L'éditeur et romancier Christophe Bataille publie "La brûlure" chez Grasset. Ce roman raconte la vie d'un élagueur d'arbres soudain attaqué par des centaines de frelons asiatiques.
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Le village était désert : les paysans étaient rentrés dans leurs huttes. La pluie s’abattait sur les rizières en terrasses à flanc de montagnes. Les pousses ployaient ; elles étaient enfouies dans le limon qui se déversait. L’eau ruisselante emportait la terre dans sa course. On attendait avec sagesse ; dans leur hutte, Dominique et Catherine commencèrent de voir leurs cheveux se mouiller. La pluie pénétrait les épaisseurs de paille ; une odeur de fermentation se répandit. Leurs visages s’assombrissaient des poussières noires et humides qui tombaient du plafond. Les cheveux blonds de Catherine s’étaient épaissis de sombres caillots. Leurs vêtements s’imbibèrent ; Dominique était torse nu. Leur peau était humide et rouge du froid et de l’irritation ; Catherine portait une robe de coton gris qui lui collait au corps. Ses seins durcis modelaient la toile rêche.
Je prends de jeunes stagiaires. Ils nous accompagnent partout, je leur montre des essences, des techniques. Ils ratissent les feuilles et préparent le chantier. Souvent ils ont froid. C'est la vie de dehors. La vie de nous autres.
Il y a des adolescents heureux, tout de suite ils comprennent ce qu'on fait. Ils ont envie. Ils regardent par la fenêtre. D'autres ne disent rien, ils retournent à l'école après quelques jours, et je reçois un coup de téléphone des parents : Merci, merci, c'était formidable. Le Môme s'est mis au travail : il a compris que ce n'était pas pour lui.
Quand l’empereur du Viêt-nam arriva en 1787 à la cour de France, le règne de Louis XVI sombrait dans la mélancolie. Le roi vieillissait ; les critiques étaient acides. La reine le délaissait, ses conseillers étaient impatients : le royaume était en proie à l’agitation. Les lambris du château de Versailles, même, s’écaillaient en fleurs d’or recourbées, comme prêtes à tomber pour l’automne.
(Incipit)
Pour nous, le petit arbre dans le potager de la vieille a autant d'importance qu'un chêne centenaire ou un saule penché sur l'étang.
L'arbre n'a pas de maître. Il parle des habitants, du climat. L'arbre de chacun fait le paysage de tous.
J'ai fixé la hache dans mon dos, sous la corde que tu graisses avec moi pendant l'hiver. Harnais, couteau, tenaille, outils, tu connais le corps de l'ouvrier. Qui voit encore ces hommes dans les villes ? Je me prépare à l'éternel été: joyeux de me tenir bientôt au chevet de l'arbre. (p. 18)
Les jambes fines s'offraient au regard de tous, et les jupes courtes des femmes étaient un appel à la fête.
Les arbres ont une intelligence supérieure à la nôtre. Attaqués de toute parts, ils vont réussir à vivre cent cinquante ans. Le bois a une force, une plasticité. Et l'homme ? Du pauvre bois.
On goûtait quelques grains ; on suçait ; on sirotait. Les raisins acides se faisait salive. On malaxait, on crachotait. La saveur s'épanouissait.
Dans toute image, il y a un pli. Parfois, même ce pli est invisible : je joue le jeu de la vérité et je ne lui donne pas de nom.
L'arbre est là pour mille ans, et il va s'en passer, autour de lui. Guerre ou cinéma, la neige, les nuits, les enfants à ses pieds, et les villes qui montent d'un coup. Il n'est pas à la même échelle que nous. Certains arbres étaient là depuis Saint-Louis, et soudain ils ont gêné. (p. 115)