Sflagg le 20 août 2023
Texte de franceflamboyant suite : Et ils m'ont cru. Lors de ce dîner, j'ai rencontré d'autres acteurs et actrices qui tenaient le haut du pavé à Paris et j'ai joué mon rôle. J'étais Ben, le beau Ben qui renaissait de ses cendres, le jeune bourreau des cœurs, celui qui galvanisait les spectateurs. On se bousculait pour me parler, on jubilait, on riait. Et moi, je donnais le change. -Des projets, oui j'en ai bien sûr mais vous savez ce qu'il en est : il faut savoir garder le silence, certaines fois...J'ai fait une pause, je me sentais mal mais me revoilà ! -Tu sais, on s'est souvent dit qu'à dix ans, toi, tu étais déjà sur les plateaux ! Tu es un enfant de la balle ! Aucun de nous n'a de carrière aussi longue. Et aucun n'a rencontré les chocs qui ont marqué ta vie car on ne peut pas dire que tout ait été facile. Mais tu es là ! Ils faisaient allusion au divorce douloureux des parents de Ben, à la perte lointaine d'une grande sœur et à des histoires amoureuses qui n'avaient pas collé. J'ai laissé s'installer sur mon visage une ombre de tristesse puis j'ai enchaîné: -Je suis là! Je renais de mes cendres, hein ! -On t'attend sur les plateaux et sur la scène ! -Et comment ! Je les sentais convaincus. Pourtant, je vous mets en garde : je ne suis pas un mythomane. Qu'on m'ait pris pour un autre m'avait plu puisque c'était un autre séduisant et célèbre et ça vous pourrait encore me plaire une fois ou deux mais après ? Les articles de journaux, les portraits à la télé et les interviews, ça ne disait pas tout. Je finirais par me couper et je serais démasqué, non ? Quand je le serais, je savais ce que je dirais : -Dites les gars, qui m'a abordé ? Qui m'a pris pour un autre ? Qui a pris pour argent comptant tout ce que je disais ? J'ai fait du tort à quelqu'un en acceptant trois ou quatre invitations avec le gratin du cinéma ? Non puisque tout le monde a continué de me croire...Je n'ai rien pris à personne, moi, je vous ai juste vendu du rêve parce que Malandin, le vrai, il vous a échappés. Dope, dépression, ou les deux, qu'est-ce que j'en sais? Peut être qu'il n'est plus si sûr que le cinéma, c'est pour lui. Vous avez pris un étudiant en anglais de vingt ans pour le « Nouveau Gérard Philippe » ou je ne sais quoi. La faute à qui ? Je reprends mon rôle, celui du gars transparent. Celui de « Nouvel ange du cinéma français » est à prendre. Mais par moi, je ne suis pas acteur ! Et bingo, au bout de deux mois (quand même), on a commencé à me regarder autrement, à avoir des doutes, à se poser des questions, à se téléphoner pour s'épancher et à ne plus m'inviter. -Tu en penses quoi? -Mais la même chose que toi! -Un faussaire alors? -Quelqu'un qui s'est fait passer pour lui. -Incroyable ! Et soudain, on a compris. -Il nous a bien eus quand même. Dire que c'est un rien du tout et qu'on l'a pris pour lui ! -Une ressemblance physique invraisemblable ! -Et ce phrasé, cette façon de nous parler... -Et ces références à sa carrière ! -Il était vraiment revenu parmi nous et c'était stupéfiant ! Mais bizarrement, il n'y en pas un qui m'a dit quelque chose en face. Ah si « Nellie ». Elle a attendu et m'a vu seul. -Tu n'es pas Ben Malandin. T'es un petit malin, toi. -En fait, je m'appelle comme ça. On a le même nom. C'est ça et ma gueule, le quiproquo de départ. -Tu pouvais éclaircir tout de suite la situation... -Non, non. -Tu t'es fait valoir ! -Vous y avez cru. Vous vouliez que je sois lui. -Nous voulions qu'il revienne, pas qu'on le singe. -Je ne l'ai pas singé. -Tu ne l'as pas fait revenir. C'est triste. -Mais non, pas tant que cela... Elle s'est agitée. Elle me toisait. -Ah oui ? La situation dans laquelle tu t'es trouvé te fait plutôt marrer, on dirait. Tu as menti, tu as trahi... -Non. J'ai remplacé celui de vos rêves le temps que vous avez voulu, non ? Et maintenant, je reprends ma vie invisible. Elle a paru interloquée. -Ah oui? -Oui. Au fond, je lui balançais quelque chose de juste. -Il Il est marrant ce mot qui pro quo...Qui contre qui, qui en guise de qui ou de quoi, qui et qui. Elle a haussé les épaules et est partie. Et cette vie passe-partout, je l'ai reprise. Je me suis coupé les cheveux, me suis habillé autrement et j'ai cessé de vouloir ressembler à cet acteur comme je l'avais toujours fait. J'ai repris mes études et décidé cette fois d'être sérieux. Mais vous savez quoi ? Ben Malandin, le vrai, il a fait une réapparition ! .On a annoncé son retour a Paris et il a été vu par son agent, plusieurs membres de sa famille et des amis acteurs. Ceux-là même qui m'avaient fêté à un moment... Il avait des projets concrets et allait en parlait à la presse. Et du reste, il a commencé à tourner un film sur la Côte d'azur. Et puis, tout d'un coup, il a disparu. On a cru à un accident puis à un nouvel accès de dépression et on l'a cherché, cherché et on n'a rien trouvé. Est-ce qu'il avait prémédité de disparaître? Non, à priori. Dans son appartement parisien, il avait laissé tous ses effets et de l'argent donc, il partait pour peu de temps. Seulement voilà, ça faisait deux ans déjà qu'on le cherchait; Impossible de mettre la main sur lui malgré les recherches entreprises par la police, les signalements donnés par sa famille, l'agitation des médias, l'incrédulité du petit monde du cinéma. Disparu ! Envolé ! Pas un indice. S'il était vivant et qu'il se cachait, il était adroit car ses comptes bancaires ne bougeaient pas. S'il était mort, aucun indice et surtout, pas de cadavre. On m'a un peu embêté un temps avec cette histoire-là. La police. -Vous vous êtes fait passé pour lui.. -Oui, ça n'a pas duré longtemps. Une gaminerie... -Un jeu étrange et déplacé. -Je le reconnais. Mais en même temps, je ne lui ai rien pris C'était exact. On m'a fichu la paix. J'étais devenu obscur de toute façon. Mes études d'anglais marchaient bien, je faisais des petits boulots à côté et j'étais désormais pet setter. A Paris et à Londres. Je promenais des toutous de tout acabit. Et je repensais à cette histoire. Ben Malandin ! Je m'en voulais d'avoir joué à être lui être lui à un moment où il allait sans doute mal mais il fallait me comprendre aussi. Pendant des années, on m'avait bassiné avec ma ressemblance avec lui, on m'avait même conseillé de m'habiller comme lui. Forcément, il n'avait pas suffi de grand chose pour que je joue un drôle de jeu. J'avais aimé me sentir une jeune star... Mais ce type de quiproquo, c'était fini. Je ne pensais pas que, désormais, on m'arrêterait dans la rue pour me dire : -Ah mais ça alors ! Ben ! Ben Malandin... Non, il n'y aurait plus personne du monde du cinéma ou du théâtre qui ne me dirait ça, car l'intérêt avait été là. Mais bizarrement, il s'est encore passé quelque chose. Depuis quelque temps, on m'interpelle sur internet, quelqu'un qui a mon adresse mail. C'est quelqu'un qui dit être cet acteur dont j'ai, pour peu de temps, pris l'identité. Il ne dit pas où il est et comment il vit mais ses messages prouvent qu'il est vivant. Il sait ce que j'ai fait, s'en amuse, dit que c'était un bon travail d'acteur et que, du reste, je pourrais bien faire des études en ce domaine. Il suffirait que je m'affirme, ait une coupe de cheveux différente, m'habille autrement et n'ait plus le même phrasé. Selon lui, ça suffirait à nous distinguer. A condition bien sûr que je prenne un pseudonyme... Il écrit, il écrit et moi, je n'y comprends rien. Si c'est lui et qu'il est mort, on est chez les fantômes; s'il est vivant et qu'il me contacte, c'est qu'il est cynique et manipulateur. Que veut-il vraiment? On dirait qu'il veut se sentir moi et moi, lui. On nous croiserait dans des lieux différents, de nouveau il y aurait un quiproquo. Mais un double, cette fois. Est-ce vraiment lui ? Un des acteurs que j'ai dupés? Son ancien agent? Cette Nellie qui ne m'avait pas à la bonne ? Je n'en sais rien. Non, je n'en sais rien. Et j'ai peur. |