Pauvre don Rigoberto ! Marié en secondes noces quelques années auparavant et déjà séparé de sa beauté vénusienne, privé de son alter ego aux fantasmes partagés, de sa Lucrecia qui le comblait d'un inestimable bonheur.
Les écrits de son jeune fils intitulés «
Éloge de la marâtre » l'ont terrassé. Doña Lucrecia a franchi allègement avec Fonchito la ligne jaune de la plus élémentaire moralité. Aucune autre solution n'était acceptable : elle devait quitter le domicile conjugal séance tenante !
Voici donc Rigoberto, le libertaire hédoniste, l'amant de l'art et des plaisirs du corps, traînant son vague à l'âme dans cette grande maison liménienne d'autant plus vide que la sympathique soubrette, Justiniana, a suivi sa patronne dans son exil ; il est vrai que les deux femmes étaient depuis longtemps sur une longueur d'ondes largement au-dessus de l'intendance des tâches ménagères…
Fonchito, loin d'être innocent dans cette histoire abracadabrantesque, rend de temps à autre visite à doña Lucrecia. Celle-ci l'écoute, sans trop de rancune, parler avec passion du peintre autrichien feu
Egon Schiele devenu son idole depuis son inscription aux
Beaux-arts.
Malgré les mises en garde de Justiniana, comment ne pas pardonner à ce collégien aux traits de chérubin, aux yeux candides, à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession ?
Fonchito arrivera-t-il à recoller les morceaux, à rabibocher son père et sa marâtre ?
«
Les cahiers de don Rigoberto » est un roman de
Mario Vargas Llosa paru en 1997, la suite d'«
Éloge de la marâtre» publié huit ans plus tôt.
L'écrivain péruvien a su conserver le ton jubilatoire, l'humeur primesautière qui imprégnaient le premier opus et le lecteur retrouve avec délectation cette atmosphère empreinte du meilleur érotisme ainsi que les mêmes personnages hauts en couleur, sympathiques malgré leurs petites manies, leurs obsessions, leurs excentricités.
Quelque peu à cran, comme s'il rendait la terre entière responsable de ses malheurs, don Rigoberto consigne dans ses cahiers sa répugnance morale, psychologique voire idéologique envers toute forme de servitude grégaire. Ces chapitres acerbes s'intercalent dans la trame du récit, densifient celui-ci sans pour autant le dénaturer.
Visiblement à son affaire dans la rédaction de cette étude de moeurs contemporaine,
Vargas Llosa enchante une fois de plus le lecteur.
«
Éloge de la marâtre » et «
Les cahiers de don Rigoberto » confirment le talent d'un homme de lettres à l'éclectisme remarquable.