"Octobre est un très bon mois pour survoler la Syrie. La vitesse du vent moyenne y est de 2,4 mètres par seconde. le vent ne souffle en rafales qu'une fois par mois et il ne pleut que tous les dix jours. » clamait, il y a peu, une présentatrice TV russe.
"A Barcelone, il faisait un temps idéal pour les bombardements", écrivait Martha Gellhorm dans un article de novembre 1938 et c'est une preuve, parmi tant d'autres, que
La Guerre de Face est l'indispensable compagnon de chevet pour qui s'intéresse à l'actualité, surtout si l'on plaît à considérer subir, tacitement, un état de guerre permanente.
Découvrir la guerre -toutes les guerres- grâce au regard de
Martha Gellhorn a tout de l'expérience immersive. C'est trembler avec l'auteur à bord d'un P61 -un avion joliment surnommé la Veuve Noire-, lors d'un périple aérien dont on peine à croire qu'elle puisse sortir intacte (est-ce le cas, d'ailleurs?). C'est embarquer à bord d'un navire-hôpital qui traverse la Manche comme il traverserait le Styx, transportant des hordes de blessés et de moribonds. C'est aller à Dachau où déjà un soldat s'exclame "personne ne va nous croire", c'est déjeuner avec un jeune allemand à l'époque du tribunal de Nuremberg et déjà voir s'affirmer le négationnisme.
Martha Gellhorn est plus qu'une femme d'intuition ; elle témoigne sans cesse d'une parfaite clairvoyance et lire cet ouvrage, c'est revisiter d'un regard lumineux les principaux conflits, de la guerre d'Espagne à l'invasion du Panama (1990).
On se prête à rêver qu'on n'est pas en train de lire un recueil de reportages, mais un roman d'une grande lucidité, teinté d'un léger humour (ainsi cette traductrice qui lors d'une conférence de la paix à Paris, dit préférer les sommets de climatologues, les hommes de science étant "naturellement plus honnêtes et plus sérieux que les hommes politiques."), et qui serait, d'une certaine manière, le roman de la guerre.
Car
La Guerre de Face n'est pas l'oeuvre d'une historienne, mais d'une femme qui a vécu la guerre -toutes les guerres- et témoigne avec sincérité et talent, démontrant entre autres une parfaite maitrise du montage et émaillant ça et là son texte de phrases claires comme de l'eau de roche ("L'Etat a échoué dans sa tâche : au lieu de procurer à l'homme une vie plus pleine, il l'a conduit vers une vie hantée."). En cela, elle semble avoir parfaitement compris les préceptes de celui qui fut son mari,
Ernest Hemingway, et qui écrivait dans
Paris est une fête : "Ce qu'il faut, c'est écrire une phrase vraie. Ecris la phrase la plus vraie que tu connaisses."
Au-delà du talent littéraire de
Martha Gellhorn, la justesse de son regard surprend sans cesse ; elle semble dotée d'une capacité d'analyse hors norme, ou d'un instinct supérieur, car quel que soit le conflit qu'elle couvre, elle semble épouser naturellement la juste voie, avec la bénédiction de la lucidité, que ce soit lorsqu'elle évoque la guerre des Six Jours ou l'intervention étatsunienne au Panama, et qui est pour elle l'occasion de mettre en garde : "Nous ne pouvons vraiment pas avoir la réputation dans le monde d'une nation folle et cruelle qui s'ingère dans les vies des petites gens à la peau brune et qui ne nous ont jamais fait de mal.". No comment.
Obsédés par le règne actuel des images, on peut parfois oublier la primauté de la littérature, l'expérience unique qu'elle propose.
La Guerre de face en est la parfaite piqûre de rappel ; cet ensemble de textes vaut toutes les photographies du monde.