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Critique de Isidoreinthedark


« What if God was one of us?
Just a slob like one of us
Just a stranger on the bus
Tryin' to make his way home? »

One of Us - Joan Osborne

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Stella Thibodeaux a 19 ans et exerce le plus vieux métier du monde. Lorsque l'un de ses clients touché par un psoriasis sévère guérit soudainement après l'acte d'amour tarifé, Stella réalise qu'elle possède un don : celui de guérir en couchant.

Ancien Navy Seal, grand costaud aux cheveux gris taillé en brosse, le père Brown a 66 ans et « une gueule estampillée « j'ai vécu » ». En recueillant la confession du premier miraculé, il découvre que Stella est une sainte et transmet la nouvelle au Vatican.

Passé la stupéfaction devant l'ampleur des miracles accomplis par la jeune femme, le pape Simon II (il fallait oser) et ses sbires décident que le modus operandi de la jeune sainte américaine n'est pas concevable, et qu'il serait plus avisé de la transformer en martyre.

La tâche est confiée aux affreux jumeaux Bronski, deux tueurs à gages tout droit sortis d'un film de Tarantino, méthodiques et sans scrupules, les meilleurs dans leur domaine. Ils ne sont pas les seuls à rechercher la jeune femme : Luis Molina, du « Savannah News » a compris que l'invraisemblable destinée de Stella pourrait lui offrir le Pulitzer.

Le destin de la sainte-putain semble scellé. Heureusement pour elle, le père Brown comprend qu'il a commis une terrible erreur, et entreprend de devenir son ange gardien. le vétéran du Vietnam et la jeune sainte ont un atout dans leur manche : c'est grand, l'Amérique.

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« Quand Stella vous regardait, vous étiez le seul homme sur terre, vous comptiez pour quelque chose. Peu importe qui vous étiez et de quelle façon : Stella jetait sur vous ses yeux d'ambre, ses yeux candides, et vous étiez vivant. ».

Le dernier opus de Joseph Incardona, auteur remarqué de « La soustraction des possibles », nous offre un road-trip déjanté, une farce jubilatoire, acide et lumineuse, dans lequel le père Brown et la magnétique Stella, vont tenter d'échapper à l'inéluctable. Car, si l'on se fie à leur tableau de chasse, nul n'échappe aux frères Bronski.

Joseph Incardona nous livre une vision de l'Amérique qui semble surgie d'un film qu'auraient co-écrit les frères Coen et Quentin Tarantino. Son écriture sèche et nerveuse, parsemée de phrases courtes et d'incises ironiques, fait mouche. Elle crée une forme d'attachement immédiat pour la destinée de Stella et nous emporte, pour notre plus grand plaisir, dans le vortex de sa fuite effrénée en compagnie d'un ancien du Delta du Mékong.

« Il faut savoir que Stella n'était pas exactement belle, ni très futée non plus. Mais elle était sincère. Et loyale. Et dans une vie, quand on y pense, ça peut suffire pour devenir une sainte. »

Démiurge littéraire malicieux, l'auteur nous propose un ouvrage qui comporte deux niveaux de lecture. Une course-poursuite effrénée, où le lecteur tourne fiévreusement les pages, pour découvrir l'improbable destinée de Stella Thibodeaux que le roman déroule tambour battant. Mais également une réflexion sur le surgissement aussi soudain qu'inattendu du miracle.

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Joseph Incardona maîtrise à la perfection les codes du genre « tarantinesque », et assume, avec un peu trop de gourmandise, le second degré de « Stella et l'Amérique ».

« Et puisqu'on en est au chapitre 40, et que c'est un chiffre pair et que les deux frangins aiment ça, je propose qu'on fasse une ellipse et qu'on passe directement à la partie VI de ce roman américain écrit par un Suisse. »

Entre un pape qui se prénomme « Simon », et deux tueurs à gages qui ressemblent à des stéréotypes sur pattes, le lecteur avait saisi qu'il avait affaire à une farce. La magie de la littérature surgit lorsque le lecteur oublie qu'il est en train de lire une fiction, et que cette fiction lui paraît tout à la fois plus réelle et plus passionnante que son quotidien. Inutile, Monsieur Incardona, de nous rappeler que vous êtes un prestidigitateur des lettres, au risque de briser la magie de votre prose.

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Malgré ce péché de gourmandise, que l'on pardonnera à son auteur virtuose, « Stella et l'Amérique » reste un roman étourdissant, qui dissimule au creux de son intrigue un questionnement métaphysique sur la possibilité de l'apparition d'une sainte au coeur d'une Amérique dont le seul Dieu s'appelle le billet vert. Aussi innocente que généreuse, Stella évoque Marie-Madeleine, voire une forme de nouveau messie, qui rend la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la mobilité aux paralytiques en leur prodiguant l'acte d'amour.

Si Joseph Incardona fait montre d'une cruauté acide envers un pape bedonnant et ses sbires qui préfèrent une sainte-martyre à une sainte-putain, c'est pour mieux dénoncer l'hypocrisie éhontée de ces pharisiens des temps modernes prêts à faire disparaître un coeur pur pour sauver les apparences.

Le père Brown, qui a troqué son M16 contre une soutane, incarne la vraie foi qui a abandonné le Vatican. Il saisit la portée des miracles que prodigue Stella et entrevoit dans les prodiges accomplis par la jeune femme, la possibilité d'une transcendance oubliée.

Le prêtre habité et la sainte qui s'ignore forment un couple de personnages aussi improbable qu'inoubliable. Ils nous rappellent, chacun à leur manière, que l'innocence, la probité et la générosité ne sont pas seulement des mots, parfois galvaudés, mais aussi des qualités que chacun d'entre nous porte au creux de son être.

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« Comme une fille sensée le ferait. Parce que n'importe qui peut être Jésus. Descendre dans la rue, donner une couverture à quelqu'un qui a froid. Être bon, généreux, sincère et loyal, c'est donné à tout le monde. Mais on vous tuera pour ça. »

Cat Power (chanteuse américaine) lors d'une interview donnée en novembre 2023.

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