Chroniques terrestres

Voici, devant nos yeux, la route de la vie qui se perd à l'horizon, on la dirait interminable, cette route jalonnée de promesses enchanteresses ; et eux, les jeunes qui venaient de se mettre en route, ils jetaient un coup d'œil là-bas, à l'horizon, là où ceux qui étaient nés avant eux, bien avant eux, avançaient lentement, un peu courbés, à chaque pas plus lents, plus courbés et fatigués au fur et à mesure qu'ils approchaient de l'ultime limite.
À la frontière, se trouvaient les vieux, ceux qui allaient les premiers franchir le seuil et enfin savoir : par l'entrebâillement de la porte redoutée, des rais de ténèbres déjà venaient jusqu'à eux, les enveloppaient, commençaient à les initier au plus grand des mystères, leur donnant ainsi sagesse, dignité, noblesse. Et à leur passage, on se découvrait.

Il existe cependant une loi physique, ou psychique, que la science pour le moment n'a pas prise en compte et dont nous pouvons voir, autour de nous, d'innombrables exemples : si un nombre important de personnes - une dizaine ne suffit bien sûr pas - admirent avec un enthousiasme sincère une personne ou une chose, cette personne ou cette chose, à un moment donné, commence à réverbérer sur son entourage, comme le fait un miroir, le flux des énergies spirituelles qui se concentrent sur elle ; c'est alors qu'elle devient vivante, et que, grâce au don qu'on lui a fait, elle peut donner à son tour, et fasciner ainsi une quantité d'individus qui ne ressentaient pour elle, jusqu'alors, qu'une parfaite indifférence. Ainsi grandit petit à petit, selon le processus de la réaction en chaîne, le tribut d'amour qui vient du public ; ainsi augmente le rayonnement qui, partant de l'individu ou de l'objet, se propage alentour.

D'ici ce soir, il est fort probable que les scientifiques aient résolu l'énigme de cette catastrophe sans précédent ; tout cela, peut-être, est lié à une vis qui n'était pas à sa place.
Et pourtant, au fond de moi, je préférerais que l'on ne trouve pas l'explication, ni ce soir, ni demain, ni jamais. Que cela reste un mystère pour toujours ; et que l'espace autour de nous soit à nouveau rempli d'obscurité. Et que nous recommencions à regarder la Lune, les planètes, les étoiles, la voûte du ciel nocturne, avec l'étonnement d'autrefois.

Alors qu'en réalité, quel homme charmant, quel interlocuteur choisi, quel confident généreux... si l'on sait l'approcher avec simplicité, en lui parlant de tout et de rien. Bien sûr, il y a des gens qui ont du mal à s'y habituer. Ils s'imaginent qu'un grand poète est une espèce de surhomme, qu'il a toujours des réflexions bien au-dessus de la moyenne. Pour arriver à son niveau, ils forcent sur leurs muscles mentaux ; et automatiquement, ils créent entre eux et lui une barrière infranchissable.

Mais il avait la candeur des enfants, plus précisément de ces petits esprits fantasques, capricieux et taquins qui accompagnent les enfants jusqu'au moment où ils deviennent des personnes raisonnables et qu'ainsi prend fin le grand enchantement. C'était Peter Pan incarné, c'était Puck du Songe d'une nuit d'été, c'était un elfe, un gobelin. Et il était logique que les gens austères s'en irritent, ou s'en indignent, ou le prennent pour un bouffon. N'est-ce pas la même chose lorsque les rares lutins des antiques fables encore vivants entrent dans nos maisons pour nous taquiner ?