Sauter par-dessus un feu de la Saint-Jean est un acte téméraire. Le faire à mon âge, c’est de la bêtise. Hier soir, je me suis foulé la cheville et aujourd’hui je commence ce journal, comme au bon vieux temps, à la lumière d’une bougie, et le poignet tremblant faute d’entraînement. C’est improprement que je l’appelle journal, même si j’ai la ferme intention d’écrire tous les jours tant que je serai prostré dans ce lit de l’ancien pavillon des épileptiques, parce qu’à vrai dire j’utilise les feuilles blanches du livre que le docteur Audrey Lourenço m’a apporté cet après-midi pour me distraire : Le Journal d’un fou de Gogol. Je suppose qu’elle l’a pris au hasard (au-delà de l’ironie de trouver un tel livre parmi les volumes mités de ce qui a été un jour la bibliothèque d’un asile psychiatrique), mais le hasard est capricieux et si elle m’avait apporté les Confessions de Rousseau au lieu du Journal d’un fou, peut-être serais-je maintenant en train d’écrire des mémoires et non un journal.
(Incipit)