SONNET 3/7
Tout à l'heure, mon bien, en te parlant,
à ton visage, à tes gestes, je voyais
que les mots ne te persuadaient pas
car c'est mon cœur que tu désirais voir.
Amour, venant en aide à mon dessein,
l'emporta, ce qui semblait impossible :
en larmes versées par le chagrin
mon cœur défait il distilla.
Assez de rigueurs, mon cœur, assez,
que du tourment jaloux la tyrannie
et le vil soupçon cessent d'opposer
à ton repos des ombres, des preuves vides
puisqu'en liquide humeur tu as pu toucher
et voir mon cœur défait entre tes mains.
p.79
Traduit de l'espagnol par Florence Delay et Jacques Roubaud
SONNET 2/7
À me poursuivre, Monde, que gagnes-tu ?
Où est l’offense puisque je cherche
à mettre des beautés dans ma raison
plutôt que ma raison dans les beautés ?
Je n’estime ni les trésors ni les richesses
et j’éprouve plus de contentement
à mettre les richesses dans ma pensée
plutôt que ma pensée dans les richesses
Je n’aime pas la beauté qui vaincue
est la dépouille civile des âges
ni la richesse perfide ne me plaît
car je préfère telle est ma vérité
consumer les vanités de la vie
que consumer ma vie en vanités.
p.78
traduit par Florence Delay (F. D.) et Jacques Roubaud (J. R.)
SONNET 1/7
Ceci que tu vois mensonge coloré
qui de l'art exhibant les vertus
par de faux syllogismes de couleurs
est tromperie cauteleuse du sens
ceci par quoi l'adulation prétendit
excuser des années les horreurs
et vaincues du temps les rigueurs
triompher de l'âge et de l'oubli
est un vain artifice de la crainte
est une fleur fragile sous le vent
un recours inutile contre le sort
est un sot empressement erroné
est un désir caduc et vu de près
cadavre poussière ombre néant.
p.77
traduit par Florence Delay (F. D.) et Jacques Roubaud (J. R.)
Juana Inés de la Cruz – Grande introduction biographique (France Culture, 1983)
Une émission des « Samedis de France Culture », par Luis Mizon, diffusée le 2 juillet 1983. Présences : Françoise Campo, Benito Pelegrin, Claude Couffon, Michel de Certeau, Cristina Rubalcava, Severo Sarduy et Abel Posse.