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    Sflagg le 20 août 2023
    Texte de franceflamboyant suite :

    Et ils m'ont cru. Lors de ce dîner, j'ai rencontré d'autres acteurs et actrices qui tenaient le haut du pavé à Paris et j'ai joué mon rôle. J'étais Ben, le beau Ben qui renaissait de ses cendres, le jeune bourreau des cœurs, celui qui galvanisait les spectateurs. On se bousculait pour me parler, on jubilait, on riait. Et moi, je donnais le change.
    -Des projets, oui j'en ai bien sûr mais vous savez ce qu'il en est : il faut savoir garder le silence, certaines fois...J'ai fait une pause, je me sentais mal mais me revoilà !
    -Tu sais, on s'est souvent dit qu'à dix ans, toi, tu étais déjà sur les plateaux ! Tu es un enfant de la balle ! Aucun de nous n'a de carrière aussi longue. Et aucun n'a rencontré les chocs qui ont marqué ta vie car on ne peut pas dire que tout ait été facile. Mais tu es là !
    Ils faisaient allusion au divorce douloureux des parents de Ben, à la perte lointaine d'une grande sœur et à des histoires amoureuses qui n'avaient pas collé. J'ai laissé s'installer sur mon visage une ombre de tristesse puis j'ai enchaîné:
    -Je suis là! Je renais de mes cendres, hein !
    -On t'attend sur les plateaux et sur la scène !
    -Et comment !
    Je les sentais convaincus.

    Pourtant, je vous mets en garde : je ne suis pas un mythomane. Qu'on m'ait pris pour un autre m'avait plu puisque c'était un autre séduisant et célèbre et ça vous pourrait encore me plaire une fois ou deux mais après ? Les articles de journaux, les portraits à la télé et les interviews, ça ne disait pas tout. Je finirais par me couper et je serais démasqué, non ? Quand je le serais, je savais ce que je dirais :
    -Dites les gars, qui m'a abordé ? Qui m'a pris pour un autre ? Qui a pris pour argent comptant tout ce que je disais ? J'ai fait du tort à quelqu'un en acceptant trois ou quatre invitations avec le gratin du cinéma ? Non puisque tout le monde a continué de me croire...Je n'ai rien pris à personne, moi, je vous ai juste vendu du rêve parce que Malandin, le vrai, il vous a échappés. Dope, dépression, ou les deux, qu'est-ce que j'en sais? Peut être qu'il n'est plus si sûr que le cinéma, c'est pour lui. Vous avez pris un étudiant en anglais de vingt ans pour le « Nouveau Gérard Philippe » ou je ne sais quoi. La faute à qui ? Je reprends mon rôle, celui du gars transparent. Celui de « Nouvel ange du cinéma français » est à prendre. Mais par moi, je ne suis pas acteur !
    Et bingo, au bout de deux mois (quand même), on a commencé à me regarder autrement, à avoir des doutes, à se poser des questions, à se téléphoner pour s'épancher et à ne plus m'inviter.
    -Tu en penses quoi?
    -Mais la même chose que toi!
    -Un faussaire alors?
    -Quelqu'un qui s'est fait passer pour lui.
    -Incroyable !
    Et soudain, on a compris.
    -Il nous a bien eus quand même. Dire que c'est un rien du tout et qu'on l'a pris pour lui !
    -Une ressemblance physique invraisemblable !
    -Et ce phrasé, cette façon de nous parler...
    -Et ces références à sa carrière !
    -Il était vraiment revenu parmi nous et c'était stupéfiant !

    Mais bizarrement, il n'y en pas un qui m'a dit quelque chose en face. Ah si « Nellie ». Elle a attendu et m'a vu seul.
    -Tu n'es pas Ben Malandin. T'es un petit malin, toi.
    -En fait, je m'appelle comme ça. On a le même nom. C'est ça et ma gueule, le quiproquo de départ.
    -Tu pouvais éclaircir tout de suite la situation...
    -Non, non.
    -Tu t'es fait valoir !
    -Vous y avez cru. Vous vouliez que je sois lui.
    -Nous voulions qu'il revienne, pas qu'on le singe.
    -Je ne l'ai pas singé.
    -Tu ne l'as pas fait revenir. C'est triste.
    -Mais non, pas tant que cela...
    Elle s'est agitée. Elle me toisait.
    -Ah oui ? La situation dans laquelle tu t'es trouvé te fait plutôt marrer, on dirait. Tu as menti, tu as trahi...
    -Non. J'ai remplacé celui de vos rêves le temps que vous avez voulu, non ? Et maintenant, je reprends ma vie invisible.
    Elle a paru interloquée.
    -Ah oui?
    -Oui.
    Au fond, je lui balançais quelque chose de juste.
    -Il Il est marrant ce mot qui pro quo...Qui contre qui, qui en guise de qui ou de quoi, qui et qui.
    Elle a haussé les épaules et est partie.

    Et cette vie passe-partout, je l'ai reprise. Je me suis coupé les cheveux, me suis habillé autrement et j'ai cessé de vouloir ressembler à cet acteur comme je l'avais toujours fait.
    J'ai repris mes études et décidé cette fois d'être sérieux. Mais vous savez quoi ? Ben Malandin, le vrai, il a fait une réapparition ! .On a annoncé son retour a Paris et il a été vu par son agent, plusieurs membres de sa famille et des amis acteurs. Ceux-là même qui m'avaient fêté à un moment... Il avait des projets concrets et allait en parlait à la presse. Et du reste, il a commencé à tourner un film sur la Côte d'azur. Et puis, tout d'un coup, il a disparu. On a cru à un accident puis à un nouvel accès de dépression et on l'a cherché, cherché et on n'a rien trouvé. Est-ce qu'il avait prémédité de disparaître? Non, à priori. Dans son appartement parisien, il avait laissé tous ses effets et de l'argent donc, il partait pour peu de temps. Seulement voilà, ça faisait deux ans déjà qu'on le cherchait; Impossible de mettre la main sur lui malgré les recherches entreprises par la police, les signalements donnés par sa famille, l'agitation des médias, l'incrédulité du petit monde du cinéma. Disparu ! Envolé ! Pas un indice. S'il était vivant et qu'il se cachait, il était adroit car ses comptes bancaires ne bougeaient pas. S'il était mort, aucun indice et surtout, pas de cadavre.
    On m'a un peu embêté un temps avec cette histoire-là. La police.
    -Vous vous êtes fait passé pour lui..
    -Oui, ça n'a pas duré longtemps. Une gaminerie...
    -Un jeu étrange et déplacé.
    -Je le reconnais. Mais en même temps, je ne lui ai rien pris
    C'était exact. On m'a fichu la paix. J'étais devenu obscur de toute façon. Mes études d'anglais marchaient bien, je faisais des petits boulots à côté et j'étais désormais pet setter. A Paris et à Londres. Je promenais des toutous de tout acabit.
    Et je repensais à cette histoire. Ben Malandin ! Je m'en voulais d'avoir joué à être lui être lui à un moment où il allait sans doute mal mais il fallait me comprendre aussi. Pendant des années, on m'avait bassiné avec ma ressemblance avec lui, on m'avait même conseillé de m'habiller comme lui. Forcément, il n'avait pas suffi de grand chose pour que je joue un drôle de jeu. J'avais aimé me sentir une jeune star... Mais ce type de quiproquo, c'était fini. Je ne pensais pas que, désormais, on m'arrêterait dans la rue pour me dire :
    -Ah mais ça alors ! Ben ! Ben Malandin...
    Non, il n'y aurait plus personne du monde du cinéma ou du théâtre qui ne me dirait ça, car l'intérêt avait été là.

    Mais bizarrement, il s'est encore passé quelque chose. Depuis quelque temps, on m'interpelle sur internet, quelqu'un qui a mon adresse mail. C'est quelqu'un qui dit être cet acteur dont j'ai, pour peu de temps, pris l'identité. Il ne dit pas où il est et comment il vit mais ses messages prouvent qu'il est vivant. Il sait ce que j'ai fait, s'en amuse, dit que c'était un bon travail d'acteur et que, du reste, je pourrais bien faire des études en ce domaine. Il suffirait que je m'affirme, ait une coupe de cheveux différente, m'habille autrement et n'ait plus le même phrasé. Selon lui, ça suffirait à nous distinguer. A condition bien sûr que je prenne un pseudonyme...
    Il écrit, il écrit et moi, je n'y comprends rien. Si c'est lui et qu'il est mort, on est chez les fantômes; s'il est vivant et qu'il me contacte, c'est qu'il est cynique et manipulateur. Que veut-il vraiment? On dirait qu'il veut se sentir moi et moi, lui. On nous croiserait dans des lieux différents, de nouveau il y aurait un quiproquo. Mais un double, cette fois.

    Est-ce vraiment lui ? Un des acteurs que j'ai dupés? Son ancien agent? Cette Nellie qui ne m'avait pas à la bonne ?
    Je n'en sais rien.
    Non, je n'en sais rien.
    Et j'ai peur.
    Sflagg le 20 août 2023
    Suite à l'ambiance qui se détériorait et tout particulièrement dans le défi de Mai 2023 et après de âpres discutions, de nouvelles règles sont mises en place, comme le fait de ne plus prendre en compte que le 1er texte publié, le fait de ne plus polluer le fil du défi en cours avec des blablas hors-sujets et surtout, ne pas faire de critiques trop acerbes, voir méchantes.   j'avoue que chercher les résultats et le gagnant au milieu de ces 23 pages ne fut pas chose aisé.

    Mai 2023 : Voyager dans le temps
    Organisateur-trice : juliebabelio
    Gagnant·e : Coparo
    Nominé·e·s : GaLim, Alexbeauregard, Morphil, Snoopythecat, marlenewriter, soso22300, Fifiwastaken et Walex

    La grande traversée. De Coparo :

    Qui étais-tu ?
    Qui étais-tu sur cette minuscule photo aux bords crantés,
    Dans ce berceau, à l’aurore de ta vie,
    Enfant premier de l’amour que l’on met à l’arrière de la Dauphine,
    Pour ne pas encombrer ?
    Qui étais-tu sur cette photo où tu pars à l’école à pied à deux ans et demi
    Seule sur la route dans ta petite robe chasuble grise cousue par ta maman,
    Avec deux gros boutons devant, et ton petit chemisier immaculé,
    Ton minuscule panier battant sur tes chaussettes blanches ?
    Qui étais-tu sur cette photo à la montagne, en réunion de famille,
    Petit être de cinq ans assis sagement les jambes croisées,
    Oisillon maigrichon en pantalon et en gilet,
    Un petit bandeau blanc sur la tête,
    Féminine déjà,
    Ecrasée par les figures adultes,
    Souriante et berchue, sensible et perdue ?
    Mais qui s’en soucie ?
    Qui étais-tu sur cette photo à la campagne,
    Dans cette bassine avec tes quatre frère et sœurs ?
    Aînée qui retient la dernière si potelée et si dodue,
    Toujours le sourire aux lèvres,
    Mais au-dedans ça pulse,
    Ca pleure, ça crie, ça souffre de solitude et de manque d’affection ?
    Qui étais-tu sur cette photo au bord d’une barrière en bois,
    Nourrissant une poule juchée sur la balustrade, avec ta sœur cadette ?
    Qui étais-tu,
    Très grande enfant à queue de cheval et frange ravagée,
    Souriante, innocente, naïve, champêtre, un peu ridicule ?
    Tu as mis dans tes cheveux des fleurs roses qui pendent sur le côté,
    Et au-dedans tu cries « Aimez-moi, je voudrais être aimée ! ».
    Qui étais-tu sur cette photo en Italie,
    Dans ce mariage où nous sommes tous endimanchés,
    Cinq beaux enfants groupés et toi, si grande, gantée,
    Si sérieuse, si responsable ?
    Tu as l’air d’être leur mère et entoure les épaules de la petite en manière de protection.

    Qui étais-tu ?
    Je te tends la main et je te dis « Ça va aller, tu vas t’en sortir, tout ira bien ! »

    Qui étais-tu sur cette photo où tu joues à l’élastique et saute le plus haut possible ? « Lynx, tu es ma gazelle ! ».
    Qui étais-tu sur cette photo, baba cool, rebelle, féministe, idéaliste henné et patchouli qui scie du bois en sabots fourrés, des cheveux immenses serrés dans un bandana turquoise, flottant dans un grand pull ? Intransigeante, exigeante, farouche, sauvage. Et pourtant si douce.
    Qui étais-tu sur cette photo dans le grand bureau de ton père le Directeur, qui te remonte les bretelles parce que tu dois aller à l’oral du bac. « Pourquoi nous fais-tu ça ? » Oui, pourquoi, toi qui as tout pour toi, douée, intelligente, sportive, intuitive, mais qui se croit une ratée, une nullité, une incapable, une indigne, sans confiance, pourquoi toutes les réussites te semblent-elles hors de portée et seulement pour les autres ? Pourquoi te sens-tu si fragile, indéterminée, indécise, influençable, désorientée, impuissante, dans le doute et la confusion dans cette fuite en avant ?
    « Vous êtes née sous le signe de la rupture. »
    « Tu n’es pas habitée. »
    « J’existe ! Regardez-moi ! Parlez-moi ! Ecoutez-moi ! »
    « Il doit quand même bien y avoir une place pour toi, dans ce monde ! »
    Oui, mais tu ne la trouves pas, et tu ne sais pas où aller.
    A l’école tu restes dans ton coin avec tes bouquins, les autres sont en bande, tu ne sais pas nouer des liens, tu t’y prends mal, tu es maladroite, tu tends la main et tu prends des claques, tout t’affecte, tu n’as pas d’amis, souriante et solitaire tête-à-baffes, ne voulant pas d'une vie ordinaire.

    Qui étais-tu ?
    Je te tends la main et je te dis « Ça va aller, tu vas t’en sortir, tout ira bien ! »

    Qui étais-tu sur cette photo de tes dix-huit ans, triste à pleurer toute la journée, à fleur de peau, accablée de chagrin par les cadeaux familiaux. « Mais qu’est-ce qui te manque ? Tu as tout ! »
    L’argent ne remplace pas l’amour ni l’estime de soi. Jamais.
    Qui étais-tu sur cette photo de sportive, corps d’acier affuté, tapant dans le ballon ou la balle, incapable de te réjouir d’être championne, ni de parler de toi ?
    Qui étais-tu sur cette photo au mariage de ta sœur, élégante et émaciée, te noyant dans le chagrin de ta première rupture, comme au bord de mourir, te débattant dans les tempêtes de l’amour, de bonheur en creux de vagues, de passion brûlante en calme plat du désamour, toujours dans la peur du couple et des enfants, fascinée par une inaccessible idée de l’amour et les hommes très beaux ?

    Qui étais-tu ?
    Je te tends la main et je te dis « Ça va aller, tu vas t’en sortir, tout ira bien ! »

    Qui es-tu ?
    Qui es-tu sur cette photo où on te voit en classe, enseignant, au tableau. On t’appelle « Figure de style », tu souris, après des années d’errance et d’instabilité, tu t’es enfin engagée dans l’enseignement, tu as de grands idéaux, tu crois qu’on peut grandir par la connaissance, tu crois qu’on peut aider les jeunes à se connaître et à se trouver. Tu as traversé les océans avec ta seule valise, tu as laissé tes grands amours derrière toi, tu es repartie en terre vierge, avec tes erreurs, tes joies, tes réussites, tes échecs, tes chagrins, tes manques et tes colères, et tu as continué à devenir qui tu es, cet être que maintenant tu connais, fait de toutes ces expériences et ces chemins.
    Les mots que tu attendais sont enfin arrivés avant que les êtres chers ne disparaissent dans les flots de l’absence, tu as pu parler et comprendre, peut-être pardonner, et rire. « Quelle chance j’ai d’avoir eu une fille comme toi, je suis fière de ce que tu es devenue, nous t’aimons. Pardonne-nous si on t’a fait du mal !»
    Tu as atteint une forme de bonheur et de paix.

    Qui es-tu ?
    Je te tends la main et je te dis « Bravo, il t’en a fallu du courage et de la force, tu ne t’en es pas trop mal tirée, et tu as fait ce que tu as pu ! Maintenant tu sais qui tu es et de quoi tu es capable ! »

    Qui seras-tu ?
    Qui seras-tu, isolée sur l’île, face à ta mort,
    Nue et lavée de la grande traversée
    Dans l’acceptation de ta condition d’humaine
    Dans l’acceptation du Grand Voyage ?
    Qui seras-tu après ta mort
    Qui seras-tu dans le néant et dans l’ailleurs ?
    Que faire de ces tableaux inachevés, de ces manuscrits inaboutis, de ces proches, amis et amants perdus ?
    Comment accepter que le corps s’affaisse ?
    Comment accepter de ne pas laisser de trace ?
    Comment vivre la beauté de l’inaccompli ?
    Comment accepter que cela n’ait, au fond, plus tellement importance ?
    Être heureux d’une fleur qui pousse, de quelques pas sur la grève au ras des vagues, du vol du paille-en-queue, de moments partagés,
    D’un peu de douceur et d’autodérision,
    Et de fébrilité.
    Tu veux encore vibrer,
    Toujours en quête d’amour et d’affection.
    Tu as fini de payer et d’embellir ta maison
    Et tu organises tes funérailles.
    Qui s’occupera de toi ?
    Qui te tiendra la main jusqu’à atteindre l’autre rive ?
    Qui lancera tes cendres au bout du phare ?

    Qui seras-tu ?
    Je te prends la main et nous avançons ensemble la tête haute
    Pour aller au bout de la force de vie
    Et accomplir la grande traversée jusqu'aux confins du monde.
    Sflagg le 20 août 2023
    Juin 2023 : Et si c’était vrai ?
    Organisateur-trice : juliebabelio
    Gagnant·e : JonathanCollet
    Nominé·e·s : SarM, GaLim, voloskine, Cathye et nicodrummer 

    Et si tout cela était vrai ? De JonathanCollet :

    Accueillir un nouvel élève en cours d’année est une expérience particulière pour tout professeur, d’autant plus si cet élève est porteur d’une « particularité » qui peut potentiellement en faire la cible de tout le lycée.

    La jeune professeure d’Histoire-géographie c’était renseignée toute la soirée précédente mais ne parvenait pas à extirper de son esprit les récentes déclarations du président concernant le « problème ». Lorsqu’elle arriva au troisième étage, elle constata que le nouvel arrivant l’attendait comme convenu devant la salle C33. Il serrait fermement la rambarde en métal qui surplombait le hall central, tentant certainement de se rassurer.

    Rosie s’approcha de l’adolescent et se retint de lui taper sur l’épaule pour signaler sa présence puisqu’il ne semblait pas l’avoir remarqué. A la place elle parla aussi doucement que possible pour ne pas le surprendre :
    - Tu dois être Angus, le « petit nouveau » que nous attendions. Viens, je vais te présenter au reste de ta classe.
    Le jeune homme ne répondit pas, il semblait perdu dans ses pensées, se répétant mentalement ce qu’il allait dire pour se présenter. Il avait décidé pour une fois d’être lui-même, que cela plaise ou non. Lâchant la rambarde il suivit sa professeure en gardant le regard baissé pour éviter tout contact visuel inutile. Toute sa vie on avait vu Angus comme un être différent, toujours un peu à l’écart. Souvent moqué, rejeté voir…considéré comme un « problème ». Les êtres humains voient souvent comme un problème ce qu’ils ne comprennent pas…et lui, ils ne le comprenaient absolument pas. Peut-être que cette fois ce serait différent.

    Angus s’était installé au fond de la salle et focalisait son attention sur la voix de Rosie qui faisait l’appel avant de laisser quelques minutes la parole a ce nouvel arrivant.
    Le brouhaha de la classe l’épuisait déjà mais il savait que cet effort était nécessaire s’il voulait un jour être enfin accepté.

    Rosie termina l’appel puis invita son nouvel élève à venir se présenter. Le jeune homme se leva sans un mot et traversa la salle sans jamais lever les yeux.
    Angus se plaça devant le premier rang, ferma les yeux un instant, respira profondément et déclara aussi clairement que possible :
    - Bonjour à tous et toutes. On m’a demandé de me présenter alors…c’est ce que je vais faire ! je m’appelle Angus et d’après les médecins….hum….humains…je suis sur le spectre de l’Autisme ce qui en sommes signifie que mes réactions ou mes actions vous serrons parfois incompréhensibles tout simplement parce que ma construction neurologique est….différente de la vôtre. De plus je souffre d’hyperacousie, tous les sons qui sont pour vous normaux, sont…beaucoup plus forts et agressifs pour moi. Le truc paradoxal…c’est que là d’où je viens, c’est les gens comme vous, les neurotypiques, qui étiez considérés comme…différent.
    - Et d’où viens-tu Angus ? le coupa Rosie soudainement intriguée non seulement par les propos de l’adolescent mais aussi par sa soudaine volubilité.
    Angus reprit toujours aussi calmement et clairement, comme il l’avait répété de nombreuses fois, seul avant de le faire à cet instant précis :
    - Je…Je viens d’Autiston, une lointaine planète aujourd’hui détruite, autrefois peuplée d’êtres comme moi, que vous auriez jugés différents ou « problématiques ». J’ai été envoyé sur cette planète en témoignage du fait que vous n’êtes pas seuls dans l’univers et que vous êtes très loin de représenter la « normalité ». je me terrais sur mes…capacités et bien sûr je ne m’attends pas à être cru…mais c’est pourtant là, la stricte vérité.
    Angus passa les trente minutes suivantes à décrire sa « planète » avec tant de détails que Rosie commença à se poser des questions. Elle chassa rapidement ses doutes, lorsque la salle entière se mit à rire et à se moquer. Elle ramena rapidement ses élèves au calme et demanda à Angus de retourner à sa place. Ce qu’il fit à nouveau sans dire un mot.

    La jeune professeur ne put s’empêcher durant le reste de l’heure de repenser à cette présentation…pour le moins surréaliste puis lorsqu’elle ouvrit la porte de la salle pour sortir à la fin du cour, son regard fut attiré par la rambarde à laquelle se tenait Angus une heure plus tôt…le métal y était enfoncé et on pouvait clairement y distingué la forme d’une main.
    La jeune professeure ne put alors s’empêcher de se demander…. « Et si tout cela était vrai ?! »
    Sflagg le 20 août 2023
    Juillet 2023 : La Fable
    Organisateur-trice : juliebabelio, MathildeSBabelio
    Gagnant·e : glegat
    Nominé·e·s : franceflamboyant, Vadrine, vibrelivre et Senna :

    La traversée. De glegat

    D’aussi loin qu’il puisse voir, c’est le même panorama qui s’offre à lui : une étendue plate, grise et sans végétation. Son instinct le pousse vers cet horizon pourtant peu engageant. Il avance avec difficulté sur un chemin râpeux, mal aisé, baigné par un soleil de plomb.
    Sur son dos, il porte un fardeau, mais il ne peut pas s’en défaire, sa vie en dépend. Il ne sait pas ce qu’il va trouver là-bas, tout au loin, mais une force l’anime. Il poursuit sa route obstinément, rien ne pourra l’arrêter. S’il reste sur place, il mourra.

    Peu à peu son organisme se dessèche, ses forces l’abandonnent, mais il doit avancer coûte que coûte. Il n’a plus l’ardeur de la jeunesse, pourtant son appétit de vivre est intact. Une main invisible l’a déposé sur cette terre pour qu’il accomplisse son destin et il sait que rien ni personne ne lui viendra en aide. Il n’est maître ni des circonstances, ni du lieu, ni du temps, mais il accepte les épreuves avec courage et résignation.
    Soudain, le sol se met à vibrer. Une pulsation de faible amplitude d’abord, qui s’intensifie pour devenir tremblement puis vacarme. Un vent puissant passe juste derrière lui. Un tourbillon le prend, l’enveloppe dans un souffle chaud. Puis le calme revient. Il peut continuer sa progression sous le soleil, sans se détourner. Il ne sait rien des forces obscures qui le manipulent, son monde est gouverné par les sensations, l’instinct est son seul guide.

    Après une éternité, il distingue enfin un paysage nouveau. Il se rapproche d’un humus verdoyant et ombré. Bientôt il sera à l’abri, il pourra se reposer, manger, boire. Encore un effort sur ce sol brûlant. Il arrive enfin au bout de son chemin. Il sent confusément qu’il a échappé à un danger mortel. Il aperçoit un lit de coquelicots au pied d’un gigantesque peuplier qui s’élance vers l’infini des cieux. Il s’allonge, il est inondé par une agréable impression de fraîcheur. Alors, il ouvre la bouche et commence à mâchonner le bord d’une feuille.

    L’escargot, au terme de son périple, ne pense à rien d’autre qu’à survivre, tandis que sur la route, une trépidation annonce le passage d’un nouveau camion.
    Sflagg le 20 août 2023
    Aout 2023 : En corps
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio
    Gagnant·e : Vibrelivre
    Nominé·e·s : enaro, charlene_bzh, GaLim, Qarrera et AngieAngele

    Habeam corpus. De Vibrelivre :


    Il y a belle lurette que les vers et les fourmis se sont occupés de mon cas. Comme quoi rien n'est jamais désespéré. Elles ont dû cravacher, les bébêtes, il y en avait, du poids, et du surpoids. Combien de fois n'ai-je pas entendu cette recommandation mortifiante, moi qui ne défendais pas mon corps contre des boudins de bonne chère et ne faisais point mourir mon embonpoint dodu à non souhait :
    _Tu devrais perdre quelques kilos, un ou deux, cinq, dix.
    Cette phrase, c'était comme si un ou deux, cinq, dix termites, supérieurs, mais qu'importe la qualification pour ce sujet, rongeaient la poutre du temple, grignotaient la charpente salie de mon amour-propre mortellement fripé. Une cousine bien intentionnée, comme l'envers du paradis, avait enceint mon corps élargi d'un ou deux, cinq, dix paquets de farine comme d'autant de répulsifs au superfétatoire nocif et kilotoxique.
    _Tu vois ce qui les leste et les lèse, tes articulations.
    Elle me travaillait au corps, me tourmentait. Je n'étais plus moi, ni même personne. J'étais une jarre à huile, avec des anses comme les hanches d'une mama d'Afrique et toute la disgrâce que présente une amphore qui n'est pas faite pour être amphore, façonnée comme un œuf, pansue, replète, inassouvissable, comme si ce vase, bouffi, renflé, en plus de ne pas être vase, n'avait pas de fond. Ample et bête, comme un bissac inerte, j'étais.
    Maintenant, je suis tranquille. J'ai cédé mon corps à la terre-mère, que je féconde. Je suis sans doute cette herbe qui volette au vent, légère, gracile, cette eau qui chatouille la quille de la barque aux oscillations douces, les yeux de la mouette qui pleure de désir à la vue d'un poisson gras et riche en omégas. Je contemple le ciel teinté d'un timide rose pâle qui n'ose prendre toute la place et se coince et laisse au bleu des pans opulents où s'épanouir. Je ne suis plus un lieu d'aisance, je me fonds pour mettre à l'aise les anses insoumises mises sous régime kilophobe.
    Je suis bien, sans gravité. N'être rien, être tout, invisible et partout, libre et sauvage, sans diktat directeur. Je me gorge d'air, me repais de vent, me goinfre de plénitude.
    Car j'aurais pu, par volonté de vengeance, devenir fantôme et hanter mes gendarmes et leurs contraventions pour excès de santé et délit de corps gros. Un spectre tout plat, comme dégonflé, sans formes et dénué de sex-appeal, d'un blanc maladif à force de privations et macérations, qui laisse derrière lui, si tant est qu'il ait un postérieur, des traînées de tentations, des corbeilles de calories, des fumets de charcutaille. Toute apparition se transforme en supplice, c'est pour les Tantales le parfum d'une glace, l'arôme d'un plat en sauce, le bouquet d'un barbecue. Le ventre se noue, la langue palpite, alors on court courir dans la lande, cette terre qu'on a mise au régime sec, laisser filer ses cheveux d'ange sur les genêts pulpeux qui ouvrent leurs boucles d'or au moindre toucher, envier les nuages en vapeur qui s'effilent comme de la barbe à papa, pristi, tout ce sucre, et on dévale le sentier des falaises étiques comme des corps décharnés et coupantes comme des langues frustrées.
    Mais je n'ai pas de volonté, je me laissais sans cesse aller, pas vrai, je vivais en sybarite, j'avais la langue chaleureuse et l'esprit pas du tout vindicatif.
    Tiens, on a parlé esprit. La plantureuse Colette, qu'une grue devait soulever de son fauteuil, elle avait trop de tendresse pour les chocolats, ne conserva-t-elle pas son formidable don d'observation, étoffé si cela se trouve par son appétit de rabelaisienne ogresse, qui s'assurait une sensualité pleine, libérée, sans restrictions ?
    Je ne suis rien, et je suis tout. Je m'empiffre d'immensité, je me soûle de liberté, je me gave de mon néant imposant et de mon rien balancé.
    Parfois ma cousine me passe sur le corps, troue en moi un chemin qui bée. Je suis partout. Je ne suis plus ce serpent d'eau qui ballotte mou dans la boue des flaques, je ne suis plus un ventre qui s'arrondit, poche inutile, par la démesure de mes caprices goulus. Je suis là sans y être, je suis et ne suis plus. Ma cousine est joyeuse : elle est allée au gymnase, aujourd'hui est son jour de jeûne, bientôt elle aura à acheter un autre maillot, le sien divorce, demandez-vous pourquoi, de ses os de seiche sèche qui saillent davantage et coupent sec plus encore. Maigre et vieille, elle est, très maigre et encore plus vieille, elle qui s'échine à tricher avec le temps, comme la cadavérique du peintre espagnol, se cambrent ses rides et ses fesses pendent comme les fanons d'un chanoine à la diète.
    _Jeûne, ma chère cousine, traque la chair, tu mourras tout de même, moi Mardi-Gras, et toi Carême. Aura-t-elle jamais connu la beauté parfaite des formes rondes ? La chair n'est pas triste. On ne comptera pas toutes ses livres. Un corps doit avoir du corps.
    Je ne suis rien, je suis tout. Je m'empâte d'ubiquité et d'absolu. Je suis l'intense. Je vis pleinement, particule jouissante, hors de toute loi et pesanteur. Immatérielle, l'esprit déchargé de toute brimade, et mon moi évanoui, je vis proprement l'allègement total. Je fais corps avec mon corps. Osmose excellente.

    Je suis fière d'être sphère
    Porteuse de toute envie
    Semence de chaque rêve
    Fuyant la drôle d'idée
    De n'être qu'un planisphère
    Lune pleine et rond soleil
    Monde mers terres et ciel
    Cercle de tous les possibles
    Anneau du cher extensible

    En corps même mort
    je vis, ris, encore
    Sflagg le 02 octobre 2023
    Septembre 2023 : Un idéal : suite et fin
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio
    Gagnant·e : JML38
    Nominé·e·s : Verteflamme, mfrance, EveLyneV et vibrelivre

    Sous les sunlights des tropiques. De JML38

    Un soleil de printemps éclaire les vitres de mon bureau. La femme qui me fait face est tout simplement sublime. Blonde, les yeux bleus, une taille de guêpe, des jambes interminables. Bref, l’idéal féminin tel qu’on peut le lire dans les romans où l’auteur décrit une femme fatale.
    « Fatale » est bien le terme approprié, puisque la belle vient de confesser avoir trucidé son mari pas plus tard qu’il y a quelques heures. On a beau être comme moi un vieux de la vieille dans le métier, un de ces détectives qui ont fait les beaux jours des séries noires, on n’en est pas pour autant habitué à ce type de révélation. Je reçois généralement des gens qui me demandent de retrouver une personne disparue et, dans de très rares cas, je recherche le coupable d’un meurtre. Mais que je reçoive le meurtrier en personne, en l’occurrence la meurtrière, j’avoue qu’il y aurait de quoi y perdre mon latin – dans la mesure, bien sûr, où cette langue morte me serait familière. Il n’y a donc pas que le latin qui est mort. Le conjoint de cette superbe créature l’est également et son assassin me demande tout simplement de faire disparaître le corps du délit.
    Je me retrouve face à un terrible cas de conscience, confronté à un affreux dilemme… Mais que cette femme est belle !
    Je lui demande plus de précisions. Sur le lieu de l’homicide. Sur le risque que le cadavre soit découvert avant mon intervention et, surtout, ce que j’ai à gagner dans cette affaire. Les réponses de la tueuse sont des plus alléchantes, son mari possédant dans un coffre dont elle connaît le code de quoi assurer quelques années à me la couler douce. De plus, elle ne semble pas insensible à mon charme et la possibilité qu’elle se la coule douce avec moi ne paraît pas totalement utopique. Je nous imagine déjà sirotant un gouleyant cocktail coloré sous les sunlights des tropiques, style : j’ai tiré le bon numéro à la loterie et je vous adresse mes meilleurs vœux d’une superbe plage de sable fin. Bref, tous les clichés que l’on peut lire dans un roman où l’auteur évoque la manière idéale de vivre avec un max de pognon et où la vie ressemble à une pub de la FDJ.
    Je pèse le pour et le contre. Le pour pèse son poids en euros. Le contre ne pèse que ce que peut peser le respect que j’ai pour une certaine éthique. Mon sens moral va très certainement en souffrir et je m’attends à avoir des crises de conscience que je devrai faire passer avec force cocktails colorés sous les sunlights. Le principal risque que je prends en choisissant le pactole du défunt n’est finalement que celui de devenir un peu plus alcoolique.
    Après une réflexion qui a pu paraître intense, mais qui ne l’a pas vraiment été, je donne mon accord à la jolie blonde pour la débarrasser de son encombrant colis.
    La logistique ne me semble pas insurmontable à concevoir. Il suffit d’appliquer les bonnes vieilles méthodes expliquant la manière idéale de se débrouiller en pareil cas de figure, disponibles dans tout bon roman noir qui se respecte. Agir de nuit ; charger dans le coffre d’une voiture le macchabée soigneusement enroulé dans un tapis ; le balancer suffisamment lesté dans un milieu aquatique profond ; effacer toute trace dans l’appartement. Une fois la phase théorique bien pensée, l’opérationnelle ne devrait pas présenter de difficulté majeure. Le véhicule est tout trouvé, la belle utilisant le 4x4 de son époux, celui-ci aura l’insigne honneur de voyager confortablement installé à l’arrière de son propre carrosse. Pour le reste, la région étant bien pourvue en plans d’eau, le choix ne sera pas trop compliqué pour décider de la destination finale du trépassé.
    Comme je sais recevoir, je propose à ma charmante cliente du jour de fêter notre deal avec quelques coupes d’un excellent champagne qui m’a coûté un bras, mais dont je ne regrette nullement l’acquisition à cet instant.
    Le vin pétillant aidant, l’ambiance se fait de plus en plus glamour et le canapé convertible risque de ne pas rester encore très longtemps en position repliée.
    Les images d’un film me viennent en mémoire. Belmondo et la sublime Jacqueline Bisset, sous les tropiques, lumière tamisée, musique douce… et un écrivain qui se projette dans ses romans populaires, s’identifiant à son héros, beau, invincible… magnifique : l’idéal masculin en quelque sorte.
    Bon ! C’est pas le tout ça ! J’ai à peine rédigé un chapitre. Pas terrible en plus. Pas satisfait, j’efface et je recommence à partir de la première phrase qui me plaît bien comme incipit.
    Il va falloir changer de braquet si je veux honorer mon contrat avec ma maison d’édition. Avoir bouclé le manuscrit avant la fin de l’année serait l’idéal, mon idéal du moment. Sinon, je vais subir une grosse pression de mon Thénardier d’éditeur pour tenir le délai imposé.
    J’allume une lampe pour apporter un peu de clarté dans ma tanière, me ressers un fond d’un whisky quelconque, et relis ce qui reste à l’écran en espérant enfin trouver l’inspiration pour écrire une suite... et une fin.
    « Un soleil de printemps éclaire les vitres de mon bureau. La femme qui me fait face est tout simplement sublime. Blonde, les yeux bleus, une taille de guêpe, des jambes interminables. Bref, l’idéal féminin tel qu’on peut le lire dans les romans où l’auteur décrit une femme fatale ».
    C’est définitivement pas terrible tout ça. Je suis loin d’avoir trouvé l’entame idéale de mon nouveau polar. Sur le mode parodique peut-être ?
    Sflagg le 03 novembre 2023
    Octobre 2023 : Ta rencontre
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio
    Gagnant·e : franceflamboyant
    Nominé·e·s : secondo, vibrelivre, mfrance, AsBody; voloskine et  Malaklazreq.

    A F. De franceflamboyant.

    Je ne me suis jamais souciée, sauf dans mes rêves, des lettres que je n’aurais pas reçues. A quoi bon regretter une missive que mon père ne m’a pas envoyée, une longue lettre de ma mère ou de mon frère ? Si jamais elles ont été écrites, ces lettres là sont perdues ; et si elles ont juste été rêvées, elles me resteront secrètes. Et au fond, ça ne fait rien. L’enfance et l’adolescence sont passées, les beaux moments familiaux que ces lettres auraient pu évoquer sont désormais situées dans un temps lointain, les heurts, les chocs, les disputes qui auraient pu traverser ces pages appartiennent désormais à mon histoire personnelle. De ce qui devait être dit sous forme de mots affectueux ou agressifs, rien ne m’est jamais apparu. Ces lettres imaginaires sont restées dans la boite aux lettres où vont toutes leurs sœurs : celle qui contient des courriers mentaux, qui jamais n’arrivent à leur destinataire.

    Mais pourtant, au fond de ma mémoire, il existe bien une lettre que jamais je n’ai reçue mais qui, pourtant, fait sens. Ce sera une amie perdue de vue ? Un amoureux lointain qui n’a pas osé se déclarer ? Ou au contraire, ce sera un être lassé de moi, qui m’a il y a bien longtemps, écrit des mots rageurs pour préférer plus tard les oraliser et parler fort au téléphone ? Non, ce n’est pas cela ? Alors, ce sera un de mes grands-mères, ma marraine, un professeur que j’ai admiré, une collègue de travail que j’appréciais beaucoup quand j’ai commencé à enseigner ? Non, ce n’est pas cela non plus. Resterait il une lettre qu’un jeune homme que je connaissais quand je vivais à Madagascar n’a pas su m’envoyer ? Elle m’annonçait sa mort prochaine. Désolée, ce n’est rien de tel.

    Alors, cette lettre que je n’ai jamais reçue, de qui pouvait elle émaner ? Qui avait bien pu la rédiger de façon si magistrale que non seulement ma vie mais celles de tous les autres pouvaient y être contenue ?

    Je vous laisse juge…

    « Chère F.

    Ta nature curieuse et si imaginative fait que les distances spatiales et temporelles ne sont pas des obstacles pour toi ; voilà qui me plaît ! Tu as quinze ans, tu te désoles de ne pas te reconnaître dans les magazines féminins de ton époque et ton visage, quand tu l’observes dans un miroir, ne correspond pas à tes attentes. Alors, tu lis. C’est bien car c’est ainsi qu’on découvre. Mes textes, de nature romanesque, sont des réseaux serrés ; ils offrent des pistes multiples, présentent des personnages dont les attitudes sont contradictoires et mon questionnement est plein de paradoxes. Tu buttes sur Charles Swann, ce grand bourgeois parisien qui aime tous les arts et tu ne comprends pas qu’il aime d’amour une demi-mondaine qui ne le vaut pas. Il ne faut être moral pour me lire, et pas trop jeune non plus. Tu as ces deux défauts, ce qui est malheureux et cet « Amour de Swann » te plonge dans l’embarras. Tu voudrais dire à cet esthète qu’il a mieux à faire que de poursuivre une femme sans moralité, dont les amis sont avec lui si dédaigneux ! Bientôt, tu es si agacée de ce livre que tu le mets de côté. Mais attention ! N'essaie pas de te lasser de me lire ! J’ai convaincu des milliers de lecteurs de ne pas abandonner. Tu es comme eux. Tu reviendras toujours à moi. A Combray, tu aimes la tante Léonie et ses madeleines et la mère que son enfant attend fébrilement pour son baiser du soir. Tu aimes Françoise, la bonne qui a son franc parler et tu t’attaches à cet enfant que l’adulte qu’il est devenu dépeint. De toute façon, je t’ai ferrée, tu ne pourras pas m’abandonner et moi, je saurai te convaincre de me lire. Au sortir de l’enfance, tu as été comme moi, désorientée. A l’adolescence, tu es entrée dans la saison des amours ; c’est une étape tout à la fois exaltante et déroutante. F., tu te reconnais dans mes longues phrases qui semblent ne jamais finir. Elles dépeignent ce garçon encore jeune qui découvre Gilberte Swann et ne comprend pas ce qu’elle veut, à Combray puis au parc Monceau. Elles le dessinent, un peu plus âgé, en Normandie, au Grand Hôtel de Balbec, quand il regarde, sur fond de mer, passer ses jeunes filles dont les visages semblent tout à la fois se fédérer et se séparer les uns des autres. Moi, je suis « Je » et « Il ». Tu le remarques et ceci sème la confusion en toi. Qui parle exactement dans mes livres ? Mais dans ta vie, qui parle ? Tu vois bien que je dis ce qui est. Fascination pour Gilberte, Fascination pour Albertine. Le petit « Je » se tend vers la peinture de ces jeunes filles et s’attarde sur leur singularité et leur mystère. Le grand « Il » s’empare de Marcel, le jeune héros, et le fait tantôt trouver des repères dans le domaine de l’amour, tantôt se perdre. Si tu y regardes bien, tu vis la même chose, toi qui, très tôt, se mets à écrire. Tu voudrais décrire un autre toi dans la périlleuse quête des amours naissantes, dans les rêves, les fantasmes, les illusions, les rendez-vous manqués, l’exaltation aussi quand viennent les premières approches et les premiers baisers…Bon, tu vois ! Mais attention, tu as quinze ans et je n’irai pas plus loin. Tu ne m’as pas encore découvert. Tu connais un peu ma vie et fort peu mon œuvre. Tu sais ma naissance dans une famille bourgeoise, mes études, ma vie de jeune prince des élégances puis mon entrée en écriture. J’ai eu le prix Goncourt en 1919 Pour « A L’ombre des Jeunes filles en fleur » et je ne cesse plus décrire. Je me cloître dans ma chambre de liège et je meurs. C’est un raccourci certes car ma vie a été riche, mais même celui-ci t’émeut. Mon œuvre littéraire, tu ne fais que l’aborder. Souviens toi, la lanterne magique du petit Marcel et les personnages qu’elle fait apparaître. Souviens toi des vitraux de l’église de Combray. Souviens toi de la Vivonne dont les eaux miroitantes me réjouissent, de Paris, des fiacres, de la Normandie, de la jeunesse et du langage des fleurs. Tu as déjà compris qu’en me lisant, tu t’interroges sur les fondements de ta propre existence ; et tu sens bien que je n’écris rien à la légère. Des plaisirs et des jours, je sais tout ; des intermittences du cœur, je sais tout. Du temps réel et du temps rêvé, je suis le maître. Tu sais le nom de mon grand œuvre et lentement, tu t’avances en terre inconnue. "La Recherche du temps perdu " est un vrai monde. Il t’englobe toi aussi.

    Courage F. ! Avance page après page. Ne te soucie pas de ce pourrait penser
    un lecteur ou un lectrice d'une lettre que je t'aurais écrite. Mais enfin, qu’a t’elle ? Quelle est cette dévotion littéraire adolescente ? A quoi bon nous la rappeler ? Et puis Proust, un géant de la littéraire et elle ! Il était mort avant qu'elle naisse ! Une lettre ? Quelle naïveté !
    Tu as la vie devant toi. Avec moi, la vie n’emmure jamais, sache le. Je te laisse toute à ta découverte.

    Pardonne moi mais je ne puis poursuivre. Je risquerais de devancer tes questions. Un jour lointain, tu ouvriras" Le Temps retrouvé". Tu auras cru faire une expérience déroutante et de nouveau, tu succomberas à la puissance de mes livres. Tu me reliras patiemment.

    A chaque page, je t’ attendrai. »

    Ton dévoué Marcel Proust.



    Cette lettre jamais envoyée et par conséquent jamais reçue, est pour moi réelle. Et contre cela, nul ne peut rien…C’est une rencontre. Une belle rencontre.
    C'est la tienne.
    Sflagg le 01 décembre 2023
    Novembre 2023 : Peurs instinctives
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio
    Gagnant·e : Cathye
    Nominé·e·s : charlene_bzh, SarM, vibrelivre, Darkhorse, voloskine.

    Qui a peur du grand méchant loup. De Cathye :

    L’angoisse la saisit, lui vrille l’estomac, sans crier gare. Une peur refoulée maintes et maintes fois qui pendant plusieurs semaines s’est infiltrée dans ses veines.
    Aussitôt, sa marche se fait moins dynamique, les jambes flageolantes. Plisse les yeux et sonde longuement les alentours.
    Rien, ni personne.
    C’est une belle journée d’automne et bien que le soleil n’atténue que peu l’ardeur de ses rayons, les couleurs vives de l’été ont cédé leur place à l’ocre jaune, au beige ou au rouge flamboyant. Et un orangé illumine la forêt.
    De chaque côté du chemin qu’elle suit maintenant, des chênes anciens, voire centenaires pour quelques-uns, s’élèvent, majestueux gardiens de tout un écosystème bruyant et vibrant. Leurs feuilles, dentelées, laissent choir les glands, un mets de choix pour les cervidés ou autres bestioles rampantes.
    Les marronniers, eux, sèment leurs bogues, de-ci, de-là, et certaines, éclatées, laissent entrevoir la peau luisante de leur fruit. La vision, fugace, de ces délicieuses châtaignes, grillées à la flamme de la grande cheminée chez sa grand-mère, la fait saliver.
    Elle s’attarde un instant, le visage levé vers le ciel, et se gorge d’air frais et pur.
    Un mélange de senteurs boisées, d’herbe fraîchement coupée et de terre humide, va et vient tel un fumet que le vent disperserait sous ses bourrasques.
    En se baissant, ses narines palpitantes perçoivent la saveur un peu piquante des baies muries sous la chaleur qui chasse la rosée encore présente sur les fougères.
    Elle écoute les oiseux s’ébrouer, tout en pépiant, dans les ramures feuillues. Et sous cette canopée généreuse qui dépose des ombres dorées, elle distingue le clapotis gracieux de la rivière qui murmure aux pierres, en contre-bas du promontoire sur lequel elle se promène.
    Elle soupire. Une exhalaison profonde. Comme un long regret.
    Un écureuil détale à son approche, puis s’arrête d’un coup, la fixe comme pour l’inviter à le suivre. Mais la belle ne réagit pas. Déçu, il file le long d’un tronc d’arbre. Et agite sa jolie queue en panache comme pour un aurevoir.
    Une larme glisse lentement le long des joues de Mathilde.
    Pourtant, l’air est chaud.
    Le bonheur ? Tardif, mais tellement désiré.
    A cette pensée, une poussée d’adrénaline toxique remplit ses pensées de fiel.
    Elle se souvient.
    Le miroir de la salle de bains lui renvoyait, chaque jour, l’ingratitude de son visage. Et cette réalité, qu’elle gommait sous des couches de crème teintée, comme pour faire illusion, révélait sa solitude. D’ailleurs, son compagnon ne s’y trompait pas et, souvent, la raillait. Il affirmait dans un câlin un peu trop appuyé « mais c’est gentil ».
    Agacée, un jour, elle s’est rebellée.
    Une fois !
    Une claque bien appuyée vint la calmer.
    Et l’effrayer.
    Alors, elle comprit.
    D’une stratégie redoutable doublée d’un esprit pervers et décomplexé, mêlant amour et violence, il l’écarta, dans un premier temps, pour mieux l’isoler ensuite. La déstabiliser, lui ôter ce bien précieux, la confiance en soi.
    Quoiqu’elle dise, quoiqu’elle fasse, s’entourer de mille précautions, aussitôt, les coups pleuvaient, la laissant sur le carreau. Mais pas trop, qu’elle ne consulte pas, ne s’absente pas. Et éviter ainsi les questions. Une ecchymose amène toujours une explication tandis que le bleu à l’âme, lui, commence ses ravages.
    Souvent, ses frayeurs lui collaient des sueurs, des frissons d’angoisse qui la tétanisaient.
    Comme en attente.
    Des cauchemars, aussi, la nuit.
    Seule, la responsabilité de son job restait son unique lien d’attache avec l’extérieur.
    Pourtant, très vite, elle apprend à déchiffrer la moindre expression sur le visage de son harceleur ainsi qu’à déceler, dans l’attitude imprimée à son corps, le signe avant-coureur qui pouvait tout faire basculer.
    Et ainsi à se protéger.
    De l’indicible.
    Épuisée moralement, toujours sur le qui-vive, elle n’attendait plus rien.
    Qui ou quoi la sortira de ce marasme ? De ce bourbier dans lequel, petit à petit, elle s’est enlisée, les entrailles dévorées de terreur.
    Qui ou quoi l’encouragera à franchir le pas ?
    Soudain, des rires éclatent, dans les sous-bois.
    Mathilde sursaute, regarde vivement autour d’elle. Puis sourit.
    Aujourd’hui, elle chemine, seule. Aussi, une présence, même inconnue, la rassure.
    Pourtant, elle sait qu’elle ne craint plus rien.
    Ni personne.
    Parce qu’elle le connaît bien, ce sentier, elle doit y prêter attention car les ornières ou les cailloux qui affleurent dans le sol, pourraient bien la mettre cul par-dessus tête.
    Qu’importe, elle est libre.
    Cependant, sous l’apparente décontraction affichée, son cœur palpite plus que de raison. Ses mains légèrement moites agrippent l’anse de son panier.
    Elle ne rêve plus.
    En apercevant, la clairière, tout au bout de l’allée, nimbée d’une douce lumière, elle ralentit son pas. De toutes façons, elle se sait en avance.
    Les grands ormes et les aulnes agitent leurs longues branches en une grandiose révérence.
    Elle se sent princesse.
    Elle rajuste sa cape, rouge, sur ses épaules, nuance qui sied bien à ses yeux couleur de miel, qu’elle porte sur un short en cuir rouge, les jambes galbées par de longues cuissardes noires. Un béret basque, couleur de feu, maintient comme il le peut quelques mèches savamment hérissées.
    Son teint diaphane rosit sous l’effort de son avancée.
    Mais ne serait-ce pas plutôt à la pensée de... ?
    De ce qu’elle acceptera pour la première fois ? Avec détermination ?
    Le soleil semble pâlir, à l’horizon, mais ne serait-ce pas plutôt sa vue qui se brouille sous l’émotion encore trop contenue.
    Elle se dirige maintenant d’un pas alerte vers la foule qui se densifie et au milieu de laquelle elle l’aperçoit.
    Non, l’avenir ne lui fait plus peur !

    Et le grand méchant loup, encore moins, le fouet qu’elle tient à la main devrait le dissuader d’approcher !

    PS : Respect pour toutes les victimes de violences.
    Sflagg le 02 janvier 2024
    Décembre 2023 : Faire, défaire, parfaire la fête
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio
    Gagnant·e : Coparo
    Nominé·e·s :franceflamboyant, GaLim, ChristianDecroze, vibrelivre.

    Texte de Coparo :

    ATTENTION ! AVERTISSEMENT AUX LECTEURS ET LECTRICES ! CERTAINS ELEMENTS DE CETTE HISTOIRE VRAIE SONT FASCINANTS, STUPEFIANTS, POIGNANTS, DERANGEANTS, HORRIFIANTS !

    LECTURE RESERVEE EXCLUSIVEMENT A UN PUBLIC ADULTE.



    Les Dessous de la Fête.

    Voici l’histoire stupéfiante de deux jumeaux anglais, Alex et Marcus Lewis, nés dans le Sussex dans les années soixante, grandissant heureux, confortablement installés dans leur manoir élisabéthain. Leur mère, Jill, femme au foyer satisfaite de son sort, de la classe supérieure, est peut-être descendante d’aristocrates. Cependant le père des jumeaux, John Lewis, meurt accidentellement peu de temps après la naissance des garçons. Jill se remarie quelques années plus tard avec un homme redoutable, froid et autoritaire, Jack Dudley, comptable, âgé de vingt ans de plus qu’elle, dont elle est la quatrième épouse, et ensemble ils ont deux enfants.

    Mais en 1982 l’impensable survient. Alex est victime d’un terrible accident de moto qui le plonge dans le coma. A son réveil il ne sait plus qui il est, il a tout oublié de ses dix-huit ans de vie et n’identifie qu’une seule personne : son jumeau Marcus. Il ignore qui est la femme assise sur une chaise à côté de lui -sa mère-, qui est l’homme qui les attend à la maison, et ne reconnaît pas non plus la cossue maison où il a grandi.

    C’est Marcus qui sera sa mémoire vive et qui réapprendra à l’amnésique qui il fut jadis. Alex a une totale confiance en son frère qui constitue son seul lien avec son passé. Sur une première photo il contemple sa mère très jeune et très souriante, ses cheveux bruns coupés au carré tenant fièrement ses deux fils bébés dans ses bras. Ils sont tous les trois dorés et en débardeur, rayonnants dans la chaude lumière de l’été.

    Puis Marcus lui raconte patiemment, petit bout par petit bout, leur vie de famille, les vacances à la mer avec leurs amis, leur vie douce au manoir, les voyages, la petite amie avec qui il a perdu sa virginité, leurs copains, et surtout les fêtes, les fêtes fastueuses, les fêtes incessantes qu’organise leur mère, toujours très entourée de gens haut placés, d’artistes, de personnalités qui fréquentent assidûment leur splendide maison en banlieue de Londres. Tout cela photos à l’appui.

    Dans leur mémoire retrouvée et commune leur mère est une femme flamboyante, excentrique, bruyante et fantasque, qui a de grandes mains et de grands pieds, et qui, bien qu’elle vienne d’un milieu strict et conservateur et ait reçu une éducation conventionnelle, mène la vie de bohème des Swinging Sixties. Et puis elle sait être très amusante, ce qui la rend extrêmement populaire auprès de tous les enfants. Alex apprend à l’aimer, parce que c’est sa mère, et il s’attache à elle un peu plus chaque jour, mais remarque que Marcus reste à distance.

    Ainsi Alex, en comblant les vides entre les souvenirs livrés par son frère, se réapproprie une enfance et une adolescence idylliques, même si quelques détails lui paraissent étranges dans leur vie quotidienne, comme le fait que les deux jeunes hommes n’aient pas le droit d’entrer dans la maison des parents dont ils n’auront jamais la clef, et qu’ils vivent à deux dans la petite maison du jardin.

    Mais les parents ne sont pas éternels. Le père meurt tout d’abord, puis la mère s’éteint en 1995 des suites d’une tumeur au cerveau. Alex a trente-deux ans. A la mort du père, comme de la mère, ceux-ci leur demandent pardon, ce que Marcus refuse de leur accorder, à la grande surprise d’Alex. D’ailleurs, il constate aussi qu’il est le seul à pleurer à chaudes larmes à l’enterrement de sa mère.

    Puis il faut vider la maison parentale. Et c’est en triant les objets de leur mère que la première révélation arrivera. Ils ouvrent ce tiroir de commode et tombent sur une photo d’eux, enfants. C’est une photo où ils ont une dizaine d’année, adolescents prépubères. Ils se tiennent debout, côte à côte, entièrement nus, et leur tête a été coupée. Des corps-objets. Chosifiés.

    Alex comprend aussitôt et demande brusquement à son frère s’ils ont été victimes d’abus. Marcus, pris de court, répond seulement dans un souffle : oui. Dans les armoires de leur mère on découvre des monceaux de jouets sexuels, des cadeaux et des lettres d’amoureux passionnés et haut placés ; de fortes sommes d’argent cachées dans des bocaux, ou cousues dans les rideaux sont mises au jour.

    C’est la fin de la fête.

    Alex n’en saura pas plus et ne parlera pas à son frère pendant six mois. Mais il cherchera avec courage à savoir, mènera l’enquête, investiguera, sans succès.

    Ce n’est que vingt années plus tard, alors que les deux frères travaillent ensemble dans la même entreprise, qu’ils ont chacun fondé une famille, qu’ils ont maintenant la cinquantaine, que Marcus, qui avait fini par croire lui aussi à la vie qu’il s’était réinventée, acceptera de livrer la vérité à son jumeau. Alex apprendra pourquoi il s’est vu, sur cette photo, seul dans la chambre commune de la petite maison du jardin dormir recroquevillé sur son lit étroit pendant que celui de son frère est vide. Leur mère, qui avait elle aussi des comportements déplacés avec ses fils, les livrait, toujours un par un, à ses compagnons de fête, et passait les reprendre au matin. Jusqu’à cette nuit où Marcus a dit non et a échappé aux griffes du prédateur chez qui il était. Il avait quatorze ans.

    Dans le documentaire britannique « Dis-moi qui je suis » de Ed Perkins (2019), Alex exprime son sentiment de trahison, Marcus s’explique sur ses motivations, sur son désir de préserver son frère de l’insoutenable et honteuse vérité, et sur son incapacité à la dire. Leur mère a échappé au châtiment, mais ce témoignage existe pour que le crime et la monstruosité ne restent pas impunis.

    Marcus ne pourra néanmoins pas parvenir à dire la réalité des choses à son frère les yeux dans les yeux. Il enregistrera une vidéo et Alex apprendra les faits devant un écran, sous le regard de son frère, et sous le nôtre, médusés par cette histoire incroyable dans laquelle l’amour fraternel a réussi à survivre.



    Saint-Pierre, le 11/12/2023
    Sflagg le 01 février 2024
    Janvier 2024 : 1+1=?
    Organisateur-trice : MathildeSBabelio et nathanaellebabelio 
    Gagnant·e : Broceliande2
    Nominé·e·s : nathlef06,Pilou, glegat et GaLim.

    1+1= de Broceliande2 :

    Antoine plus moi, ça fait trois : lui, moi et le couple que nous formons. Nous tenons mordicus à notre indépendance. Le couple fusionnel, non merci! La passion des premiers mois a laissé la place au plaisir d’être à deux tout en respectant nos propres besoins. Antoine s’épanouit, moi aussi, et notre couple se renforce.

    Ce bonheur à deux a porté fruit. Antoine est si heureux à l’annonce de cette nouvelle qu’il sourit de la tête aux pieds. Lorsque nous entendons les battements du cœur de Bébé dans le bureau du médecin, un déclic se fait : nous sommes des parents. Antoine plus moi, ça fait six : lui, moi, le couple que nous formons, papa, maman et Bébé.

    Cette grossesse, nous la vivons à deux dans un état d’émerveillement quasi-perpétuel. Au fil des semaines, nous suivons chaque étape de développement de Bébé pour savoir à quoi il ressemble et combien il mesure. Je perçois ses mouvements à la dix-huitième semaine de grossesse. Antoine les sent quelques semaines plus tard, les mains à plat sur mon ventre arrondi.

    Un jour, je ne sens plus Bébé bouger. Pendant deux interminables heures, je suis à l'affût de la moindre sensation dans mes entrailles, au cas où Bébé se manifesterait. Toujours rien. Les mains sur le ventre, le visage baigné de larmes, je vais voir Antoine. Pas besoin de dire un mot. Il a compris.

    Emmurés dans notre douleur, nous restons silencieux durant le trajet vers l’hôpital. L’échographie confirme que le cœur de Bébé ne bat plus. Je veux que le mien s’arrête aussi tant l’idée de vivre sans Bébé m’est insupportable. Antoine est mutique. Un personnage de cire.

    Assommée de médicaments, je donne naissance, quelques heures plus tard, à une petite fille. Elle est si jolie que nous l’appelons Émilie. Le corps médical a la délicatesse de nous laisser seuls avec elle pour l’accueillir, l’embrasser, la câliner. Lui dire adieu. Antoine plus moi, ça fait cinq : lui, moi, le couple que nous formons, papa et maman sans Bébé.

    Le chagrin a pris toute la place. Antoine et moi nous enfonçons dans un épais brouillard. Les jours sont gris, insipides. Aucun de nous n’a la capacité de soutenir l’autre. Je suis devenue une coquille vide. Antoine, méconnaissable, n’est que l’ombre de lui-même. Notre couple en souffre, mais il tient le coup. Antoine plus moi, ça fait encore cinq : lui, moi, le couple que nous formons, papa et maman en pointillés.

    Un jour, je redécouvre le bleu du ciel, le chant des oiseaux, l’odeur réconfortante du café, la chaleur du soleil sur ma peau. Je ferme les yeux quelques instants et savoure ces plaisirs que je croyais perdus à jamais. Antoine me demande pourquoi je souris. Je lui dis que la vie recommence. Les larmes aux yeux, il me répond qu’il ne sent plus rien depuis la mort d’Émilie.

    Je l’aide à se relever. Lentement. Doucement. À son rythme.

    Ce matin, il m’a regardée. Vraiment regardée. Et il m’a demandé si je voulais faire un autre enfant. Bientôt, Antoine plus moi, ça fera de nouveau six. Ou sept, si on attend des jumeaux.
    Sflagg le 01 mars 2024
    Février 2024 : Allumer la lumière
    Organisateur-trice : nathanaellebabelio
    Gagnant·e : CloClo92
    Nominé·e·s : SarM, glegat,  Maluciole et Vespering .

    Ombre et lumière de CloClo92 :

    Il marche le long de la plage, obstiné, malgré la crevaison, la fatigue, la nuit qui s’annonce. Deux idées rythment ses pas, trouver un réparateur pour son vélo, cela semble impossible ce soir, trouver un lit pour dormir, pourquoi pas. Dans le crépuscule du bord de mer, le rivage passe de l’incendie du ciel aux couleurs de cendre du sable. Le dernier rayon de soleil englouti dans l’océan, le randonneur rassemble ses forces, monte sur la dune, le dos à la mer, le regard vers les marais. Au-delà des oyats, une tache de vert se détache, et, au travers des feuillages, un toit, peut-être.

    Après une pause, un jambon-beurre acheté à une cabane sur le trajet, un peu mou et pourtant longuement dégusté à petites bouchées bien mâchées, un verre d’eau quémandé à un comptoir de bar, il recale le sac sur son dos, se laisse guider par l’odeur de résine et de bois. L’océan n’est plus qu’un murmure, la nuit engloutit les nuages. Toutes les couleurs ont disparu.

    Sauf une lueur, là-bas. Une luciole d’espoir qui joue à cache-cache avec les branches.

    Une fenêtre ? Ça voudrait dire une maison. Il pourrait tenter un coup de sonnette, demander un potage, n’importe quoi, quelque chose de chaud. Non, c’est un réverbère allumé sur une petite place déserte, il a l’air un peu bête devant une maison aux volets clos.

    « Encore une maison tellement secondaire qu’on n’y voit jamais personne » se dit le marcheur. Il fait le tour, à tout hasard, une porte mal fermée, une fenêtre disjointe, il pourrait passer la nuit à l’abri. Ah, le volet qui grince, là… D’un coup d’épaule, il amène son sac devant lui, le dépose à ses pieds, fouille les poches à la recherche d’une lame, il a bien un couteau dans tout ce fatras.

    - Ne cherchez pas, monsieur, c’est moi qui l’ai ramassée.

    La voix a des restes d’enfance, une silhouette gracile se détache sous le réverbère, un adolescent tout en jambes et en bras, « il me rappelle un peu mon fils » pense le randonneur.

    - Euh, oui…, je me demandais…

    Surtout ne pas avoir l’air surpris, laisser venir. Le jeune homme lui tend une clef.

    - Ah, vous l’avez trouvée ? répond Antoine d’un ton qu’il veut assuré, c’est idiot, j’ai dû la laisser tomber en partant.

    - Elle était là, près du banc, elle est sûrement tombée de votre sac, précise le jeune homme, qui ajoute :

    - Je peux entrer avec vous ? Seul, je n’ose pas.

    - Euh, c’est que…

    Un fugueur, c’est bien ça. Le jeune homme, presque un enfant, se veut rassurant :

    - Je me suis lancé un défi, me débrouiller, trouver où dormir, quoi manger, rien que les choses de base, quoi.

    Le randonneur s’apprête à expliquer, la panne, les heures d’errance, il n’est pas le propriétaire de cette maison, c’est une méprise.

    - C’est que ….

    Le jeune homme l’interrompt, sans doute par peur d’un refus.

    - Je ne vous dérangerai pas, la maison a l’air grande, vous avez bien un lit pour moi ?

    Antoine se tourne vers la porte, enclenche la clef, ça marche, coup de chance, elle n’était pas fermée à double tour. Les voici tous les deux dans l’entrée. Un rai de lumière descend l’escalier.

    - C’est bien ma veine, pense Antoine, il y a déjà quelqu’un.

    Suivi de son « invité » surprise, il monte doucement, le bois des marches craque, une silhouette toute en os et en angles se dessine en ombre chinoise.

    - Bonsoir, bonsoir, s’exclame le vieillard.

    Derrière lui se devine une pièce tapissée d’étagères aux objets bizarres, des lanternes, des chandelles à double mèche, des falots, des quinquets, des bougies.

    - Vous avez trouvé la clef, c’est un bon début. Oui, je sais, vous ne vous attendiez pas à me voir, n’est-ce pas ?

    - Euh non, répond Antoine.

    - Oui, tout le monde me croit mort. J’ai pris ma retraite il y a bien longtemps, alors que vous n’étiez pas né.

    - Moi, si, répond le frêle adolescent.

    - Ah bon ? répond le vieillard incrédule. Il sait bien qu’à son grand âge, beaucoup de visiteurs lui semblent de plus en plus jeunes, mais là, tout de même…

    - Oui, vous ne me reconnaissez pas ? dit le jeune homme en balayant l’étagère du regard.

    - Non, dit l’ancien, vous savez, à mon âge, on a des trous de mémoire.

    - Je suis allé vous voir il y a près d’un siècle. Vous êtes l’allumeur de réverbères.

    - Et vous, laissez-moi deviner…

    - Oui, je suis le Petit Prince.

    - Et vous ? demandent-ils en cœur en se tournant vers le randonneur.

    Antoine, d’abord sidéré, reprend vite ses esprits. Il n’y a pas de raison pour qu’il n’ait pas aussi sa part de magie.

    - Moi ? dit-il, euh, moi, je suis le dernier habitant de la planète Lux, la huitième de notre système. Elle… elle n’existait pas encore de votre temps.

    - Quel bonheur ! S’il vous plait, emmenez-moi la visiter, demande le Petit Prince avec enthousiasme, j’adore voyager.

    - Je peux venir avec vous ? demande l’allumeur de réverbère, je suis trop seul ici, et puis, vous voyez l’ampoule là sur la place ? Elle est trop haute pour moi désormais. Sur votre planète, j’allumerai vos réverbères.

    - Bon, d’accord, je vous emmène aussi, rassurez-vous, vous n’aurez plus à travailler. Sur la planète Lux, la lumière est éternelle.

    - Vous voulez dire qu’il n’y pas de coucher de soleil ?

    - Non, le soleil brille tout le temps, partout.

    - Sur ma planète, je voyais mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures ! dit le vieillard avec fierté.

    - C’est un peu trop non ? fait remarquer le Petit Prince.

    - Oui, je vous l’accorde. Quand j’ai pris ma retraite sur la Terre, j’ai eu du mal, mais je me suis habitué à n’en avoir qu’un par vingt-quatre heures.

    - Vous voyez, on s’habitue à tout, insiste Antoine.

    - Euh… vous voulez dire qu’il n’y a plus de différence entre le jour et la nuit ?

    - Non, je n’ai que des jours sans fin et pleins de soleil.

    L’allumeur de réverbères hésite.

    - Dans ce cas…. Dans ce cas, je préfère rester ici. Ce qui fait la beauté de la lumière, c’est son amie l’ombre.
    Sflagg le 02 avril 2024
    Mars 2024 : En forêt
    Organisateur-trice : nathanaellebabelio
    Gagnant·e : leoseba
    Nominé·e·s : GerdaLaBrave, agirlinindia, LauBerthe et SarM.

    Naturel de leoseba :


    C’est la dernière nuit que je passerai ici, dans notre maison, en plein cœur de notre forêt.

    Je suis maintenant une vieille dame et l’heure est venue de partir, partir pour une autre demeure, dans un autre paysage. Je ne suis pas triste, tout au contraire, je souris en me remémorant chaque souvenir. Combien d’années se sont écoulées, combien d’éclats de rires, de caresses, de baisers, tellement d’amour et d’harmonie. Dans ce paradis naturel, la vie a jailli sans se gêner, nous éclaboussant, nous émerveillant jour après jour. Nous vivions dans une toile de maître, ou les pinceaux plongeaient dans des verts, des bruns, des jaunes au gré des saisons. Nous profitions des plus beaux tapis de feuilles, de terre, de branches, de mousse soyeuse. Notre oxygène se fleurait des parfums des sous-bois. Notre silence résonnait de chants d’oiseaux, de cris d'animaux, ou du concert que nous proposait le vent quand il s’engouffrait dans la cime des arbres.

    Jacques est décédé il y a 2 ans maintenant et je suis restée ici, dans notre maison, dans notre cocon, là où nous avions choisi de vivre il n’y a bien plus de 60 ans. Construire notre cabane au milieu des bois et nous retirer loin de la ville, c’était notre rêve d'adolescent. Tous nos proches riaient, nous traitaient de hippies dégénérés, et ils s'accordaient à croire que nous reviendrions vite vers la civilisation. Mais non, nous sommes restés. De deux, nous sommes passés à quatre, la maison a grandi avec nous, la forêt nous protégeait, nous proposait ce magnifique terrain de jeu naturel où chacun d’entre nous s’épanouissait.

    Ne pensez pas que nous étions reclus, bien au contraire. Nous recevions des amis, des voisins, des inconnus, nous organisions des repas, autour de tablées immenses où nous buvions, fumions, chantions sous les étoiles, libres, et en harmonie avec notre élément. Tous nous enviaient sans oser faire le pas, s'imaginant ne pas pouvoir vivre sans, je ne sais pas, peut-être la modernité, la technologie, ne pas pouvoir vivre sans une règle établie… Je ne donnerais pas de leçons, et je n’affirmerai pas que nous avions raison ou tort. C’était juste notre choix, notre façon d’exister. Nous avons trouvé l’équilibre parfait, nos enfants ont grandi, ils sont partis pour de belles études et à leur tour ont fondés leurs familles.

    La vie s'est enfuie si vite !

    Passer des journées tous les deux tapis dans les buissons à observer les animaux évolués près de la rivière et passer la nuit tous les deux allongés sur la bruyère, observés à notre tour par les animaux curieux pendant que nous faisions l’amour, Jacques et moi.

    Il me manque !

    Deux ans que je vis seule, ici dans notre foyer. Je n’ai pas peur, mais ce n’est plus pareil. La forêt est un membre entier de notre famille, elle m’aime autant que je l’aime et m’abritera toujours, mais j’ai perdu Jacques, mon mari, mon ami, ma vie. Mes enfants pensent que je dois les rejoindre, vivre près d’eux pour qu’ils puissent veiller sur moi, que c’est plus sage. Ils ont raison. Je dois partir. Je leur ai demandé de me laisser cette dernière nuit, prendre le temps pour dire au revoir à cette nature merveilleuse, qui m’a tellement gâtée et continue de le faire encore ce soir, en m’offrant le spectacle d’une lumière de feu au coucher de soleil à travers le feuillage.

    Je retire mes souliers et avance vers notre chêne, celui où nous avons passé tous ces moments inoubliables, Jacques et moi, a discuté, rire, lire, à rêver ensemble, toujours en nous tenant la main, toujours en contact, toujours. Je m’assois contre le tronc puissant de notre arbre et enfonce mes doigts dans la terre, je plante mes racines. Les cendres de Jacques sont là, enfouies au pied de cet arbre, et je les rejoins. Je m’allonge, sur cette terre que j’ai sentie tant de fois contre mon corps.

    J’ai rédigé une lettre, que les enfants trouveront demain matin en venant me chercher. Je leur explique mon geste, je veux qu’ils comprennent. Ce soir, j’ai pris les cachets suffisants pour m’endormir et ne plus me réveiller dans ce monde. Je leur écris que je les aime. Et que j’aime la vie, que je la respecte et lui suis reconnaissante du bonheur qu’elle m’a servi. Mais, je ne quitterais pas ma forêt, je n’irais pas mourir ailleurs, je ne veux pas devenir un fardeau, je ne veux pas faire semblant de vivre. Je veux rester avec mon Jacques. Je veux que mes cendres soient enterrées près de mon amour au pied de notre arbre, dans ce paradis vert qui nous a donné la meilleure des vies.

    Fin
    Sflagg le 02 mai 2024
    Avril 2024 : À vélo
    Organisateur-trice : nathanaellebabelio
    Gagnant·e : Roberte53
    Nominé·e·s : Ana_historia, JulianAArdennes , konawonga, glegat, romaindavidcollin, leoseba et narco.

    Texte de Roberte53 :

    Je pédale, de plus en plus vite, j’ai l’impression de m’envoler ; une brise légère me caresse le visage et fait frémir ma peau. Cette douce sensation décuple mes forces, j’ai l’impression qu’il me pousse des ailes ; je prends de la vitesse avant d’aborder le faux plat de la route, c’est certain, je ne toucherai plus terre dans la prochaine descente. Je me sens décoller, j’ai l’impression que les hirondelles qui tournoient dans le bleu azuré du ciel de cette belle après-midi me font signe de les rejoindre.

    Après avoir évité les nids-de-poule d’une chaussée déformée, je vire à droite pour me retrouver sur un chemin forestier. Ivre de joie et de liberté, je respire profondément pour m’énivrer des effluves boisés qui émanent de ces bois denses et silencieux, peuplés d’invisibles gibiers et de géants feuillus. Afin de pouvoir admirer davantage la beauté des lieux, je ralentis le rythme et roule doucement, prenant le temps de m’imprégner de la beauté mystérieuse de cette immense forêt que l’on croirait abandonnée. Un coucou facétieux chante au loin, je me prends à son jeu et je lui réponds, en écho…

    Alors que je savoure cette délicieuse promenade sportive aussi bénéfique pour le physique que pour le moral, un renard traverse soudain à quelques mètres devant moi, je freine et met pied à terre. Il s’arrête à son tour, nos regards se croisent l’espace de quelques secondes, et le voilà qui repart droit devant lui. Quelle jolie et surprenante rencontre ! Mais l’heure tourne et je dois quitter à regret la douce et rafraîchissante quiétude des bois. Avant de bifurquer vers l’ennuyeuse départementale goudronnée, ouverte à tous les dangers, j’admire une dernière fois les rayons du soleil qui jouent à cache-cache entre les feuilles des arbres voluptueux, irradiant d’une lumière tamisée leur masse compacte démesurée.

    Je poursuis ma route, mon vélo n’est pas doté d’une assistance électrique aussi j’appuie davantage sur les pédales et m’élance pour gravir, en sens inverse, la petite grimpette déjà empruntée à l’aller. Cette fois-ci, le vent me pousse dans le dos et dans la descente, je ne freine pas, je roule encore plus vite et je n’ai plus qu’à déployer mes ailes pour aller rejoindre les hirondelles….

    Roberte Dupuy, le 13 avril 2024.





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