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Critique de Nastasia-B


UN POISON NOMMÉ WANDA...
Je dois reconnaître que je ne m'attendais pas, en démarrant la lecture de ce livre, à vivre un aussi bon moment. En effet, l'ouvrage avait, a priori, tout pour me déplaire ; j'étais mue surtout par la curiosité et le désir de ne pas mourir complètement idiote, plutôt que de m'attendre à être positivement surprise par cette narration.

Et PAF !, voilà qu'au tournant, un souffle étrange, un courant d'air particulier me ravive les sangs et le plaisir de la lecture me fouette.
Quelque chose comme le brûlant d'une flamme qu'on n'attendait pas qui nous consume l'âme autant que la raison pour nous illuminer d'une réflexion nourrie et d'un sourire polisson.

Leopold von Sacher-Masoch n'est pas un marquis de Sade et, bien que son nom soit à l'origine du terme masochisme, La Vénus À La Fourrure est le seul ouvrage " équivoque " qu'on puisse lui attribuer. Pourtant, il ne fait absolument pas l'apologie du masochisme dans ce livre, mais essaie plutôt de nous convier à réfléchir sur cette tendance inscrite en nous et ne réclamant qu'à être activée pour prendre des proportions horribles.

L'auteur, par ailleurs universitaire brillant et plutôt féru d'histoire, dresse un portrait psychologique admirable de cette espèce de ... comment dire... d'aliénation morale, qui, dans certaines conditions, nous pousse à accepter des châtiments inimaginables, laquelle acceptation pouvant disparaître lorsque ces conditions particulières disparaissent.

Il choisit de prendre le cas d'une souffrance volontaire suscitée par l'amour d'une personne vis-à-vis d'une autre, mais je suis assez convaincue que l'on pourrait étendre cette notion à d'autres types de souffrances volontaires auxquelles celui qui s'y adonne peut éprouver une certaine forme de plaisir. Je pense notamment à l'anorexie ou encore à la pratique de certains sports poussés jusqu'à l'abomination.

Le côté extrêmement ambigu de la chose est qu'un tiers puisse éprouver du plaisir à voir l'autre souffrir. Si l'on réfléchit bien, est-ce si différent notre comportement quand on trépigne de plaisir devant un cycliste en train de souffrir et de laisser ses tripes sur une bicyclette à escalader un col dans un délai à peine humain ou un boxeur se faire démolir la face et se relever à chaque fois pour s'en reprendre plein la figure et re-souffrir encore, et re-tomber, et se re-lever et ainsi de suite. (Je ne parle même pas des images de héros de guerre...)

Appliqué à l'amour, la chose peut avoir un côté très choquant, mais, ce livre à le mérite de nous montrer que cela n'est sans doute pas fondamentalement différent. Ici, Séverin nous explique comment il s'est volontairement infligé des souffrances inqualifiables pour jouir de son amour avec la belle et sulfureuse Wanda.

Dans un château ou belle demeure campagnarde perdue quelque part dans les Carpates, le narrateur, plutôt solitaire et asocial, fait la connaissance d'une jeune veuve que dans une sorte de délire, il associe à la statue de Vénus. D'abord timides l'un et l'autre, les deux âmes solitaires vont vivre des épisodes troublants la nuit, dans le jardin, la femme revêtue de sa fourrure...

Séverin se sent incapable d'une déclaration ordinaire et prétend qu'il désire être son esclave. Wanda, quelque peu titillée mais pas franchement amoureuse prend cette déclaration au sens figuré mais Séverin insiste. Il veut être son esclave, s'enchaîner à elle pour lui signifier combien il l'aime, quitte même à subir des mauvais traitements.

Chemin faisant, il l'enjoint carrément à lui infliger des coups car, dit-il, une excitation particulière est alors créée. Wanda, pas trop chaude au départ (n'y voyez pas de jeu de mots) se laisse prendre au " jeu " puis administre avec prolixité des châtiments corporels à son amant en y puisant, manifestement un grand plaisir.

Ce couple à relations asymétriques se déplace ensuite à Florence où le masochisme prend alors des proportions extrêmes. Il n'est probablement pas convenable d'en dire davantage…

Un autre aspect est évoqué dans l'ouvrage ; celui de la relation de dominance qui s'instaure entre les partenaires, l'acceptation de sa position de dominé et l'acceptation des violence pour ne pas perdre l'être cher. Ceci est réellement captivant d'un point de vue psychologique et je puis dire que j'ai quasiment lu ce roman comme un essai sur la question.

Cela nous questionne également et nous donne des éléments de compréhension de l'acceptation des violences subies par des enfants vis-à-vis de leurs parents. Aimant leurs parents et ayant peur de les perdre, ils acceptent tous types de violences, même les plus répugnantes et abjectes.

L'auteur, féru d'art et d'histoire, fait de nombres et diverses références soit au monde de la littérature (le Faust de Goethe, notamment), à la mythologie païenne grecque, à l'histoire des arts, sculpture ou peinture, en particulier la toile du Titien qui représente la Vénus à la fourrure. Sacher-Masoch s'appesantit, un peu comme un fil conducteur du livre, sur la symbolique de la fourrure, qui évoque à la fois la douceur, la chaleur, mais aussi et surtout la sauvagerie, les instincts primaires.

Bref, une lecture hyper intéressante, où Sacher-Masoch ne fait jamais dans le trivial, dans le gore ou dans la dépravation sexuelle, où tout ce qui est le plus insoutenable est traité sous le registre de l'évocation, de la suggestion, plutôt que de se complaire à décrire ces atrocités. Je le répète, l'auteur ne me semble pas un partisan du masochisme mais a pris le parti d'évoquer cette tendance comportementale si déroutante chez l'humain.

Une vraie découverte et un vrai coup de coeur pour moi, mais ce n'est bien sûr que mon avis, qu'il ne vous fasse pas de mal car il ne représente pas grand-chose, tout bien pesé.
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