A trente ans Albert, dit Alby, a tout d'un adolescent attardé. Après avoir abandonné ses études et commencé à boire beaucoup, il est revenu dans le nid familial où il vit avec son père et sa soeur. De l'âge bête, il a gardé le langage grossier, l'obsession pour le sexe, le goût pour les conneries et la bagarre et surtout la propension à se révolter pour un rien. Vous l'aurez compris, Alby n'est pas un personnage des plus sympathiques mais il fait parfois preuve d'une étonnante sensibilité qui le rend presque attachant. En fait c'est un grand sentimental qui se cache derrière une façade d'abruti déjanté, de "looser violent" comme dit sa soeur. Pourra t-il un jour à la mettre en veilleuse en réussissant à endiguer la rage et la douleur qui l'habitent pour enfin grandir ?
Dans ce premier roman d'inspiration autobiographique, au travers de la description de scènes du quotidien très banal de cet américain très moyen, de ses fantasmes de sexe et de violence mais aussi de ses moments de faiblesse, Matt Sumell dresse le portrait plus pathétique qu'hilarant, d'un homme dont plus grande victime est lui-même.
Le caractère libre, spontané et cru du langage d'Albert reflète parfaitement sa singulaité mais cette verdeur peut mettre mal à l'aise le lecteur trop prude.
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C'est le genre de livre que j'affectionne. Celui où dès les premières lignes on sent que ce sera un grand moment.
Californie, Alby vit mal le décès de sa mère. Il attaque tout ce qui bouge comme un Cygne muet, il se réfugie dans l'agressivité envers les humains, dans l'attention millimétrée au sauvetage et à l'éducation de son Cardinal rouge, et enfin dans l'attache qu'il porte à Jason son chien.
C'est un roman élégiaque : il y a un ton qui exprime une peine douloureuse, une mélancolie ; d'ailleurs élégie signifie chant de deuil, chant de mort en grec. Il exprime aussi une sorte de fuite du temps où Alby raconte des souvenirs d'enfance, ses 400 coups, il éloigne cette souffrance du présent, l'amour pour sa mère et la mort de celle-ci.
Matt Sumell est un Lamartine ou un Alfred de Musset des temps modernes, son récit aurait pu être titré « Élégie d'Alby » avec des « Méditations poétiques » : « Une douleur violente, c'est mieux qu'une douleur sourde. » et « Les nuits d'Alby » arrosée avec son père : « Je n'ai jamais étudié la physique, mais il est possible de remplir le silence avec des bouteilles de Bud. »
Le registre pathétique à sa place : émotion intense, les larmes, la violence, la fureur « Je ne sais toujours pas comment souffrir » ; le registre burlesque aussi : style soutenu, très familier, brutal, sexe sans pudeur ; et enfin le registre comique, surtout ironique, à la répartie coup-de-poing « La liste des 7 raisons de cogner sa soeur en plein dans les miches » par exemple.
Un ensemble explosif avec un personnage digne d'un J.D Fiorella du fils Fante, Dan.
Au final, il est conscient de son statut, il dresse un constat subtil :
« Il a le meilleur métier du monde, a-t-elle dit.
-Pas exactement. Ca paie mal », ai-je expliqué.
En vrai c'était de l'argent facile. A part l'ennui et les effluves de merde qui atterrissaient parfois sur ma gueule, ce n'était pas bien compliqué. Tommy, mon patron, me laissait tranquille, je pouvais venir avec Jason, et je pouvais boire autant de soda que je voulais. J'étais assez vieux pour trouver ça agréable, et également assez âgé pour ne plus me soucier de mon crâne dégarni et de mes soucis érectiles éventuels. Ma mère était morte, mon père était gâteux, je n'avais pas dormi ou chié droit depuis l'âge de vingt-neuf ans, et j'avais basculé en une nuit. J'étais jeune et , bim, tout à coup je ne l'étais plus. Et avec tout le temps libre que j'avais passé à m'asseoir sur le ponton, j'avais pu dresser un inventaire exhaustif de ma vie, jour après jour, et me dire : C'était donc ça ! Huit dollars l'heure à roupiller ? […] Depuis mon fauteuil posé sur le ponton, cela ressemblait à une franche amélioration. Comme tout en fait. »
« En veilleuse » parce que c'est un flux incessant de paroles, de souvenirs débités par torrent ; afin d'éviter un mal profond.
« Ce serait une bonne journée pour naviguer sur la rivière, a dit mon père.
- Ouais. Si seulement on avait un bateau.
- J'ai un bateau. Je l'ai acheté à Wally Johnson il y a quelques mois.
Comme il ne m'en avait pas parlé, j'ai cru qu'il se foutait de moi.
« Vraiment ?
- Ouais.
- Et il marche ?
- Ouais.
- Il est à l'eau.
- Oui.
- On y va ?
- Si tu la boucles.
- Vendu.»
Je l'ai mise en veilleuse. »
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Il serait facile de dire que Alby n'est qu'une petite frappe sans cervelle, terrorisant son frère et sa soeur ainsi que tout le quartier par pur plaisir. Mais la vérité c'est que Alby souffre, sa mère vient de mourir et son deuil à lui passe par la méchanceté. Au fil des chapitres il nous choque par son agressivité et... nous fait rire. En effet à mesure que l'on tourne les pages notre protagoniste devient de plus en plus hilarant, alternant cynisme ou simple absurdité de langage. Nous apprenons à connaitre Alby qui s'avère être une personne sensible, capable de prendre soin d'un oisillon au péril de sa passion pour la distribution de baffes.
Un roman très franchement drôle, qui nous aide à relativiser et nous rappelle qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture...
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En vingt chapitres comme autant de petites nouvelles, Matt Sumell brosse le portrait irrésistible d'un raté magnifique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
lby adopte un comportement pour le moins abrupt, ne parvenant pas à canaliser la colère et les sentiments qu'il ressent face au décès de sa mère. Il est vrai que chaque membre de cette famille semble avoir reçu un trop plein d'énergie, rendant le corps paternel insensible aux pires poisons car "C'était un homme dont le corps refusait de mourir.", tandis que la sœur n'hésite pas à voler le jambe artificielle de son père pour l'empêcher de se suicider !
Et tout ce petit monde de s’engueuler, de s'empoigner, faute d'arriver à communiquer dans le calme !
Pendant le premier tiers du roman, j'ai craint le pire car l'accumulation de comportements agressifs et bizarroïdes m'évoquait Bret Easton Ellis mais j'avais tout faux. La preuve: un homme qui possède une bouledogue français peut être bizarre mais jamais mauvais. Et, au fur et à mesure, je suis devenue plus sensible à l'humour décapant du narrateur, avant de me laisser émouvoir par lui.
Une voix originale et forte vient se faire entendre avec vigueur ! Laissez la vous gueuler à l'oreille , bientôt elle se fera beaucoup plus tendre.
Je n'ai jamais étudié la physique, mais il est possible de remplir le silence avec des bouteilles de Bud
Une douleur violente c'est mieux qu'une douleur sourde
Interview de Matt Sumell.