** Petite chronique dans le cadre de Masse Critique Babelio mars 2013 ; je remercie donc le site, et les Éditions les Escales **
Ismet Prcic est né en Bosnie en 1977. Il a donc grandi dans une ambiance tendue des communautés, jusqu'à l'éclatement de la guerre, en 1990, donc l'année de ses 13 ans, en pleine adolescence. Ce livre, sorte de 'roman autobiographique', ou d' 'autofiction', retrace son histoire, celle de son pays déchiré, son exode vers les Etats-Unis en 1996 (à 19 ans), et son déchirement, à lui aussi, de ce départ dans un nouveau pays, si 'loin' du sien, dans tous les sens du terme. Ses souvenirs, angoisses, peurs, pseudo-souvenirs, font la 'matière' de ce livre, à la construction des plus intéressantes : mélange de ses journaux durant ses premières années aux Etats-Unis, et de diverses narrations : événements, cauchemars, fantasmes...
Voilà, en quelques mots, ce qui pourrait être, 'objectivement', la forme et le fond de cet ouvrage.
Car, ce qui s'en dégage, à la lecture, est une explosion de sentiments, sensations, émotions, et une grande pertinence dans le récit. Tout est signe d'intelligence et de sensibilité, et j'ai été époustouflée par tant de maîtrise quant à ses 'capacités' à transmettre sa propre histoire, pour que justement, nous ne soyons pas seulement des lecteurs passifs d'une histoire qui nous serait étrangère', mais que nous soyons attrapés, happés, que nous soyons nous aussi, les acteurs ou témoins 'impliqués' dans cette histoire personnelle, et dans cette grande Histoire, celle que nous avons pu suivre, selon notre âge d'aujourd'hui, via les médias durant les 1990's, sans bien tout saisir des affrontements et des enjeux de cette guerre.
J'étais juste un peu plus âgée que lui, encore au lycée à l'époque, et moi non plus je ne saisissais pas grand chose, à la fois si 'étrangère' à cette 'énième guerre' oserais-je dire, sans cynisme aucun, mais signe de mon effarement, et à la fois perturbée que seulement quelques kilomètres nous en séparent... Un de mes amis un peu plus âgé que moi est parti quelque temps plus tard en 'Casque Bleu' au milieu du conflit. Cela devenait donc pour moi une guerre si concrète, bien que je ne pouvais que la subir passivement face à mon écran de télé (...). Cet ami 'Casque Bleu' est revenu complètement métamorphosé de ses mois en Bosnie ; j'ignore s'il a vu autant d'horreurs que ce livre ou d'autres supports relatent, mais lorsqu'il est revenu en France, il a rompu avec tous ses proches d' 'avant'....... Quelques années plus tard, en 2000, je n'ai pu que pleurer devant les 3 heures de l'époustouflant téléfilm anglais de Peter Kosminsky ''Warriors, l'impossible mission'' (*), celle des Casques Bleus au milieu de ce conflit, qui m'avait laissée bouleversée et transie durant plusieurs jours...
Ce livre d'
Ismet Prcic nous raconte donc son départ de Bosnie, grâce à son implication dans une troupe de théâtre, son exil, ses années aux USA, où il vit toujours, la culpabilité de sa 'fuite', de l'abandon de son pays en guerre, culpabilité qui se faufile tout au long du livre à travers le personnage de Mustafa, son espèce de 'double' qui lui est resté au pays et a été soldat.
Pour moi, ce livre est une véritable 'oeuvre' à double égard :
- une oeuvre littéraire par sa construction foisonnante et son écriture riche et singulière
- une oeuvre 'humaine' dans tous les sens de l'adjectif : 'humaine' car sensible et généreuse ; 'humaine' car son cri et ses questionnements résonnent en chacun, par notre commune Humanité.
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Note :
(*) : ce téléfilm stupéfiant, qui a d'ailleurs reçu le FIPA d'Or en 2000, est disponible en ligne en VO anglaise, en deux parties, si vous faites une recherche vidéo par mots-clés : "Ratnici - Warriors".