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Critique de Arthemyce


Bien que je ne saurai plus dire d'où, ni à qui, je dois cette lecture à un échange ayant eu lieu au sujet d'un livre traitant d'Anarchisme. Je remercie l'anonyme qui m'aura donné la curiosité de me renseigner sur l'auteur et son ouvrage, qui offre à voir – ce qui était l'objet de l'échange – une ébauche de société anarchiste, ou du moins qui s'en rapproche, par l'intermédiaire du récit. Mais on y reviendra plus tard.

Ce premier volume de la trilogie du « Cycle du Ā » (compris comme « Cycle du non-A ») se veut très mystérieux malgré son ambition de poser les bases de l'univers dépeint par A.E. VAN VOGT.

Au préalable cependant, il me semble vraiment important d'avertir tout futur lecteur de se renseigner sur la « Sémantique Générale » (1), une forme de pensée proposée par Alfred KORZYBSKI (2) à la fin des années 1930 et remettant en cause les limitations de la logique aristotélicienne ; d'où le « non-A » : « non-aristotélicien ». Pour résumer, il s'agit de discuter les façons de percevoir et penser les choses. le plus simple pour saisir l'idée est encore d'en référer à la maxime « La carte n'est pas le territoire », d'ailleurs évoquée dans l'ouvrage.

Sur cette mise en bouche peut-être pas attrayante pour tout le monde, je préfère commencer par la fin et tout de suite dire que j'ai passé un bon moment de lecture ! Ce premier livre m'a tenu en haleine jusque la toute fin et je suis pressé d'enchainer sur la suite, d'autant plus que l'édition « Jai Lu » dont je dispose comprend les trois tomes réunis, totalisant 800 pages (respectivement 260, 290 et 250 pages, le compte est bon). de quoi s'occuper un petit temps. Enfin ça dépend… J'ai déjà englouti le premier !

Franchement, que de rebondissements ! C'est ce qui m'a le plus marqué. Structuré en chapitres courts, les situations progressent vite et de nombreux éléments inattendus parsèment le récit. Sur certains points, l'écriture me rappelle Asimov avec une fluidité dérivant de l'absence de description superflue (ce qui à l'excès peut s'avérer gênant, notamment lorsqu'il s'agit de présenter les personnages), sur un ton toutefois moins léger qui convient mieux à l'esprit rigoureux du protagoniste, Gilbert GOSSEYN (dont le patronyme n'a rien d'hasardeux lorsqu'on l'interprète phonétiquement à l'anglaise), et aux thématiques explorées par l'ouvrage, à la fois très politiques et (psycho)logiques.

La quatrième de couverture résume très bien tout ce qu'il y a à savoir pour succomber à la curiosité (ou non), aussi je ne développerai pas plus sur l'intrigue. Ce qui m'intéresse dans ce bouquin se concentre sur deux points : d'abord la civilisation Vénusienne, peuplée d'individus non-A, ensuite la critique politique portée par l'ouvrage, ce qui justifiera une intéressante mise en parallèle.

Pour parler de Vénus, il faut d'abord parler des non-A et de la Machine (pas de souci : aucun spoiler ici). Les personnes non-A sont les humains du XXVIème siècle ayant réussi à dépasser la logique aristotélicienne dans leur perception du monde et ainsi disposant d'une palette sémantique élargie les rendant mieux à même de percevoir et concevoir leur environnement ; je résume. Pour développer et répandre cette Philosophie, une Machine a été créée voilà plusieurs siècles dans le but de tester le degré de maîtrise et d'intégration de ladite Philosophie dans la pensée d'un individu. Chacun se voit décerné à la suite des « Jeux », selon leur propre degré - du plus bas au plus élevé - la chance de recommencer les épreuves, une fonction dans l'organisation sociale gérée par la Machine et pour les plus aptes : une émigration sur Vénus, éden libre fondée sur l'harmonie induite par l'intégration maximale des concepts non-A par sa communauté, au point que tous ne font qu'un dans leur propre individualité.

Sans que toutefois elle ne soit présentée comme telle, il est vrai – comme on me l'avait laissé entendre – que la société Vénusienne de van Vogt semble se rapprocher de ce que serait une société à l'état d'Anarchie ; qui rappelons-le : loin d'être synonyme de chaos et d'anomie, représente au contraire le plus haut degré de l'ordre, sans le pouvoir ; comme l'évoque la célèbre formule reprise par N. Baillargeon dans le titre de l'un de ces ouvrages (3).
Cependant, la Vénus de van Vogt n'est pas suffisamment explorée dans ce premier tome pour une analyse approfondie. Si globalement il s'agit d'une société où tous les membres sont égaux, vivent totalement libres et en parfaite entente vis-à-vis du bien commun, sans coercition d'aucune sorte (il n'y a évidemment pas besoin de police, d'armée…) : le survol se fait à bonne altitude sans donner l'occasion de creuser le détail.
Il reste intéressant néanmoins que l'auteur, dans son interprétation d'une intégration des concepts de la sémantique générale – ayant pour objectif de démultiplier la compréhension des Humains envers eux-mêmes et leur environnement – en soit arrivé à dépeindre avec une assez bonne approximation ce qui s'apparente à une société selon l'idéal anarchiste. La question demeure sur l'aspect volontaire - ou non - de ne pas en avoir fait explicitement mention (en ce qui me concerne en tout cas). N'oublions pas toutefois que l'Anarchisme n'a jamais eu bonne presse.

Ceci m'amène au second point qui touche à la critique politique qui structure l'ouvrage en filigrane. le roman date de 1945 dans sa version originale et on n'échappe pas à la mise en scène d'individus despotiques qui permettent évidemment à l'auteur Canadien de critiquer (à juste titre d'ailleurs) l'hubris du pouvoir, l'autoritarisme et l'inéluctable violence aveugle qui découle de l'ambition. C'est bien évidemment le « Communisme » – entendu dans son sens le plus courant et pourtant le plus faux – qui est en ligne de mire, notamment bien sûr, eue égard au « Bloc de l'Est » d'alors. Pour être honnête, il n'y a rien de transcendant dans la réutilisation des archétypes dominateurs et égotistes et pour le coup, quitte à lire une critique de ce que représenta en profondeur l'U.R.S.S., l'opus magnum d'Orwell conviendra bien mieux. Ceci dit, rien d'anormal dans ces thématiques pour l'époque, de nombreux auteurs y ont eu recours pour faire passer leur message, bien souvent superficiels et consensuels malheureusement.

Aussi il est dommage que Van Vogt n'ait pas cherché à approfondir un peu plus ces deux caractéristiques dans ce premier tome, car elles se répondent et auraient pu mieux entrer en résonance. Il faut attendre la post-face du second tome (Les Joueurs du Ā) pour que l'auteur revienne sur ses intentions dans sa conception de Vénus et qu'il critique nommément et vertement la Russie et la Chine totalitaires.

C'est un peu mon seul regret envers cette oeuvre (que je vais tout de même m'empresser de poursuivre) : traiter de questions conceptuelles intéressantes, qui m'évoque personnellement la « pensée complexe » d'Edgar MORIN, sans toutefois parvenir au bout de la démarche et à appliquer les préceptes épistémologiques de nuances et de profondeur induits par la Sémantique Générale dans une critique politique un brin moins sommaire et surtout plus curieuse de l'utopie désirable que représente Vénus en établissant le parallèle avec des courants de pensée existants, comme ceux de l'Anarchisme.

C'est avec un prisme très particulier que j'ai abordé cet ouvrage dont je ne regrette aucunement la présence dans ma bibliothèque, étant amateur de Science-Fiction. Je m'étais renseigné avant sur l'auteur, sur ce Cycle Des Ā, sur la Sémantique Générale et bien sûr, à propos de l'histoire-même pour tenter d'en estimer la teneur des thématiques et de leur traitement. Cette Vénus « anarchiste malgré elle » avait suscité ma curiosité car je recherchais – et recherche encore, avis à ceux qui ont lu jusqu'ici (merci) – des romans qui mettent en scène une société à tendance anarchiste. A ce sujet, il me vient d'ailleurs que j'aurai plutôt dû utiliser le terme « Libertaire » plutôt qu'Anarchiste, en toute rigueur sémantique.

Sur ce seul aspect, je reste encore sur ma faim (il me reste encore deux tomes néanmoins), mais sur le reste en revanche c'était un livre passionnant, qui se laisse difficilement refermé tant qu'il n'est pas terminé.


(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9mantique_g%C3%A9n%C3%A9rale
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Korzybski
(3) https://www.babelio.com/livres/Baillargeon-Lordre-moins-le-pouvoir--Histoire-et-actualite-d/12412/critiques/1697577
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