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Critiques sur le theme : littérature espagnole (11)
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Un promeneur solitaire dans la foule

A travers de longues déambulations dans les rues de Madrid, Paris ou encore New-York, Antonio Muñoz Molina invoque les esprits des grands écrivains adeptes de la promenade et les restitue dans une immense flânerie littéraire virtuelle. Ce récit parsemé d'images et composé de fragments dictés par des titres de presse ou des slogans publicitaires, sortes d'aphorismes contemporains illustrant des scènes urbaines atemporelles, prend la forme d'un gigantesque collage qui peut tout aussi bien se lire dans le désordre, à la manière de ce merveilleux hasard qui guide toute promenade.

Les pensées de flâneurs célèbres comme Thomas de Quincey, Charles Baudelaire, Walter Benjamin ou encore Fernando Pessoa s'insèrent dans une fresque moderne, où les arts et le lyrisme le plus profond côtoient la précarité, les détritus, le terrorisme et les actes les plus sordides. L'écriture restitue avec fracas un monde urbain fait d'injonctions, dans lequel l'obsession de l'actualité et l'absurdité de la publicité à outrance sont si bien dépeintes qu'elles coupent le souffle et révèlent l'angoisse qui accable souvent l'auteur. Mais de toutes ces pensées prises sur le vif surgit également la beauté, celle qui sublime l'évanescence de l'instant, qui dévoile la légèreté de l'amour et qui incarne les trésors d'un passé toujours présent. La cohabitation de la beauté et de la laideur, allégorie de la ville moderne, est très justement incarnée dans ce roman et s'impose définitivement comme un matériau littéraire inépuisable et profondément vivant.
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Berta Isla

Dans les années 1970, avec pour arrière-plan la fin du franquisme, Berta Isla est une madrilène sans aspérités : elle est professeure de philosophie anglaise et est mariée avec Tomas Nevinson, un bel homme moitié anglais moitié espagnol. Son avenir semble s'annoncer heureux et paisible. Mais en 1982, Tomas disparaît en pleine guerre des Malouines. Bien sûr, Berta avait relevé des indices étranges à la suite de ses voyages professionnels : un comportement tourmenté, un mal être grandissant et, de plus, elle avait perçu que son poste à l'Ambassade du Royaume-Uni à Madrid n'était qu'une couverture. Elle s'était habituée à vivre avec les absences de Tomas, mais depuis ce jour de 1982, plus rien : Berta se retrouve seule, avec deux enfants en bas âge, et une pension de l'ancien travail de Tomas.
A quel point connaît-on ceux qui nous sont les plus proches ? Jusqu'où va-t-on par amour, par fidélité ? Comment revient-on, et revient-on vraiment ? Javier Marias nous promène pendant vingt ans au coeur de cette famille, de ce couple qui rappelle celui de Pénélope et Ulysse, avec un maniement du suspens hors-pair. Cette narration, élégante et virtuose mêle intrigue d'espionnage, peinture très fine de la psychologie, questionnements philosophiques.
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Béatriz et les corps célestes

La jeune Beatriz quitte Madrid pour aller poursuivre ses études de littérature anglaise à Edimbourg. En quittant sa ville natale, elle doit faire le deuil de la relation qui la lie à Monica, amie de longue date mais aussi idéal féminin fantasmé. Bouleversée par ce changement de vie, Beatriz se retrouve confrontée à un sentiment de manque et d'incertitude : Madrid lui apparaît soudain comme le souvenir d'une ville lumineuse à reconquérir, face à Edimbourg, trop uniformément grise à ses yeux. Surtout, le souvenir de Monica la hante et l'envoûte, redéfinissant sa perception du corps féminin et du désir amoureux. le trouble de Beatriz s'intensifie lorsqu'elle rencontre Caitlin, jeune femme éblouissante dont elle partage très rapidement le quotidien à Edimbourg. Tiraillée entre l'obsession irrésistible qui la lie à Monica et la stabilité amoureuse que semble lui apporter Caitlin, Beatriz évolue dans une confusion permanente, entre bisexualité et homosexualité, entre deux villes qui tour à tour l'attirent et la repoussent, entre quête de liberté et crainte de la solitude. A travers une écriture légère, sensuelle et volontiers poétique, Lucia Etxebarria dépeint avec finesse l'ambivalence et la complexité du désir féminin, reliant le corps à un imaginaire céleste qui oscille délicatement entre collisions ardentes et osmose amoureuse.
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Le voyage vertical

Julia demande à son époux Federico Mayol de quitter définitivement le foyer conjugal après cinquante ans de mariage, le lendemain de leur soirée de noces d'or. Elle souhaite se retrouver seule pour redécouvrir une identité qu'elle a vu s'effacer au fil des années, au profit de la carrière et de la personnalité écrasante de son mari, homme d'affaires ambitieux et nationaliste catalan convaincu. Un effacement mis en abyme dans ce voyage vertical, car Enrique Vila-Matas nous plonge non pas dans l'introspection de Julia, mais dans celle de Federico lui-même. le septuagénaire n'a subitement d'autre choix que celui d'entreprendre un long voyage sans retour, au cours duquel il prendra peu à peu conscience de sa solitude et de ses échecs: échec de son mariage, de sa relation avec ses trois enfants, de cet exil absurde et soudain au Portugal, après toute une vie à Barcelone.

Ce personnage, à la fois irritant et attendrissant, prisonnier d'une fierté obsessionnelle et aveuglante, mais finalement non dépourvu de sensibilité, devient par une subtile et troublante construction narrative le protagoniste idéal du roman de Pedro, jeune Sévillan venu s'installer à Madère pour se consacrer à l'écriture. Servie par un sens de l'humour et un art du récit remarquablement maîtrisés, la déroute de Mayol incarne en réalité un traumatisme profond et bouleversant : celui de toute une génération longuement et brutalement privée de culture et de libertés suite à la guerre civile espagnole.
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Le Bourreau de Gaudi

Amateurs de romans noirs et amoureux de Barcelone : ce roman est fait pour vous ! Servi par une écriture savamment cadencée et par une intrigue magistralement menée, le Bourreau de Gaudí, premier roman noir d'Aro Sáinz de la Maza, fait partie de ces livres que l'on ne parvient plus à lâcher au bout de quelques pages.

Le décor est planté dès le début : le corps d'un homme est retrouvé brûlé vif et pendu sur la façade de la Pedrera, monument emblématique du célèbre architecte Antoni Gaudí. Tout le monde se mobilise pour tenter de démasquer le coupable: policiers, juges, hommes politiques... Cependant, seule une personne semble pouvoir mener à bien cette enquête : l'inspecteur Milo Malart, aussi brillant et efficace que décalé et extravagant. Fort de méthodes peu conventionnelles mais résolument concluantes (ses émotions et ses intuitions sont les maîtres du jeu, n'en déplaise à ses collègues !), Milo Malart va progressivement résoudre les énigmes du crime de la Pedrera. Car ce crime effroyable est en réalité le premier d'une série de mises en scène toutes plus macabres les unes que les autres, révélant une fresque barcelonaise à la fois mystérieuse et inquiétante, à travers laquelle le narrateur pointe subtilement du doigt - et non sans humour - les aspects les plus sombres de cette ville aux mille visages, prise au piège de la démesure, de la corruption… et du génie impénétrable de Gaudí.
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Anna Thalberg

Dans un village de Bavière au XVIIe siècle, une jeune femme, Anna, est arrêtée chez elle et emmenée en prison où on l'accuse de sorcellerie sur dénonciation d'une voisine. Elle est interrogée par un terrible examinateur, Vogel, qui ordonne de la torturer jusqu'à ce qu'elle avoue. Quand son mari rentre, personne ne veut lui dire où est Anna et seul le curé accepte de l'aider à la retrouver.
Dans ce court récit qui frappe par son style original et sa forme particulière, une seule et longue phrase épouse le rythme de la course effrénée du mari dans la forêt, et le flot de pensées d'Anna. Un souffle puissant accompagne les dialogues entre les personnages, la narration alterne les points de vue et tient le lecteur en haleine. On comprend vite que le tort d'Anna est d'être une étrangère dont la beauté suscite le désir des hommes et la jalousie des femmes. Quand des malheurs s'abattent sur la communauté, cette femme rousse apparaît comme un être maléfique aux yeux des villageois superstitieux. Face à ses tortionnaires, Anna résiste et oppose son courage à la violence et la bêtise d'hommes tout puissants protégés par le pouvoir religieux. Bien qu'inspiré de faits réels datant du temps de l'Inquisition, ce roman du mexicain Eduardo Sangarcía regorge d'échos à l'actualité, démontrant que la haine envers les femmes demeure aujourd'hui encore une problématique centrale de nos sociétés.
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Une république lumineuse

Dans Une république lumineuse, le narrateur revient sur une terrible histoire survenue 22 ans plus tôt alors qu'il travaillait pour les services sociaux de San Cristóbal. Il dit vouloir donner sa version des faits de ce qui conduisit à la mort de 32 enfants. Pour cela il assemble tous les éléments pour éclaircir cette tragédie : reportages de l'époque, articles et compte-rendus d'experts, dossiers judiciaires, ses propres souvenirs et pressentiments. le mystère est renforcé par l'atmosphère de cette ville au climat tropical, à la chaleur étouffante, cernée de forêts luxuriantes et d'un fleuve inquiétant. San Cristóbal se caractérise par de profondes inégalités sociales et par la présence de différentes communautés. le quotidien de la ville est perturbé par l'arrivée d'un groupe d'enfants venus de nulle part, à la langue incompréhensible, aux jeux étranges et qui attirent les enfants de la ville. Ils sont très vite perçus comme une menace par les habitants. Les politiques et les services sociaux s'interrogent sur la façon de les appréhender : faut-il recourir à la force face à ces enfants qui perturbent l'ordre établi et contestent le pouvoir des adultes ? le narrateur est à la fois intrigué et fasciné par ces enfants qui remettent en question les idées reçues sur l'enfance alors que la violence qui s'exerce va culminer au terme d'une traque au dénouement tragique.
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Cette brume insensée

Simon Schneider, fasciné depuis toujours par le pouvoir polysémique des mots, décide de devenir “fournisseur de citations littéraires”. Un métier invraisemblable et poétique qu'il exerce seul dans la propriété familiale délabrée de Cadaqués. Son frère Rainer, parti à New-York vingt ans plus tôt, est quant à lui devenu auteur de romans à succès après plusieurs tentatives littéraires ratées en Catalogne. Alors que tout semble les opposer, Simon et Rainer sont ainsi indéfectiblement liés par la littérature. le succès fulgurant de Rainer ne cesse pourtant de questionner Simon. Est-il lui-même à l'origine de ce succès ? Ou est-ce Dorothy, la femme de Rainer, dont l'existence même reste à prouver ? Simon espère percer ce mystère en acceptant le rendez-vous que lui propose son frère à Barcelone suite au décès de leur père. L'occasion pour Simon de s'interroger sur le sens de sa vie, sur fond de révolte indépendantiste.

A travers le portrait de Simon, qui vit dans l'ombre d'un frère qui lui-même reste volontairement caché, Enrique Vila-Matas brille à nouveau par sa faculté à explorer les profondeurs de la création littéraire, mais aussi à écrire l'échec, la fragilité, le déséquilibre imminent, toujours sublimés par un savant mélange de mélancolie, d'humour et de sensibilité.
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Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate

Un quadragénaire plombé par une solitude extrême, une petite famille dans un quartier pavillonnaire de Madrid, une vieille armoire en chêne, une émission de télévision imaginaire et une forte dose de voyeurisme: voici les ingrédients de ce roman à la fois déjanté et inquiétant. Damián Lobo, le personnage principal, perd soudainement son emploi. Plus seul que jamais, il lutte contre une vie vide de sens en s'adressant à son interlocuteur imaginaire, Sergio O'Kane, présentateur d'une émission de télévision racoleuse. Mais le véritable point de départ de cette histoire loufoque est encore plus absurde : Damián Lobo vole une épingle à cravate portant les initiales de son confident imaginaire et se réfugie dans une vieille armoire chez un antiquaire pour échapper aux vigiles. Aussitôt vendue, cette armoire atterrit dans la chambre de Lucía et Federico, parents d'une jeune adolescente. Damián Lobo y élit domicile, et ne se contente pas de s'y cacher pour observer cette famille à laquelle il dérobe progressivement toute intimité : il prend en charge les tâches ménagères en leur absence et se complaît rapidement dans cette nouvelle vie de fantôme du logis. Il perd contact avec le monde extérieur et redoute peu à peu toute rechute dans la réalité... Débute alors un récit schizophrénique, dans lequel Damián Lobo ne parvient plus à faire la part des choses entre sa vie de parasite et sa perte totale de dignité, dont il prend peu à peu conscience... La plume rythmée et efficace de Juan José Millas signe un roman original, drôle et dérangeant, qui brouille joyeusement les frontières entre réel et virtuel et qui interroge avec légèreté et pertinence notre monde moderne, ses multiples dualités et leurs limites.
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Les tribulations de Maqroll le Gabier

Maqroll le Gabier, c'est comme un cousin de Corto Maltese: un marin bourlingueur, un aventurier ayant vécu mille vies à sillonner toutes les mers du globe et à descendre tous les fleuves. Tenancier d'une maison de passe, contrebandier en plein milieu d'une guerre civile, chercheur d'or, Maqroll s'embarque sans cesse dans des aventures si improbables, et souvent illégales, que même lui voit très rapidement qu'elles déboucheront sur une impasse. Mais c'est cette vie qu'il s'est choisie : sans souci du lendemain ni attaches. Alors il va au bout de son chemin, de sa vérité.

Alvaro Mutis, poète et romancier colombien, a écrit 7 volumes de ses aventures, toutes rassemblées dans Les Tribulations de Maqroll le Gabier, dont les titres, de la Neige de l'Amiral au Rêveur de navires en passant par Un bel morir, sont déjà une invitation. Sept courts romans qui peuvent se lire indépendamment mais dont la lecture complète est vivement recommandée pour s'immerger totalement dans le style envoûtant d'Alvaro Mutis, évoquant un long poème en prose, et dans la galerie de personnages qu'il déploie autour de Maqroll. Surtout, il serait dommage de se priver de la lecture du septième volume et de sa conclusion, belle et inattendue, qui modère le fatalisme et le sentiment d'échec qui accompagne si souvent Maqroll et achève de faire de ce magnifique cycle romanesque une expérience littéraire unique.
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Boulder

Boulder, la narratrice éponyme du roman d'Eva Baltasar, est cuisinière sur un cargo lorsqu'elle tombe amoureuse de Samsa ; farouchement attachée à son indépendance et à sa solitude, elle décide néanmoins de poursuivre leur histoire et s'installe avec elle en Islande. Leur amour est intense et sensuel, mais lorsque Samsa lui impose l'arrivée d'un enfant, leur couple se fissure ; tandis que le désir emporte la narratrice vers d'autres rives amoureuses, elle réussit pourtant à nouer un lien singulier avec l'enfant biologique de Samsa.
Dans une langue inventive et fiévreuse, Eva Baltasar déroule dans Boulder une histoire d'amour vibrante entre deux femmes, et explore le rapport au corps et à la sensualité, y compris quand l'harmonie amoureuse se rompt. Avec humour et lucidité, et dans une grande liberté de ton, elle écrit la diversité des rapports à la maternité qu'incarnent les deux femmes, entre fusion et distance revendiquée. Une somptueuse exploration du désir, du couple et de l'amour, illuminée par des images inventives et fulgurantes.
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