Un coup de coeur, une pépite ! Ma première impression au bout de quelques pages étaient d'être dans un film tourné en un long travelling qui passe d'un ou deux enfants dans un parc au vieux monsieur assis sur un banc puis qui suit un passant… selon ce qu'a happé la caméra à l'improviste. Au bout de quelques pages à cette impression visuelle s'est ajoutée la musique de la flûte de M Berg à sa fenêtre, dont on suit aussi les auditeurs occasionnels. Et nous flottons dans l'air avec la musique, passant ainsi des uns aux autres, le temps d'une soirée de fin d'été. Après avoir lu la postface j'ai compris que mon impression était bonne, Friedo Lampe, pendant qu'il écrivait, décrivait son livre comme « de petites scènes, défilant comme dans un film, entrelaçant des vies ». Il y a semble-t-il (d'après la postface) 38 personnages (et deux chiens) mais à aucun moment cela ne pose problème, même si on n'a pas mémorisé les prénoms, chaque personnage est suffisamment caractérisé et reconnaissable. S'il y a une multiplicité de petites actions, des bribes de vie saisies au vol, il y a une unité de temps très réduite, quelques heures d'une soirée, et une certaine unité de lieu, quelques rues d'un quartier de Brême, près du port. L'atmosphère de cette soirée et des lieux est remarquablement rendue, d'une poésie incroyable, qui contraste avec les scènes saisies parfois assez crues ou en tout cas terre à terre. Et toutes ces vies sont liées, par ce moment, par ce lieu, par les sons entendus, même si ces gens ne se connaissent guère. Je crois bien n'avoir jamais lu un texte aussi fluide. Quelques thèmes sont plus présents : la mort (un homme meurt dans son lit, beaucoup de personnages sont veufs), et le temps aussi.
« Le jour était passé, la nuit était venue, une nuit quelconque, une des innombrables, et qui jamais ne reviendrait semblable. Car le dessin qu'elle composait présentement avec la vie ne se reproduirait jamais ; et qui ne la vivait pas, rêvant ou éveillé, qui la laissait échapper, l'avait perdue pour toujours, et sa vie se trouvait d'un peu, d'un rien, appauvrie. »
Difficile de trouver plus beau texte pour inciter à vivre pleinement le moment présent !
En décembre 1933, après l'interdiction du roman, Friedo Lampe a écrit sur un exemplaire :
"Mon enfant, à sa naissance rouge et fort,
Après quatre semaines était mort.
Il aimait l'air tiède, libre et weich [tendre]
Et ne pouvait respirer au Troisième Reich.
Mais nous voulons avoir patience et espérer.
Peut-être le verrons-nous un jour ressusciter.
Le saisi"
Je souhaite de tout coeur que cette réédition récente permette enfin à
Au bord de la nuit de rencontrer des lecteurs.