Anne-Sophie Stefanini : "Les pieds-rouges ont pris part à l'indépendance de l'Algérie"
Ils ne pouvaient pas vivre en essayant de retrouver les enfants qu’ils n’étaient plus, en ayant peur que l’autre disparaisse encore. Leurs nuits étaient mauvaises et, même le jour, ils voyaient des fantômes partout : Constance regardait Ruben et c’était son père qui était là face à elle. Ruben regardait Constance et c’était sa mère qu’il retrouvait et il pensait : Tu n’es pas revenue à Yaoundé pour y vivre comme ta mère ? Tu ne vas pas te faire tuer toi aussi ? C’était impossible d’être leurs héritiers.
Je prononcerai les mots université, faculté qui n'évoquent pour lui qu'une place d'Alger, un bâtiment colonial, un tunnel, et j'utiliserai un autre mot, littérature. Je lui dirai que dans ce nouveau monde qu'il tant souhaité, c'est un mot aussi important que victoire, indépendance, liberté. Je vais lui mentir et lui mentirai chaque année. J'irai à l'université parce que vous m'avez convaincue que ce mot est plus important que tous les autres.
« Elle avait eu le désir étrange d’un dernier voyage avec sa fille s’étirant comme un serpent, d’un itinéraire facile, mais long, et sur sa feuille de route qui lui servait de boussole et que sa fille avait tenu à imprimer « pour être bien sûres de ne pas se perdre », elles avaient choisi un chemin qui n’avait rien d’évident. »
la fête était finie, les rêves aussi, il fallait de l'ordre, de la décence : nous buvions moins, nous fumions davantage, nos jupes étaient plus longues. Ils nous ont rendus solitaires, silencieux, hébétés et stupides. Il ne s'agissait plus de faire la révolution mais juste de pouvoir continuer à vivre ici
Il fallait toujours débattre, contester, affirmer, tu ne lâchais jamais. Tu ignorais la rêverie, le plaisir, la langueur. Tu ne savais pas que nos esprits s'échappaient. Parfois je prenais ton silence pour un moment de paix mais je me trompais : tu ne connaissais pas la paix.
« Et sur cette route vers Nice, les souvenirs les plus importants revenaient, sans mensonge, sans masque, c’est qu’eux aussi s’en allaient. Catherine le savait : la maladie avançait, et le spectacle de ces ruines à Vienne, ne parvenait pas à la distraire ni à l’apaiser. »
" Elle s'était décidée quelques jours plus tôt, sans raison, avait-elle d'abord pensé, comme si la somme de lectureset de rêveries avait fini par produire le résultat voulu, un chiffre magique qui évoquait l'errance." p. 16
« Elle regarda sa fille, si grande, et elle sut que jusqu’à Nice la peur ne la quitterait plus et qu’elle devrait se tenir sur ses gardes, guettant d’autres bruits, d’autres souvenirs plus sombres. »
" Il était pas facile d'être lâche encore, de faire comme si tout allait bien, de ne l'interroger ni sur ses larmes, ni sur son silence. Rien ne devait mettre en péril ce voyage." p. 74
"Que cherchent les jeunes filles qui s'attardent à la terrasse des cafés, solitaires et rêveuses ? Elles ont un livre à la main qu'elles ne lisent jamais ou alors la première ligne de la première page, encore et encore, puis elles entendent un rire, une ombre passe et leurs yeux se détournent, et la phrase se eprd. Mais elles ne restent jamais distraites trop longtemps ni trop sérieuses. Ce sont des vagues, le flux et le reflux du doute et de la certitude, et elles s'en vont".p. 13