Shi Wen Ng

J’imagine le petit Prince assis à coté de l’auteure Ng Shi Wen, tous les deux la tête dans les étoiles, lui demandant :



- S’il te plait, prends-moi une photo et raconte-moi le monde.



Ng Shi Wen aurait alors imaginé ce magnifique ouvrage d’une centaine de pages.

Ce livre n’est pas uniquement l’histoire de Singapour. C’est l’histoire de notre monde.

Comment page après page, la photographe arrive à faire le lien entre des prises de vues de cette ville futuriste qu’est Singapour et d’autres endroits du globe : Paris et New-York nous semblent sortir d’un autre temps.

Un rapport est établi également avec des artistes peintres : Manet, Dufy, Hopper et aussi avec des réalisateurs tels : Jarmush, Keaton, Coppola.



Feuilleter et re-feuilleter ce livre est un régal.



Je remercie les éditions Les plis du Ciel et Babelio pour l’envoi de ce livre.

Singapour est une métropole dynamique, cosmopolite et multiculturelle, qui connaît une croissance hors du commun au point d'en faire une des villes les plus importantes au monde.



Ce développement est le résultat d'un capitalisme sans limite et sans contrôle, faisant la part belle au développement technologique en dépit des habitants.



Ce livre montre la vie des petites mains, vendeurs, restaurateurs, taxis,... qui dans l'ombre font tourner la machine.



Il s'agit de photographie de rue, style que j'affectionne particulièrement car il permet de montrer la réalité de la vie avec le moins d'effet possible. Ici pas d'utilisation de filtres à outrance ou de retouche pour rendre beau, la photo est simplement vraie.



En plus des photos le livre invite à pousser un peu plus la réflexion en proposant des œuvres en lien avec les images : photos, peintures, films.



Le livre termine sur une photo d'un hall de départ d'un aéroport, quel sens donner à cette photo? Faut-il quitter Singapour pour retrouver sa liberté comme peut le faire penser la référence à Gattaca?

Dans Derrière le mirage de Singapour, la photographe Ng Shi Wen nous propose un voyage désenchanté dans les coulisses d’une ville qui se rêve au futur.



Singapour, ville essentielle du capitalisme, pour son port, son commerce et ses élans enthousiastes vers “la modernité”... évoque des images de gratte ciels immenses, d’architectures futuristes.

Un paysage artificiel dominé par ses tours et ses arbres de verre et d’acier.

Mais qui, derrière cet écran de luxe et de modernité, construit et survit à cette débauche ? Comment les travailleurs vivent-ils ?

C’est le voile que notre flâneuse-photographe entend lever avec nous.



Ses clichés sont séparés en 3 parties:



☼ 1 - Huis clos



Ce qui m’a frappé ici le plus, c’est que même dans les photographies les plus claires, les personnages sont dans l’ombre. Ils sont les ombres qui hantent Singapour. Le laveur de carreaux de la page 23, l’homme en cuisine de la page 31… Ils sont enfermés, contraints, dans des compositions rigides et géométriques. De dos, ou la tête baissée sur leur travail.

Les teintes chaudes et vives qui s’opposent aux tons froids dominants ne réchauffent pas l'atmosphère: ce sont les carcasses de viande entourant le boucher, le montant d’une fenêtre qui en enferme un autre…



☼ 2 - à ciel ouvert



A l'extérieur, l’ambiance est toujours un peu morne, toujours un peu grise, Même en présence de végétation, l’humain paraît rattrapé par la grisaille. C’est frappant page 57 avec Cleaner inside a yellow line, montrant un balayeur tourner le dos à un fragment de pelouse, noyé dans le bitume.

Ou encore page 59, avec ces pauvres plantes en pot abandonnées dans les déchets en fond.



☼ 3 - entre-deux



Ici encore la vétusté de la vie. Des entrepôts, un coiffeur perdu dans un cadre dans un cadre dans un cadre… Le cliché qui m’a le plus marqué de cette partie est page 83, Pond cleaner.

Je pense qu’il représente à lui seul le propos du livre:



L’image n’est que bleu et gris.

La nature sur le tiers gauche: ciel gris, étang artificiel, dans lequel vient se refléter un imposant bâtiment de verre écrasant les deux tiers restants de l’image. Visibles seulement dans le miroir de l’édifice, des tours d’immeubles tristes.

Et seul, minuscule, un homme.

Il filtre l’eau, semblant perdu dans ses pensées. Il est entouré de l’eau et du ciel, tournant le dos au bâtiment, face au côté gauche - qui représente en composition le passé. Comme s’il rejetait la modernité qui l'écrase.

Mais à droite de l’image, on le voit de nouveau reflété dans les vitres, entouré par les immeubles, invisibilisé par eux. Tourné vers la droite (le futur, donc).



Les photos sont belles, bien composées, intrigantes.

Sombres et enfermées.



Au-delà du fond, un mot sur la forme:

Le format est un peu étriqué, j’aurai aimé voir ces œuvres présentant parfois une opulence de détails en plus grand.

Chaque photographie est agréablement associée à des références de l’histoire de l’art, ce qui fait de cet opuscule un ouvrage plus grand ! Tant de portes à pousser, de découvertes à faire !

Hélas, j’étais un peu déçue de devoir me reposer sur internet, n’ayant que le nom des œuvres, au lieu de les voir en index, ou mieux, à côté des clichés !



Ce livre est une jolie découverte.. et un voyage un peu éprouvant !

La dernière photographie est celle de la voie de départ d’un aéroport, aussi je m’attend à embarquer de nouveau avec Ng Shi Wen dans l’étude des coulisses d’un nouvel endroit, un jour.