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EAN : 9782707176806
190 pages
La Découverte (26/09/2013)
4.3/5   10 notes
Résumé :
Contrairement à la légende colportée dans les grands médias, le terme « islamophobie » n'a pas été inventé par les mollahs iraniens : il est apparu en France au début du XXe siècle, en pleine période coloniale, à une époque où s'exprimaient déjà de violents discours antimusulmans... Alors que l'hostilité à l'encontre des musulmans se traduit presque quotidiennement par des discours stigmatisants, des pratiques discriminatoires ou des agressions physiques, Abdellali ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Rejeter une supposée « essence » religieuse des faits observés et s'interroger sur le sens du recours à la référence musulmane par les acteurs sociaux

En introduction, Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed soulignent la nécessité d'une « sociologie de l'islamophobie » et la responsabilité de certain-e-s littérateur-e-s et médias, « l'Islamophobie de plume », dans la fabrication d'un « problème musulman », du « problème de l'immigration ». Sur ce sujet, la mise en miroir avec le livre de Gérard Noiriel : Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe – XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Fayard 2007, fait plus que confirmer leurs propositions.

Les auteurs interrogent : « Comment est-on arrivé à l'instauration d'un régime juridique d'exception, c'est à dire un régime juridique dérogatoire du droit commun, à l'encontre de tout ou partie des musulmans ? ». A noter qu'il conviendrait d'étudier attentivement les régimes d'exceptions pesant sur les Rroms et sur les gens du voyage, et probablement sur d'autres catégories d'habitant-e-s, en particulier dans les « confettis de l'empire », sans oublier le statut religieux de l'Alsace et de la Moselle, pour trouver d'autre régimes d'exception consubstantiels aux règles de droit.

« L'objectif général de ce livre est d'apporter des éléments de réponse et de suggérer des pistes de réflexions pour saisir l'islamophobie comme un « fait social total », c'est-à-dire comme un phénomène social qui engage la « totalité de la société et de ses institutions » politiques, administratives, juridiques, économiques, médiatiques et intellectuelles ».

Les auteurs discutent, de manière très convaincante, des arguments avancés sur le terme « islamophobie ». Entre autres, ils indiquent que « le suffixe « phobie » n'est sûrement pas le plus approprié d'un point de vue scientifique », que l'islamophobie ne peut se réduire à « un nouvel avatar du racisme antiarabe ». le parallèle avec le terme, tout aussi inadéquat, d'antisémitisme, tel qu'il s'est construit dans les années 20 du siècle dernier, éclaire la discussion. « Il n'existe pas de concept parfait permettant designer et d'englober des phénomènes nécessairement complexes ». Ils retiennent que l'usage du terme peut être un « outil de censure limitant la liberté d'expression, notamment la critique des religions », mais il s'agit, à leurs yeux, d'une critique concernant plus les « usages » que le « concept » même.

« Ainsi, comme tous les termes désignant d'autres formes d'« altérophobie », la notion d'islamophobie est imparfaite et instrumentalisable, mais nécessaire afin de nommer et d'analyser un phénomène aujourd'hui mesuré et exploré par les sciences sociales, combattu par l'action militante et pris au sérieux par la plupart des organisations internationales et gouvernements occidentaux ; mettre un mot sur une réalité sociale permet de faire reconnaître son existence ; à l'inverse, ne pas la nommer revient finalement à l'occulter socialement et politiquement ».

Il convient donc de proposer une « définition opératoire de l'islamophobie ». Les auteurs considèrent que : « l'islamophobie correspond au processus social complexe de racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l'appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane, dont les modalités sont variables en fonction des contextes nationaux et des périodes historiques ». En « interaction » avec d'autres rapports sociaux, ce processus est donc nécessairement genré et j'ajouterai « classiste ».

L'émergence de l'islamophobie est « un des avatars du refus de l'égalité ». Son « enjeu central est bien la légitimité de la présence musulmane sur le territoire national, tout comme l'antisémitisme des XIXe et XXe siècles ». Et si les auteurs ont raison d'indiquer que ce n'est pas le cas pour toutes les « minorités », ils ont tort de considérer les femmes comme une minorité.

Il importe donc à la fois d'analyser la genèse et les effets de l'islamophobie, son déni comme nouvelle forme de racisme

La première partie du livre est consacrée aux « Réalités de l'islamophobie ».

Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed analysent, entre autres, l'islamophobie comme épreuve sociale, les victimes et la surreprésentation des femmes dans les victimes, les « ressorts de l'altérisation et de l'infériorisation d'autrui », la disqualification de la pratique religieuse, les dimensions sexuées dont les injonctions au dévoilement, l'épreuve intime du rejet, « l'impossibilité d'accéder à l'indifférence publique »…

« La discrimination se présente comme un ensemble de contraintes diffuses, rarement explicites et brutales, qui amènent les victimes à développer de multiples stratégies, à « faire avec », c'est-à-dire à « construire une expérience qui leur permette non seulement de vivre le mieux possible, mais aussi de ne jamais se laisser assigner une identité qui les invalide » (Richard Millet) ».

Les comportements de la « majorité » sont invisibilisés, seuls apparaissent en contraste, ceux des « minoritaires », entraînant toujours des interrogations sur le soi et l'intime, sur ces différences sensibles créées par le fait « majoritaire ». Ces comportements ne devraient être abordés que comme des « variations » sociales dont les significations ne sont jamais réductibles ni à une (seule) causalité ni à un groupe social déterminé.

Discrimination d'un coté et sur-interprétation essentialiste et politique de l'autre, « Des choix de vie a priori anodins ou banals ne le sont plus dans un contexte de surinterprétation, de très forte réactivité face aux moindres signes d'appartenance religieuse et d'amalgames assimilant l'islam pratiqué, radicalisme et terrorisme ». Il faut souligner que la liaison religion- fondamentalisme concerne publiquement et majoritairement l'islam, silence le plus souvent sur le fondamentalisme des sectes évangélistes, le mouvement pentecôtiste africain, les orthodoxies chrétiennes et leurs combats contre le droit à la contraception, à l'avortement, etc., ou les orthodoxies juives, les femmes à tête rasée ou les manifestations festives publiques des Loubavitch…

Les auteurs parlent aussi des différentes « opinions » islamophobes, de leur prégnance et de leur progression, des amalgames entre nationalité, culture, religiosité et référence à l'ethnicité, de la visibilité musulmane dans la vie collective, des opinions négatives, des actes discriminatoires. « La thématique de l'islamophobie, contrairement aux questions entourant l'exercice du culte, symbolise cette exposition collective au rejet social et participe du coup à la construction de la condition musulmane ».

Il s'agit toujours d'attributions a-historiques, d'essentialisation, d'un groupe social fantasmatiquement uniformisé par l'appartenance réelle ou supposée de ses membres à l'islam, de la non prise en compte de l'ensemble des rapports sociaux dont ceux de classe, de l'invention, « scientifiquement infondée et politiquement dangereuse », de « seuil de tolérance », de la création d'un eux/elles différent d'un « nous » aussi peu délimité que fondé socialement.

Dans la seconde partie, Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, présentent l'histoire du concept d'islamophobie. Les auteurs analysent l'orientalisme dominant, le rapport Runnymede et ses lacunes, les approches à vocation scientifique du concept… Ils font « l'hypothèse que l'islamophobie est la conséquence de la construction d'un « problème musulman », dont la « solution » réside dans la discipline des corps, des esprits, des (présumé-e-s) musulman-e-s ».

Troisième partie : La construction du « problème musulman ».

Domine en France une certaine conception de la République, de l'unité nationale, de l'assimilation, « une norme de l'homogénéité nationale, supposée être remise en cause par l'émergence d'une religiosité musulmane chez les immigrés postcoloniaux et leurs descendants, dont le respect consiste à instaurer une nouvelle discipline laïque ». Cette construction historique, me semble-t-il, est à la fois, la perpétuation d'un mythe de l'exceptionalité française (voir, par exemple, Christine Delphy : Un universalisme particulier. Féminisme et exception française (1980-2010), Syllepse 2010,ou Suzanne Citron : le mythe national, L'histoire de France revisitée, Éditions de l'Atelier 2008,et une lecture falsifiée de la laïcité, (séparation des « Églises » de l'État et sanctuarisation de la liberté de conscience), « d'instrument de reconnaissance de tous les cultes et d'émancipation des individus, la laïcité se transforme peu à peu en marqueur identitaire et en outil d'exclusion » (voir par exemple Christine Delphy et Raphael Liogier)
Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed reviennent sur la grèves de l'automobile et la « disqualification des ouvriers immigrés », les débats autour de « la maîtrise des flux migratoires » (mais de la libre circulation des capitaux et des marchandises), l'invention de la notion d'« enfants d'immigrés » en lecture racialisante et restrictive du droit du sol, les co-constructions du « problème de l'immigration » et du « problème musulman », l'attribution à l'islam, et à cette seule religion, d'un « ensemble d'intentions et de caractères négatives », l'extension de cette spécification de l'islam à « l'ensemble des populations supposées musulmanes », les visions orientalistes « qui rendrait inassimilables » les musulman-e-s, « Cette « légende » a été construite par le savoir orientaliste qui tend à déshistoriciser et essentialiser l'islam et les musulmans, rendant impensables les nombreuses expériences passées et présentes, d'État séculier ou d'« islam républicain » ». Et pour autant que la question doive être posée, qu'en est-il réellement des pratiques religieuses musulmanes ?

Des débats dans la « Commission sur la nationalité » émerge la construction du « problème musulman », sans oublier l'érosion du droit du sol. Les auteurs insistent, entre autres, sur les « (mé)connaissances de l'islam », les logiques médiatiques de stigmatisation, les visions des « savants, demi-savants et experts » souvent auto-proclamé-e-s, les constructions d'une « politique fiction »…

Certain-ne-s font de l'islamophobie un drapeau, une cause, visent « explicitement ou implicitement à appliquer un régime d'exception, c'est à dire un régime juridique dérogatoire du droit commun, à l'encontre de l'ensemble ou parties des musulmans, français ou étrangers, en tant que groupe social ». Les auteurs proposent d'analyser « les usages politiques de la question musulmane, qui doivent être regardés à l'aune des règles de fonctionnement du champ politique et de l'espace des mobilisations ».

Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed poursuivent avec l'extension de la « discrimination légale par capillarité », l'étude des reformulations de « l'opposition sphère privée/sphère publique », les suspicions à l'égard des élèves musulman-e-s, l'injonction à l'intégration, le dépouillement des différentes dimensions « identitaires » jugées non-conformes, l'extension du domaine de la lutte laïque (alors que le régime des cultes en Alsace-Moselle ne semble pas poser de problèmes au principe de la laïcité !). Ils indiquent « une volonté de discipline des corps et des esprits ».

La quatrième partie est consacrée à la « formation d'une archive antimusulmane ». Outre, une riche partie sur « les constructions et circulations des représentations européennes de l'islam et des musulmans », j'ai particulièrement apprécié le chapitre « Antisémitisme et islamophobie ». Les auteurs en soulignent les formes similaires, en écartant à juste titre l'histoire lacrymale (lire par exemple : Esther Benbassa : La souffrance comme identité, Fayard 2007)de la vision sioniste de l'antisémitisme.

Hier, mise en cause de la loyauté des juifs et juives, aujourd'hui des musulman-e-s, mais évidemment la question ne se pose pas pour les autres, comme les chrétien-ne-s… Pour les un-e-s, des possibles attachements multiples, pour les autres racisé-e-s une suspicion de non-loyauté. Cette fantasmatique « loyauté » ne semble pas s'appliquer, par ailleurs, aux couches sociales dirigeantes, ni à leur expatriation des profits, ni à leurs montages fiscaux, ni à leurs collaborations avec des puissances dites étrangères ou supra-nationales…). D'ailleurs de quelle « loyauté » parle-t-on ?, loyauté à la France colonisatrice, à « la fille aînée de l'église », au gouvernement qui rafle les juifs et les juives ou les rroms pour les nazis, qui refuse l'autodétermination des colonisé-e-s, qui soutient des dictateurs à travers le monde, intervient militairement dans « son pré carré » des anciennes colonies. Je préfère à cette « loyauté » le « devoir d'insolence » (Pétition les inRocKs : Contre le racisme. Devoir d'insolence. Soutien à Saïd Bouamama et à Saïdou de ZEP), la résistance des « terroristes » contre le gouvernement de Vichy ou l'aide aux insurgé-e-s algériens des années 50 contre l'État français.

« En résumé, les discours antisémites et islamophobes ont plusieurs points communs : l'essentialisation, la déshumanisation, l'interprétation abusive des impératifs religieux, les théories conspirationnistes, le fantasme de l'islamisation/judaïsation, l'idée d'une « communauté parallèle », d'« État dans l'État », de menaces intérieure et extérieure, l'appartenance religieuse comme identification totale explicative du comportement individuel, etc. ». Les auteurs parlent aussi des points différents fantasmés : auto-agrégation et conquête du pouvoir politique et financier pour les uns, refus de se conforter aux valeurs libérales et laïques pour les autres. Des inventions racisantes, des fantasmes, des foutaises… mais aux effets matériels violents pour les populations concernées. Les auteurs reviennent aussi sur « l'hypothèse sémite », invention « savante », le remplacement du racisme biologique par le racisme culturel, les réactions des « majoritaires » à l'intégration d'une « minorité », le refus de l'égalité, l'expérience coloniale, le clivage national/étranger. « Telle est, nous semble-t-il, la grande différence entre la critique anticléricale de la religion et le discours antisémite ou islamophobe : alors que, pour la première, l'enjeu est la lutte contre les institutions et les dogmes religieux, pour les seconds, l'enjeu est la légitimité de la présence des juifs et des musulmans sur un territoire ».

La dernière partie est titrée « L'islamophobie entre déni et reconnaissance »

Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed analysent entre autres, les dénis, la discrimination « religieuse », la spirale des discriminations, le soupçon d'intégrisme, la division des mouvements antiracistes… et finissent par une partie sur « la lutte pour la reconnaissance de l'islamophobie ».

Les auteurs soulignent la différences entre les deux notions (« racisme anti-musulman » et « islamophobie ») : « Elles différent par leur surface sémantique et politique : le mot « islamophobie » autorise une appréhension élargie du rejet de l'islam, contrairement au terme « racisme antimusulman » qui pose d'emblée l'interdépendance entre le racial et le religieux, la prééminence du premier sur le second et, du coup, tend à le restreindre à un phénomène de xénophobie ». Cela me semble aujourd'hui convaincant.

Le vocabulaire sociologique utilisé ne me paraît pas toujours adéquat, en particulier l'insistance sur la « violence symbolique » réductrice des multiples formes que prend la violence sociale sur les esprit, les corps, les individu-e-s et les groupes sociaux. Certaines analyses mériteraient d'être approfondies, enrichies, par des études « statistiques », comme le souhaitent les auteurs. Les « fonctionnalités politiques » de l'islamophobie, les instrumentalisations des « valeurs religieuses », en cette période crise, devraient être plus largement discutées.

Lutter contre l'islamophobie n'est pas qu'un combat idéologique. Il importe de modifier les conditions matérielles et idéelles dans la société. de ce point de vue, quelques mesures pourraient être rapidement concrétisées : extension des jours fériés aux principales fêtes religieuses et immédiatement fermeture des écoles pour Kipour et l'Aïd, apprentissage de l'arabe (et du mandarin) dans les écoles publiques pour les populations le souhaitant, accommodements raisonnables assurant la liberté de pratiquer sa religion, y compris sur les lieux de travail (salle de prière), mise en place d'un observatoire de l'islamophobie, politiques de « positive action » afin de construire l'égalité réelle contre les inégalités, respect du droit à l'école et au travail pour toutes et tous, non limité par les choix vestimentaires, abrogation des lois basées sur une conception falsifiée de la laïcité (en regard de la loi de 1905)…

C'est aussi une des conditions afin de détruire les « nous » artificiels qui divisent le « prolétariat élargi » et met à la remorque de nos « adversaires sociaux », une partie des forces sociales nécessaires pour construire une nouvelle hégémonie porteuse d'alternative radicale à notre vieux monde pourrissant.

Un livre essentiel, des analyses non simplificatrices, qui devrait permettre de combattre ensemble le racisme sy
Lien : http://entreleslignesentrele..
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Je ne suis pas du tout féru de sociologie. Pourtant j'ai été motivé pour découvrir ce travail de Abdellali Hajjat et de Marwan Mohammed. Il aborde un sujet très délicat, voire polémique, qui a un effet de division au sein de la nation. Si l'on excepte les affirmations outrancières, on constate qu'on ne sait presque rien de sérieux sur ce sujet. Un certain nombre de faits nous échappent par manque d'informations ou par un "effet d'angle mort" subi passivement. Entre autres entorses au sacro-sainte principe de la laïcité, le statut spécial de la région Alsace-Lorraine est un "blind spot" ignoré par la plupart des Français.
J'ai d'abord envisagé de faire une synthèse sur ce livre. Mais – une fois n'est pas coutume – j'ai d'abord lu un autre commentaire, celui qui est signé « de », qui résume tout d'une manière fidèle et exhaustive. Je ne vais donc pas revenir là-dessus. Je vais donner un point de vue personnel qui n'engage que moi - un citoyen français comme les autres.

D'abord, le terme d'islamophobie est manifestement mal choisi. le rejet des « Musulmans » est multifactoriel. Il se trouve que ces personnes habitant en France se distinguent des "Français de souche" (comme on dit) non seulement par leur religion, mais aussi par leur "faciès", leur condition économique, leur culture et éventuellement leur langue. Il est difficile de séparer ces éléments; c'est l'ensemble qui les distingue et peut susciter l'opposition. Je tiens à souligner ici que les auteurs ont, par avance, voulu répondre à cette critique. Mais je n'ai pas été complètement convaincu par leur argumentation.
A mes yeux, c'est l'altérité (en général) de ces personnes qui provoque les réactions racistes et xénophobes. le réflexe primaire est « Nous sommes chez nous, donc nous avons le droit d'imposer la norme »: un réflexe de rapport de forces. de ce point de vue, les wahhabites qui ont pris le contrôle de l'Arabie Saoudite ne font pas autre chose: dans ce pays il n'y a de liberté de culte et de comportement ni pour le sujets du roi, ni pour les étrangers. (Ceci, naturellement, ne constitue pas une justification des comportements dénoncés par les auteurs du livre)
Si maintenant on se focalise uniquement sur la religion, l'islam lui-même ne me semble pas la cause principale du rejet qui est observé ici. A mon avis, c'est essentiellement la VISIBILITE de la religion musulmane qui pose problème à certains. Si elle se cantonnait à l'intérieur de la sphère privée, elle paraitrait sans doute moins irritante et moins dangereuse aux yeux des « islamophobes ». Or, l'Islam n'a pas vraiment séparé la part privée et la part publique de l'engagement religieux. Il se trouve que, au contraire, le christianisme fait (actuellement) cette distinction; mais elle ne la faisait pas au Moyen-Age, il faut le noter.
Ainsi, je souscris à un point de vue souvent mis en avant par d'autres que moi: l'Islam aurait intérêt à faire le plus tôt possible son aggiornamento – sans se renier pour autant. Est-ce trop demander ?
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Un essai dense et bien sourcé explorant la pluralité de l'islamophobie ainsi que ses origines. Les auteurs nous permettent de comprendre comment s'est construit un consensus national sur l'idée que l'islam est incompatible avec la république française laïque et pose problème.

Ils considèrent que l'islamophobie est un racisme culturel correspondant à la « subalternisation et l'infériorisation de l'islam » produites par le système monde moderne/colonial, occidentalisé, christiano-centré, capitaliste et patriarcal.

En effet, les discours ne portent plus sur les marqueurs traditionnels de la race, mais sur des marqueurs nouveaux, moins protégés juridiquement et fondés sur la différence culturelle et religieuse. Contrairement au racisme « traditionnel », ce discours néoraciste est beaucoup moins explicite.

Les divers champs sociaux analysés font la richesse de ce livre et nous permettent de les repenser. J'ai particulièrement aimer les passages sur :
-les médias (et leur besoin constant de faits divers, dont le stock est essentiellement fourni par le gouvernement, les forces de police et la Justice -quel hasard-)
-l'imbrication entre la construction du « problème de l'immigration » et la construction du « problème musulman »
-les façons dont se manifeste l'islamophobie dans les différents partis politiques et mouvements sociaux (féminisme, anti-racisme)
-la laïcité comme moyen de discipliner les corps et les esprits
-les similarités entre l'antisémitisme et l'islamophobie
-l'aspect sexiste de l'islamophobie

Un livre essentiel pour repenser notre société !
Et mention spéciale pour avoir parfois utilisé l'écriture inclusive.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Cependant, la limite entre reconnaissance et dénégation est ténue : on peut tout à fait reconnaître que le racisme existe sans se donner les moyens de lutter contre celui-ci, et occulter les racines profondes du racisme structurel. En effet, alors que le gouvernement français semble reconnaître l'islamophobie, sa politique sécuritaire participe grandement à la suspicion généralisée à l'encontre des présumés musulmans : appels demandant aux musulmans de se « désolidariser » des combattants de l'OEI, arsenal juridique sur l'apologie du terrorisme, extension des pouvoirs des services de police, mise en place de dispositifs contre la « radicalisation » à l'école publique et les services sociaux, instauration de l'état d'urgence (perquisitions et assignations à résidence dont la majorité semblent abusives). Ainsi, c'est le cadrage néolaïque qui s'est imposé pour interpréter la violence politique : au lieu de comprendre ses ressorts sociaux et politiques, elle est analysée comme les symptômes d'une « maladie de l'Islam », selon l'expression d'Abdelwahab Medded et d'Abdenour Bidar, dont la guérison résiderait dans l'administration d'un traitement de choc composé de cours de laïcité. Ce cadrage néolaïque est une forme particulièrement puissante de culturalisme, qui occulte les véritables sources de la violence politique : la politique étrangère des puissances de l'OTAN, et les inégalités sociales et raciales des sociétés occidentales.
De fait, la « communauté musulmane » est perçue comme un ensemble homogène et le terreau de la violence politique. Les mesures prises après les tueries de 2015 s'apparentent à des formes de punition collectives dans la mesure où cet ensemble d'outils juridiques et administratifs contribue à identifier et confondre toute forme de religiosité musulmane rigoriste ou simplement visible comme un « indicateur de radicalisation ». Le concept de « radicalisation », forgé en sociologie pour rendre compte de la polarisation et de l'élévation du niveau de violence (symbolique ou physique) dans les conflits politiques, est détourné de son sens initial par les marchands de l'expertise ès islam et terrorisme. […]
Plus largement, le mélange de préjugés et de référentiels à la scientificité plus que douteuse fait que le port du hijab, de la barbe, de robes longues, de bandeaux, le fait de prier, lire le Coran, devenir pointilleux sur l'alimentation, faire le jeûne, etc. sont perçus par de nombreux acteurs institutionnels, public ou privé, comme des signes avant-coureurs de la « radicalisation » et de la violence politique. Cette expertise contribue grandement à une confusion entre religiosité intense et menace sécuritaire.
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Le nouveau souffle de l'extrême droite et des mouvements nationalistes, en France comme dans le reste de l'Europe, doit pourtant beaucoup à l'apparition de nouvelles opportunités politique et électorale que représente la construction du "problème musulman". L'islamophobie est en quelque sorte une "aubaine" pour l'extrême droite : elle lui permet de dépasser les limites inhérentes à une xénophobie et un racisme brutal, politiquement démonétisés, et de tenter de s'affranchir d'un antisémitisme fort impopulaire et puissamment combattu, par une conversion à la lutte contre la "menace islamique", le "communautarisme" ou "l'islamisation", sous prétexte de défendre la nation et de sauvegarder des valeurs partagées par l'ensemble de l’échiquier politique, comme la laïcité ou l'égalité des sexes. L'islamophobie permet ainsi à l'extrême droite de se "raccrocher" idéologiquement à la rhétorique "acceptable", "respectable", voire "progressiste", que diffusent les "élites" politiques et médiatiques françaises, au nom de la lutte contre "l'intégrisme" et le "terrorisme". Ces amalgames s'articulent à un discours et une pensée de la conspiration et du complot entretenus par des personnalités situées au centre du champ politico-administratif, académique, médiatique ou de l'appareil policier.
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L’objectif général de ce livre est d’apporter des éléments de réponse et de suggérer des pistes de réflexions pour saisir l’islamophobie comme un « fait social total », c’est-à-dire comme un phénomène social qui engage la « totalité de la société et de ses institutions » politiques, administratives, juridiques, économiques, médiatiques et intellectuelles
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Telle est, nous semble-t-il, la grande différence entre la critique anticléricale de la religion et le discours antisémite ou islamophobe : alors que, pour la première, l’enjeu est la lutte contre les institutions et les dogmes religieux, pour les seconds, l’enjeu est la légitimité de la présence des juifs et des musulmans sur un territoire
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En résumé, les discours antisémites et islamophobes ont plusieurs points communs : l’essentialisation, la déshumanisation, l’interprétation abusive des impératifs religieux, les théories conspirationnistes, le fantasme de l’islamisation/judaïsation, l’idée d’une « communauté parallèle », d’« État dans l’État », de menaces intérieure et extérieure, l’appartenance religieuse comme identification totale explicative du comportement individuel, etc.
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Vidéo de Abdellali Hajjat
Abdellali Hajjat et la Marche pour l'égalité .La Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 fête ses trente ans. Dans un livre à paraître aux éditions Amsterdam, le sociologue Abdellali Hajjat rappelle le contexte d'années marquées par les violences à l'encontre des Maghrébins et la montée du FN. Il fait de cet événement une résurgence de mai 1968, représentant un fort moment de socialisation de jeunes nés en France mais s'y sentant discriminés. Il analyse la manière dont les médias l'ont interprété comme le symbole de l'intégration réussie de la génération des «beurs laïcs», par opposition à celle, venue plus tard, des musulmans taxés de communautarisme.
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