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Paul Veyne (Éditeur scientifique)
EAN : 9782221071274
1312 pages
Robert Laffont (26/03/1993)
4.46/5   28 notes
Résumé :
Ces lettres sont comme le journal intime et philosophique de Sénèque.

Il y évoque ses doutes et ses drames de conscience, affronte les grands problèmes philosophiques et moraux que chacun se pose, en son temps, comme aujourd'hui, et leur apporte des réponses empreintes d'une sagesse prudente et mesurée.

Ainsi, ce texte est aussi bien le roman d'une âme exceptionnelle qu'une brillante initiation à l'un des courants majeurs de la philos... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Deux mille ans plus tard, Sénèque nous parle toujours. Bien que sa parole ait résonné dans la lointaine Rome ; elle n'a jamais été aussi proche que dans ces écrits précieux. le temps, miraculeusement a presque tout conservé, fait rare dans l'Antiquité.

Plus qu'un philosophe qui s'est approprié le stoicisme, c'est un esprit universel que l'on rencontrera  ; traitant des maux de l'homme, ses défauts ou ses maladies, ses obstacles au bonheur, la Fortune toute puissante, la perte d'êtres chers, la mort, mais aussi tout ce qui constitue son excellence, la Nature, la raison, la vertu, le souverain bien, l'âme droite et saine qui tend continuellement à son perfectionnement.

La pensée de Sénèque a été avant tout éthique. Elle nous de ce qui nous concerne encore et toujours, vaste question que la condition humaine ; énigme indéchiffrable, perpétuel questionnement , éternel secret pour l'homme. Sénèque avait avant tout le soucis de s'améliorer et d'améliorer l'humanité.

Si la philosophie stoicienne de Sénèque embrasse des lignes directrices communément admises de la secte, comme vivre selon la vertu, en conformité avec notre nature, ce qui constitue son excellence, à savoir la raison ; que tout le cosmos est organisé par un Logos divin, un souffle du monde, qui répand en nous des parcelles divines ; que l'homme est un Dieu sur la terre ferme, Sénèque s'en distingue aussi personnelllement.

Car les Lettres à Lucilius sont plus qu'un exposé de la philosophie stoicienne antique. Elles sont comme autant d'expérimentations sur le front de la vie. C'est une parure de l'âme qu'elles veulent forger; comme le forgeron, l'armurier qui prépare le soldat à s'y rendre. La philosophie est bien ce travail de joaillerie, un art raffiné, difficile, et combien magnifique ; elle nous offre le plus précieux des biens, impérissable, le souverain bien, la sagesse.

En effet, Sénèque n'écrit-il pas, dès la lettre 13 à Lucilius " reçois de moi certains moyens d'assistance dont tu puisses te faire une armure." ? Et Pourquoi nous faut-il donc cette armure ? C'est que le monde extérieur est plein d'incertitude, de dangers. La Fortune lance à tout moment ses archers, qui tirent sur ce que l'on aime, ce que l'on désire, ou encore, sur nous-mêmes. Les choses extérieurs ne sont pas notre vrai bien, périssables, atteintes par la Fortune ou la nécessité, ne comptons pas sur ces insécurités. De là, construisons une forteresse et rentrons-y. le bien véritable est celui d'une âme droite, sereine, qui ne craint plus rien de cette guerre en dehors d'elle.

Parfois, cette âme, dans sa forteresse, voit des âmes folles, se rompre à un combat inépuissable, sans sens, car on sait que la Fortune sera la grande gagnante nous sommes égaux face au destin : l'esclave, la femme, le puissant, le pauvre. Par conséqeuent, Il n'y a pas d'exception dans ce monde là. Ces âmes folles, et bien, pour Sénèque, il faudrait les guérir. Elles ne trouvent ni la sécurité, ni la satisfaction, ni l'ataraxie, ni le bonheur. Elles trouvent au contraire, l'agitation des passions incontrôlables, de désirs démesurés, les honneurs, les charges, l'argent.... le philosophe doit aider l'autre à bien vivre, autrement dit à le guérir de la folie du monde. Il s'agit de conquérir sa liberté intérieure, terre fertile, neuve, sans assauts. S'approprier soi est le seul bien. Aucune ronce, aucune mauvaise herbe ne poussera sur le terrain de l'âme vertueuse, car elle ne dépend pas du monde extérieur. Sénèque dit à cet égard, qu'il faut être " pleinement rassasié de toi-même". Dès lors, suivons ce conseil : " il faut remplir son âme, non son coffre".

Contrairement à ce que l'on croit, le stoicien ne vit pas sans ressentir, ni dans une pauvreté extrême. C'est que Sénèque distingue "les préférables neutres" que sont la santé, l'argent, la nourriture, le confort. Il faut en user droitement, elles ne sont pourtant pas la condition du bonheur. le sage ne ressentira rien si ce monde neutre venait à disparaître, il n'y était pas attaché. Là encore, pour les sensations douloureuses, le concept de "préaffects" intervient. Il y a une sensation vague, mais l'aspirant à la sagesse fermera dans sa forteresse, les portes aux passions comme la colère. Il l'empêchera de rentrer. Dès lors, Sénèque conseille : " Aime la raison ; cet amour te gardera, comme une armure, des plus dures atteintes". Et quelle est la vénérée du temple qui adore la raison, si ce n'est celle " qui te garderas maternellement", chez laquelle " [tu] seras en sureté ou plus en sureté qu'ailleurs ?". On l'aura deviné, c'est la philosophie. Peu veulent s'y réfugier, mais pourtant elle ouvre ses portes à tous.

Enfin, la sagesse est acessible à tous, Sénèque reconnaît que si " cependant tout le monde est maître de bien vivre, nul de vivre longtemps". L'esclave aussi peut aspirer à une forme de sagesse. L'homme est toujours en perfectionnement, il est une matière jamais achevée, il grandit constamment. D'où ce paradoxe qu'on tend à la sagesse sans jamais l'atteindre, comme le sage le pourrait.

Pourquoi ces lettres et ces discours nous touchent-ils autant ? Sans doute, parce que c'est un homme qui s'adresse à un autre, Lucilius, et, au delà, à un régiment, au régiment de lecteurs, autrement dit à l'humanité. C'est un discours commun, pour tous, plein de courage et de grandeur, qui encourage les troupes. Il témoigne de son soucis de l'autre, de l'améliorer dans son cheminement moral. Il fait tout pour le bien de l'humanité. Sénèque est un cosmopolite, un citoyen du monde, nous sommes tous frères, unis par une même nature, et le monde aussi grand qu'il soit est une grande Cité, qui nous accueille tous. Aussi loin qu'on soit de chez nous, d'une patrie, d'un lieu quelconque, il y aura toujours notre "vertu personnelle et la nature universelle" qui nous suivra. Pourquoi, dans cette grande Cité, ne pas y vivre en paix, et y faire une agora de la démocratie, où tous discuteraient, échangeraient ses cultures, ses valeurs ; où tous partageraient ses convictions et chercheraient une solution à l'ensemble de l'humanité ?

Sénèque dirait : c'est que seul "l'homme détruit l'homme par plaisir"... leçon de pragmatisme romain ? On l'aura compris, l'homme est d'une nature ambivalante pour le stoicien.

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Ce livre vaut par la présentation qu'en fait Paul Veyne autant que par le texte antique.

La préface de 165 pages est une oeuvre en soi. Elle porte sur la vie de Sénèque, sur le stoïcisme, et sur la tyrannie de Néron dont Sénèque fut le précepteur, l'ami puis la victime. Comme dans son « Empire gréco-romain » de 2005, Veyne nous fait comprendre l'histoire intellectuelle de l'antiquité : pourquoi le polythéisme des élites, la soumission à l'Empereur, la tolérance à l'esclavage, aux gladiateurs et aux supplices. Veyne est aussi un philosophe du présent qui sème des coups de dents quand il compare Néron à Staline (p XV) et dans ses allusions à ses collègues contemporains ou au pape. « Malgré sa clarté, Sénèque doit être pris philosophiquement au sérieux » (p V). « Malgré sa clarté » est savoureux. « Quant à l'héroïsme inutile, au témoignage, fût-il impuissant, à la protestation de la conscience humaine, c'était une attitude qu'on attendait d'un philosophe (comme ceux qui prennent encore l'église au sérieux l'auraient attendue d'un souverain pontife), mais qui était inusitée chez les sénateurs » (p XXXIII) : ici, c'est le « souverain pontife » qui nous régale.

Les Lettres sont rédigées dans un style oratoire chargé de citations et de métaphores militaires. Elles dissertent plutôt sur la supériorité morale du philosophe et les sacrifices qu'il s'impose pour la mériter que sur un système philosophique. Elles font du stoïcisme une discipline personnelle, un art de vivre élitiste, présentés souvent sur un ton complaisant. Sénèque, philosophe officiel et l'un des hommes les plus riches de son temps, déclare tout de go à Lucilius : « Le philosophe est vénérable et saint » ; « Il s'accorde un traitement un peu rude » ; « la Nature exige bien peu, et le sage s'accommode à la Nature » ; « Il y a du mérite à ne pas se gâter dans la promiscuité des richesses ; celui-là est grand, qui, au sein des richesses, demeure pauvre » ; « Vraiment, il s'est mis au-dessus des nécessités, il a fini de servir, il est libre, celui-là qui vit, sa vie achevée » ; « L'homme de bien naît peut-être, comme le phénix, une fois tous les 500 ans » (Lettres 8, 14, 18, 20, 32, 42). Sénèque promet la gloire à son ami Lucilius, opulent gouverneur de la Sicile, s'il suit ses conseils : « J'aurai crédit chez la postérité ; j'ai de quoi faire durer les noms que j'emmène avec moi » (Lettre 21). Paternaliste, voire envahissant, il lui sert des maximes qu'il traite ensuite de « colifichets tapageurs » (Lettre 33).

On trouve un tournant vers plus de sincérité après la lettre 48, dans laquelle il reproche à Lucilius de mal traiter ses esclaves. Il devient ironique quand il parle de ses crises d'asthme, de la peur qui l'a fait se jeter en mer par gros temps (Lettre 50), de la fragilité de sa concentration (Lettre 55) : « N'oublie pas le chercheur de querelles, le filou pris sur le fait, l'homme qui trouve que dans le bain il a une jolie voix. N'oublie pas la piscine et l'énorme bruit d'eau remuée à chaque plongeon. Outre ces gens qui, à défaut d'autres choses, ont des intonations naturelles, figure-toi l'épilateur qui reprend sans cesse un glapissement en fausset, afin de signaler sa présence, et ne se taisant que pour écorcher les aisselles et faire crier un autre à sa place » (Lettre 56). À l'opposé de Rousseau, Sénèque professe que les hommes sont naturellement mauvais et que peu d'entre eux méritent la joie par l'effort : « Voici, mon cher Lucilius, une pensée qui ne doit pas t'empêcher de bien espérer de nous : le mal nous tient ; depuis longtemps il est en possession de nous. La sagesse n'est jamais venue à personne avant la déraison. Nous avons tous ce handicap. Apprendre la vertu, c'est désapprendre les vices » (Lettre 50). Il devient grave quand il affirme que la force du sage est la liberté de choisir sa mort dans le suicide : « La liberté, voilà l'enjeu, le prix qui doit payer nos peines. Qu'est-ce qu'être libre ? Tu le demandes ? C'est n'être esclave d'aucun objet, d'aucune nécessité, d'aucun accident concevable ; c'est réduire la Fortune à lutter de pair avec moi. le jour où j'aurai compris que je puis plus qu'elle, la Fortune ne pourra rien. Subirai-je ses volontés, quand j'ai la mort à mon service ? » (Lettre 51). Il faut croire à la détermination de Sénèque puisqu'il se suicide sur ordre de Néron. Cette « mort libératrice », racontée par Tacite, sera aussi digne que dans le Couronnement de Poppée, mais bien plus douloureuse et difficile (voir la fin de la préface). La plus belle Lettre est la 102, qui présente la mort comme une nouvelle naissance. La plus belle Lettre est la 102, qui présente la mort comme une nouvelle naissance en 23-30, passages si denses qu'ils découragent la citation.
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Un grand livre qui peut aider à mieux vivre.
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A lire, à relire et à re-relire.
Ne chercher pas, se sont les meilleurs traductions de Sénèque. Une préface de 180 pages de Paul Veyne pour un ensemble de plus de 1200 pages.
Une merveille.
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Chez Sénèque, on rencontre sans doute une pensée stoïcienne à son plus haut niveau. On ne saurait dénombrer les enseignements que Sénèque nous offre. On sent beaucoup d'amour, de douceur, de résolution dans ces "Entretiens".
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Peux-tu me nommer un seul homme qui sache que le temps a un prix, qui fasse l’estimation de la valeur de la journée et qui réalise qu’il meurt un peu chaque jour ? Là est l’erreur, en effet : nous ne voyons la mort que devant nous, alors qu’une grosse partie de la mort est déjà dans notre dos ; tout ce que nous laissons derrière nous de notre existence appartient à la mort.
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Quant à Sénèque, comme son sang coulait difficilement et que la mort était lente venir, il pria Statius Annéus, qu’il avait reconnu, par une longue expérience, pour un ami sûr et un habile médecin, de lui apporter le poison dont il s’était pourvu depuis longtemps, le même qu’on employait à Athènes contre ceux qu’un tribunal public avait condamnés à mourir. On l’apporta et il le but, mais en vain : ses extrémités étaient déjà froides et son corps fermé à l’action du poison. Pour en finir, il entra dans un bain chaud, aspergeant ainsi les esclaves les plus proches, ce qui lui fit dire que c’était là une libation qu’il offrait à Jupiter libérateur. Il se fit ensuite porter dans l’étuve de sa maison, où la vapeur finit par l’étouffer.
Tacite, Annales, XV, 62-64 (cité p CLXIX-CLXX)
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Il en va de la vie comme d'une pièce de théâtre : ce n'est pas la longueur qui compte, mais le mérite de l'acteur. Que tu finisses à tel ou tel endroit, la chose est indifférente. Finis où tu voudras, mais réussis ta sortie de scène.
[Lettre 77]
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Deux biens, les plus précieux de tous, nous suivront toujours en tout lieu : la nature universelle et notre vertu personnelle. Il entre, crois-le bien, dans les vues de la puissance qui gouverne toutes choses, quelle qu'elle soit, un dieu, maître de tout, une Raison incorporelle, artisane de l'oeuvre géante, un esprit divin, répandu avec une tension égale dans tous les êtres, grands ou petits, un destin ou enchaînement immuable des causes qui ne laissent pas de vide entre elles ; il entre, dis-je, dans les vues de cette souveraine puissance de ne laisser à la merci d'autrui que les plus vils de nos biens. Ce que l'homme possède de meilleur échappe au pouvoir humain ; on ne peut ni le donner ni l'ôter. Ce firmament, qui de toutes les créations de la nature est la plus grande et la plus splendide, cette âme faite pour contempler et admirer ce firmament, dont elle est noble parcelle, sont à nous, le sont pour toujours, nous appartiendront aussi longtemps que nous existerons nous-mêmes. Aussi, pleins d'allégresse et de fierté, en quelque lieu que le sort nous envoie, marchons-y d'un pas intrépide. Parcourons la terre entière nous n'y trouverons pas un coin où l'homme ne soit chez lui. De partout son regard franchit la même distance pour s'éléver au firmament ; l'intervalle est toujours égale entre l'humanité et le dieu.

- Consolation à Helvia
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Pourvu donc que mes yeux ne soient pas sévrés d'un spectacle dont ils sont insatiables, pourvu que je puisse regarder à ma guise le soleil et la lune, m'attacher à la contemplation des astres, observer leur lever, leur coucher, leurs distances, rechercher pour quelles causes leur course est plus prompte ou plus lente, admirer durant la nuit ces myriades d'étoiles étincelantes, dont les unes sont fixes, dont les autres se meuvent, mais sans sortir du cercle qu'elles tracent elles-mêmes dans l'espace, dont certaines jaillissent brusquement, dont d'autres éblouissent les yeux d'un jet de flamme, comme si elles tombaient, ou dessinent sur leur passage une longue traînée lumineuse, pourvu que je connaisse ces joies et je participe à la vie céléste autant qu'un homme en est capable, pourvu que mon âme, qui n'aspire qu'à la vue de sa véritable patrie, vive sans cesse dans ces régions éthérées, que m'importe quel sol je foule ?
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