétraient dans la pièce et gonflaient les rideaux.

Ce fut le silence, sans doute, qui arracha Lélia à son accablement. Une main bougea d'abord, étonnée de se trouver sur un sein nu ; puis la jeune fille ouvrit les yeux et resta un moment à contempler le plafond.

Elle dut deviner quelque chose d'anormal, car elle se dressa tout à coup, regarda Jonsac, découvrit Nouchi, poussa un cri affreux. Jamais Jonsac n'avait entendu un être humain crier de la sorte.

- "Ne vous dérangez pas pour moi," prononça Nouchi en s'avançant vers la table où elle posa son sac à côté de celui de Lélia.

Elle était en tenue de ville, le chapeau sur la tête, et elle le retira comme le fait une femme qui rentre chez elle, en jetant un coup d'oeil au miroir.

- "Il y a un peu plus d'un quart d'heure que je suis ici mais je n'ai pas voulu troubler votre plaisir."

Jonsac se souvint sans le vouloir de ce qu'elle lui avait raconté, des soirs d'hiver à Vienne, alors qu'elle revenait de l'école avec sa soeur qui suivait les hommes derrière les palissades.

Nouchi les regardait alors et aujourd'hui elle avait regardé de même.

- "Vous prendrez bien une tasse de thé maintenant ?"

Jonsac n'osait pas lever les yeux sur Lélia mais elle paraissait quand même, un peu floue, dans le champ de son regard, à droite, devant l'écran glauque de la fenêtre. Elle ne bougeait pas. Il était impossible de savoir ce qu'elle pensait, de deviner ce qu'elle allait faire. Sa robe claire était froissée et le chignon qu'elle portait bas sur la nuque avait roulé dans le dos.

- "Tu as envoyé la bonne chercher des gâteaux ?"

On entendit un bruit étrange. Ce n'était pas un sanglot. Ce n'était pas un râle. Cela sortait pourtant du fond de la gorge, du fond de la poitrine, eût-on dit et, au même instant, Lélia s'arrachait à son immobilité, courait vers le balcon, s'accrochait un instant à la balustrade.

- "Lélia !' cria Jonsac en se précipitant.

Ce fut peut-être son geste qui provoqua ou qui hâta celui de la jeune fille. Prise de panique comme un gibier traqué, elle enjamba le garde-fou, si vite qu'on la vit à peine passer par dessus. ... [...]
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[...] ... Oui, quoi ? Qu'est-ce qu'il voulait ? Qu'est-ce qu'il pouvait espérer ? Il n'était pas l'aventurier qu'elle avait imaginé. C'était tout bonnement un petit hobereau qui, n'ayant pas de rentes suffisantes, avait essayé de vivre de sa connaissance des langues. A Berlin, il avait été attaché à une commission d'enquêtes. A Budapest, on l'avait nommé sous-directeur d'une affaire de machines agricoles qui s'était terminée par un désastre ...

Maintenant il était drogman et ...

Nouchi, les deux coudes sur la table, le menton dans les mains jointes, le regardait dans les yeux en souriant. Il perdait de plus en plus contenance. Il ne savait plus ce qu'il voulait dire. Du moins avait-il une certitude : il ne voulait plus être à nouveau seul.

- "Ecoute ..." commença-t-il.

- "Tu vas me faire une scène de jalousie ? Je te préviens tout de suite que j'entends rester libre de mes mouvements comme je te laisse libre des tiens. Par exemple, la jeune fille qui était ici tout à l'heure n'a pas cessé de t'observer ...

- Cela m'est égal.

- D'abord ce n'est pas vrai, puisque tu fais un effort pour ne pas sourire de contentement. Ensuite si c'était vrai, ce serait ridicule car je suis sûre qu'elle appartient à une famille riche.

- Et après ?

- Rien ! Qu'est-ce que tu as à me dire ?

- Je suis allé à la police ..."

Elle fronça le nez, releva les sourcils et ses prunelles se rapprochèrent. Depuis son enfance, n'avait-elle pas toujours eu affaire à la police ?

- "Que veulent-ils encore ?

- Tu n'es pas en règle.

- Je le sais. Ensuite ?

- Il y a un arrêté d'expulsion ..."

Et, soudain volubile, Jonsac prononça des phrases qu'il n'avait pas préparées, prit des décisions qu'il avait à peine prévues.

- "N'aie pas peur ... Voici ce que qui résulte de mon entrevue avec le chef des étrangers ... Si tu épouses quelqu'un qui a le droit de résider en Turquie, tu ..."

Il s'arrêta, tant le visage de Nouchi avait changé. Pour la première fois, il y lisait une émotion véritable. Ses mains se dénouèrent. Un bras passa par-dessus la table et une main toucha la main de Jonsac.

- "Tais-toi !"

Lui aussi était brusquement ému et peu lui importait le barman qui les regardait.

- "Demain, je commencerai les formalités ... Je ne me suis pas encore renseigné, mais cela doit être facile ..." ... [...]
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