Caroline W. Barnes

Laura n'était pas le genre de femme sur laquelle on se retournait. Elle n'était ni mince, ni moche, ni belle, ni jolie. Généralement considérée comme mignonne, grâce à sa répartie, sa gentillesse et son humour particulier, le seul trait physique dont elle était fière était son épaisse chevelure noire et frisée qu'elle devait à ses origine antillaises. Et ça ne suffisait clairement pas pour entrer dans la catégorie des femmes sur lesquelles on se retournait.
Ca, c'étaient les faits. Pour « du vrai », Laura se trouvait moche, nulle et grosse. Et malgré les « roh, mais non ! » de ses amis, rien n'y faisait. Elle avait l'impression qu'elle était condamnée à traverser la vie en mode « bof ». Même si c'était la dernière de ses envies

Et malgré ses dix-sept ans et son envie d’indépendance qui grandit de jour en jour, cela ne ressemble pas à Jo, de ne pas vouloir passer du temps avec eux. C’est un fils aimant et un grand frère ouvert et attentionné avec les jumeaux. Au début, Élisa a eu peur que ses enfants ne soient pas proches les uns des autres. Non pas que ce soit une obligation, mais entre le fait que les jumeaux aient leur lien si particulier de… eh bien de jumeaux, et la différence d’âge, elle craignait qu’il y ait les petits d’un côté et le grand de l’autre. Et ça, elle aurait eu beaucoup de mal à l’accepter. Elle se souvient de l’importance de sa propre sœur dans sa vie. Cette proximité les a sauvées toutes les deux après le décès prématuré de leurs parents, lors du crash de leur avion entre Paris et Nice. Et elle a toujours ce genre de scénario morbide en tête, où les enfants devraient survivre sans eux, bien trop tôt. Ses craintes étaient infondées.

Si pour plaire à quelqu’un, je dois être la moitié de moi, alors c’est que cette personne n’est définitivement pas pour moi.

Ce mec me regarde depuis un petit moment. Il est très mignon, mais je suis prise gars, désolée ! Il est plus que mignon en fait. Et ce sourire. Il se lève et s’approche. Je déteste ça. Est-ce qu’il est du genre à bien prendre le rejet ou à insister ? Pitié, faites que ce soit un mec intelligent… Oui ! Il est intelligent. Et vraiment charmant. Il s’assoit pour discuter. Est-ce qu’il ne serait pas en train d’insister ? Mais il est agréable, gentil, pas du tout dragueur. On parle de plein de choses, on rit, on commande d’autres bières. Il est vraiment sympa. Ça fait du bien de ne pas être toute seule ce soir, je passe un super moment. Il sait que je suis mariée, je lui ai dit dès le départ, bien sûr.

L’amitié, c’est choisir sa famille et pour moi, c’est vraiment important.

Un signal d’alarme se déclenche en elle. Sa respiration s’accélère, elle a chaud, ne tient plus en place, se redresse, se penche un peu à droite, un peu à gauche, pour essayer d’entrapercevoir plus clairement le visage de l’individu, sans succès. Alors Élisa se lève parce que, après tout, Jo a beau avoir dix-sept ans, ne pas parler aux inconnus est un précepte qui tient toujours. Et plus elle se rapproche, plus elle sent la terre s’ouvrir sous ses pieds. Elle connaît ce regard, elle connaît ce visage. Benjamin.

Après tout, il a dix-sept ans. Une peine de cœur, peut-être ? Elle a cependant le sentiment que c’est plus compliqué que ça. Quelque chose la gêne dans son attitude. Comme si, plusieurs fois, il avait été sur le point de leur dire quelque chose, mais avait changé d’avis au dernier moment… Elle sait que la vie est difficile à cet âge-là, elle se souvient parfaitement de ses dix-sept ans à elle. Elle sait aussi qu’elle ne pourra pas constamment le protéger. Ce qui ne l’empêchera pas de vouloir essayer.

Elle y est heureuse, elle s’y sent bien. Elle ne se voit pas vieillir ailleurs. Mais les murs protecteurs de son havre de paix se sont fissurés pour laisser entrer une ombre de son passé. Une ombre tenace et pas si lointaine que ça. Malgré tout, Élisa continue à savourer son verre, elle sent la chaleur de l’alcool prendre ses aises au creux de son ventre, elle sent sa tête qui s’allège peu à peu.

Il me manque tellement. Lui, William, ses blagues pourries, ses câlins, son accent quand il parle français. Ses mains, son corps, sa bouche. Il me manque, bordel ! Et puis il est si beau. Je lui fais confiance, mais imaginer mon jeune mari seul dans des hôtels du monde entier, ben ça me fait flipper. Mais je lui fais confiance. Évidemment que je lui fais confiance. Oui, je lui fais confiance.

La maison de leurs rêves, c’est comme ça qu’ils l’ont appelée dès leur première visite. Leur enthousiasme apparent avait fait piaffer d’impatience l’agent immobilier qui les accompagnait alors. Ils auraient payé n’importe quel prix pour cette maison. Et ils l’avaient fait, ils n’avaient même pas négocié. On ne négocie pas pour la maison de ses rêves.