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EAN : 9782707166708
243 pages
La Découverte (14/10/2010)
3.93/5   7 notes
Résumé :

Dans cet essai critique, Achille Mbembe montre qu'au-delà du mélange de choses qui prévaut aujourd'hui, le mérite de la décolonisation africaine fut d'ouvrir sur une multitude de trajets historiques possibles.

À coté du monde des ruines et de la destruction, de nouvelles sociétés sont en train de naître. La décolonisation africaine n'aura-t-elle été qu'un accident bruyant, un craquement à la surface, le signe d'un futur appelé à se fourvoyer... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
On a beaucoup parlé à l'automne 2011 du livre du politologue camerounais Achille Mbembe : Télérama lui a consacré un dossier spécial, France Culture une longue interview, Africultures une recension dithyrambique. Ce brillant esprit subversif, qui excelle dans la forme courte, les articles, les contributions, les prises de position, n'avait plus signé d'ouvrage depuis "De la postcolonie" qui avait marqué en 2000 son entrée bruyante dans l'arène des "postcolonial studies". Tant pis pour le mépris que lui inspirera la présente recension dont il aura tôt fait de classer son auteur au nombre des chiens de garde antipostcolonialistes et provincialistes, c'est-à-dire de ceux qui à la fois mésestiment la portée des études postcoloniales et restent prisonniers d'une pensées hexagonale et rétrograde. Mais au risque de se voir reprocher, comme il le fait à ceux qui, tels Jean-Louis Amselle ou Jean-François Bayart, ne partagent pas ses avis, des « assauts désinvoltes », des « insinuations malveillantes » ou encore des « énoncés apodictiques » (p. 143), il faut exprimer le malaise qu'inspire Sortir de la grande nuit.
L'objet de ce livre trop ambitieux n'est pas clair. S'agit-il d'un essai prométhéen comme semble l'annoncer son titre poétique emprunté aux Damnés de la terre de Fanon ? d'une invitation à la lutte pour sortir de la race et se décoloniser enfin ? d'une auto-biographie comme le laisse augurer le premier chapitre où l'auteur narre son parcours depuis son Cameroun natal vers la France « un vieux pas orgueilleux, conscient de son histoire – qu'il tend à glorifier à tout propos – et particulièrement jaloux de ses traditions » (p. 43) qu'il a tôt fait de quitter pour les Etats-Unis et l'Afrique du Sud autrement plus hospitaliers ? d'une étude sur l'Afrique décolonisée, comme l'indique le sous-titre, où une nouvelle modernité « afropolitaine » (Mbembe n'est pas peu fier de ce néologisme) serait en voie de naître ? Un peu de tout cela ; mais rien qui ne convainque vraiment. Certains crieront au génie soutenant que ce livre transcende les genres littéraires et chevauche les champs trop étriqués des savoirs ; d'autres à l'imposture en retrouvant, au mot près, la reprise de textes déjà publiés et pour certains très anciens.
Comme l'a caustiquement résumé Jean-François Bayart, Mbembe est « très fâché » . Personne n'a grâce à ses yeux. Ni la France, plongée dans un « long hiver impérial », incapable de « liquider l'impensé de la race ». Ni les anciennes colonies francophones d'Afrique qui se sont transformées en satrapies, en « chefferies masquées » (p. 20) dont l'unique objectif est de rester au pouvoir, avec le soutien « le plus tenace, le plus retors et le plus indéfectible » (n'en jetez plus !) de l'ancienne puissance colonisatrice. le problème est que la vindicte de Mbembe est aveugle aux évolutions. Cette France qu'il dénigre, cette Afrique qu'il vomit, elles ont bien changé depuis qu'il les a fuies pour s'accueillir sur des terres plus accueillantes.
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L'Afrique décolonisée ! L'auteur nous la présente à travers un essai magnifiquement écrit, bien que compliqué comme tout essai politico-philosophique rédigé par un intellectuel de haut niveau.

L'essai commence sur un registre narratif et autobiographique. Début du moment post-colonial. La décolonisation -surtout là où elle fut octroyée- prit «l'allure d'une rencontre par effraction avec soi-même». Les deux chapitres qui suivent examinent les paradoxes de la «postcolonialité»… chez une puissance (la France) qui «décolonisa sans s'auto-décoloniser», d'où l'impuissance à écrire une histoire commune à partir d'un passé commun.

du côté des nouvelles nations indépendantes (parfois «greffes hétérogènes de fragments à première vue incompatibles et conglomérats de sociétés au temps long»), on «reprend» la course. A tout risque. Plongée dans l'inconnu. Heureusement il y a la «volonté de vie».

Donc, l'Afrique est en train de se construire -malgré des coûts humains élevés, un «monde des ruines» et des «cases sans clés»-, en train d'effectuer sa synthèse sur le «mode de disjonction et de la redistribution des différences». L'Afrique en circulation ! Afrique-glèbe, «immense champ de labour de la matière et des choses». Un corps encore en mouvement, jamais à sa place, dont le centre se déplace partout. Un corps se mouvant dans l'énorme machine du monde… C'est l' «Afropolitanisme» (trois paradigmes ne s'excluant pas : variantes diverses du nationalisme anticolonial/lectures marxistes multiples et «socialisme africain»/panafricanisme et solidarité raciale et transnationale). A l'image de l'Afrique du Sud, le laboratoire privilégié que l'auteur connaît bien.

L'Auteur : Théoricien du post-colonialisme, à la pensée engagée dans l'action, fortement anticléricaliste et pour une théologie de la libération. Camerounais d'origine (né en 1957, sa région fut un bastion du mouvement nationaliste camerounais). Docteur en histoire (la Sorbonne, Paris) et DEA en sciences politiques (Iep, Paris), il est professeur d'histoire et de sciences politiques en Afrique du Sud. Chercheur, il a également enseigné aux Etats-Unis. Auteur de plusieurs publications (dont «De la postcolonie») globalement sur le même thème et sur l'Afrique.

Avis : Pour mieux connaître le colonialisme et le racisme blanc… et le néocolonialisme. Pour mieux comprendre l'Afrique et l'Africain contemporains. Livre difficile à lire mais enrichissant, aujourd'hui encore bien plus qu'hier.
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Sortir de la la Grande Nuit ou Essai sur l'Afrique décolonisée (2010)

Cinquante ans après les Indépendances. J'étais curieuse de lire cet essai pour remettre les pendules à l'heure de la théorie post-coloniale et de la globalisation.

Le livre commence par un chapitre autobiographique "Trajectoires d'une vie", ancrant l'auteur dans l'histoire du Cameroun, son pays d'origine, dans les luttes de décolonisation, et les non-dits des combattants éliminés "terroristes". Éloignement de l'intellectuel vers Paris, comme il se doit pour un francophone, puis New York et Johannesburg.

Le 2ème chapitre "Déclosion du monde et montée en humanité" est tout à fait différent : texte philosophique s'appuyant sur le concept fanonienne de déclosion du monde. Si le concept lui-même me paraît un peu fumeux (je ne suis pas philosophe, encore moins spécialiste de l'Afrique), Fanon m'a éveillée autrefois aux luttes anti-coloniales.

p. 69 : "Dans la pensée de la décolonisation l'humanité n'existe pas a priori. Elle est à faire surgir à travers le processus par lequel le colonisé s'éveille à la conscience de lui-même, s'approprie subjectivement son moi, démonte les enclos, s'autorise à parler à la première personne".

Il cite ensuite Senghor (p70): "chez qui la décolonisation implique l'existence d'un sujet qui cultive le souci de ce qui lui appartient en propre..."

puis Glissant pour qui" la déclosion consiste à aller à la rencontre du monde"

Ces prédécesseurs étant analysés il étend l'analyse à Husserl, Valery et à la théorie du loup.

Je décroche un peu, trop philosophe pour moi! les développements trop savants sont fumeux. "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement"

Lorsque Mbembe aborde la globalisation et la théorie post-coloniale il s'éloigne de la philosophie pour une analyse politique assez confuse.

La troisième partie "Société Française : proximité sans réciprocité" sort du champ philosophique et entre dans celui du ressentiment. Certes, la France a perdu de sa puissance et de son aura en perdant son empire colonial. Certes, l'Europe n'est plus le centre du monde. Certes, les Etats Unis exercent une attraction certaine sur les africains francophones. Tout cela est connu, évident, et la dissertation pompeuse m'a lassée. Les spécialistes apprécieront. Je retourne à la fiction, à la littérature, vaincue, n'ayant lu qu'en diagonale "Le long hiver impérial français!" et abandonné la fin.


Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Oui évidemment comme souvent, la langue de Mbembe est souvent verbeuse, souvent ardue et si l'on veut vraiment que ce livre nous enrichisse il faut y réfléchir. Ne pas le lire d'une traite. Y penser. Car comme toujours c'est un livre extrêmement riche, qui en abordant une multitude de sujets, d'exemple et de détour amène à penser la complexité du postcolonial et de sa construction.
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un de mes livres préférés ...
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Comme le soulignait Simone Weil, « la colonisation commence presque toujours par l’exercice de la force sous sa forme pure, c’est-à-dire par la conquête. Un peuple, soumis par les armes, subit soudain le commandement d’étrangers d’une autre couleur, d’une autre langue, d’une tout autre culture, et convaincus de leur propre supériorité. Par la suite, comme il faut vivre, et vivre ensemble, une certaine stabilité s’établit, fondée sur un compromis entre la contrainte et la collaboration ». Révisionnisme oblige, l’on prétend aujourd’hui que les guerres de conquête, les massacres, les déportations, les razzias, les travaux forcés, la discrimination raciale institutionnelle, les expropriations et toutes sortes de destructions, tout cela ne fut que la « corruption d’une grande idée » ou, comme l’expliquait autrefois Alexis de Tocqueville, des « nécessités fâcheuses ».

Réfléchissant sur la sorte de guerre que l’on peut et doit faire aux Arabes, le même Tocqueville affirmait : « Tous les moyens de désoler les tribus doivent être employés. » Et de recommander, en particulier, l’interdiction du commerce et le « ravage du pays » : « Je crois, dit-il, que le droit de guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit tout le temps en faisant des incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. » Comment s’étonner, dès lors, qu’il finisse par s’exclamer : « Dieu nous garde de voir jamais la France dirigée par l’un des officiers de l’armée d’Afrique ! » La raison en est que l’officier qui « une fois a adopté l’Afrique et en a fait son théâtre contracte bientôt des habitudes, des façons de penser et d’agir très dangereuses partout, mais surtout dans un pays libre. Il y prend l’usage et le goût d’un gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier ».

Telle est, en effet, la vie psychique du pouvoir colonial. Il s’agit, non pas d’une « grande idée », mais d’une espèce bien déterminée de la logique des races au sens de traitement, contrôle, séparation des corps, voire des espèces. Dans son essence, il s’agit d’une guerre menée non contre d’autres personnes humaines, mais contre des espèces différentes qu’il faudrait, au besoin, exterminer. C’est la raison pour laquelle des auteurs tels que Hannah Arendt ou Simone Weil ont pu, après avoir examiné en détail les procédés des conquêtes et de l’occupation coloniales, conclure à une analogie entre ceux-ci et l’hitlérisme. L’hitlérisme, dit Simone Weil, « consiste dans l’application par l’Allemagne au continent européen, et plus généralement aux pays de race blanche, des méthodes de la conquête et de la domination coloniales y ». Et de citer, à l’appui de sa thèse, les lettres écrites par Hubert Lyautey depuis Madagascar et le Tonkin.

Que, sur le plan culturel, l’ordre colonial ait été marqué de bout en bout par ses ambiguïtés et ses contradictions est indiscutable. La médiocrité de ses performances économiques est aujourd’hui largement admise. (chapitre 3)
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Cette tension entre race, culture et nation n’avait point été entièrement effacée, ni par la Révolution ni par le républicanisme. Certes la Révolution avait affirmé la primauté de l’égalité de tous et de la commune appartenance à la Cité républicaine sur toutes autres formes de distinction sociale ou raciale. Mais, en même temps, la France révolutionnaire n’avait cessé de faire de la différence raciale un facteur de définition de la citoyenneté. Petit à petit, la tension entre un universalisme ignorant de la couleur et un républicanisme libéral friand des stéréotypes raciaux les plus grossiers s’était enracinée dans la science et dans la culture populaire françaises au moment de l’expansion coloniale. Elle s’était exacerbée dans un contexte où l’impérialisme colonial avait pour fonction de revivifier la nation et le « caractère français » et de « diffuser les bienfaits de notre civilisation ». Au demeurant, la nécessité de diffuser notre « civilisation » ne se justifiait que par la distinction nationale entre la France et ses Autres.

Au cours du XIX e siècle, les modèles du racisme populaire en France étaient en partie liés à des transformations sociales de grande ampleur (telles que la colonisation, l’industrialisation, l’urbanisation, la montée de la famille bourgeoise), qui octroyaient un caractère d’urgence à la question de la différence en général et à celle des différentes qualités raciales en particulier. Au dédain aristocratique à l’égard des sans-culottes de l’époque de la Révolution répondait alors, comme en écho, celui de la démocratie bourgeoise à l’égard des classes laborieuses naissantes. La race était à la fois le résultat et la réaffirmation de l’idée générale de l’irréductibilité des différences sociales. Étaient en dehors de la nation tous ceux qui se situaient en dehors de ses caractères racialement, socialement et culturellement définis. Dans les colonies également, l’identité nationale voire la citoyenneté se confondirent étroitement avec l’idée raciale de blancheur. On aura beau évoquer les expériences de citoyennetés mâles et non blanches de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et des Quatre Communes du Sénégal, il ne s’agissait généralement que de quelques milliers d’individus triés sur le volet dans un vaste dominion peuplé de millions de sujets.

Il était possible de constater, vers la fin du XIX e siècle, que l’assimilation avait échoué. Jusqu’au milieu du XX e siècle, l’Empire était davantage un empire de sujets que de citoyens. Les indigènes devaient, par conséquent, être « civilisés » dans le cadre de leur différence propre, celle de sociétés sans histoire ni écriture, figées dans le temps. Dans une large mesure, la décolonisation ne fit que ratifier cet échec. Elle consacrait juridiquement l’idée selon laquelle tous les sujets non-Blancs de l’Empire ne pouvaient pas devenir des citoyens français. (chapitre 2)
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Si l'on doit de nouveau, ensemble, réarpenter les chemins de l'humanité, alors il faut peut-être commencer par reconnaître qu'au fond il n'y a pas de monde ou d'endroit où nous soyons totalement "chez nous", maîtres des lieux.
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«La colonisation moderne était l'une des filles directes des doctrines qui consistaient à trier les hommes et à les diviser en deux groupes : ceux qui comptent et que l'on compte, d'une part, et le «reste»; d'autre part, ce qu'il faut appeler les «résidus d'hommes» ou encore les «déchets d'hommes» (p 239)
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Tout sang versé ne produit pas nécessairement la vie, la liberté et la communauté» (p 243).
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Vidéo de Achille Mbembe
Le 25.04.2020, Achille Mbembe évoquait “H+” d'Alexandre Friederich dans l'émission “Dans quel monde on vit” (RTBF).
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