Présentation de "Fugitif, où cours-tu ?" sur Mayotte 1ère. Un essai qui, à travers la question du marronnage (fuites et résistances des esclaves), sattache à mettre en lumière laction, la créativité des colonisés et des subalternes en général.
Je n’ai jamais supporté qu’on me mette dans une case. Ce qui m’a le plus marqué dans mon enfance, c’est la maternelle : la façon dont mes petits camarades me firent comprendre par leurs regards, par leurs gestes, par leurs mots que j’étais différent d’eux : un « bamboula ». Le différent, quel qu’il soit, on le met toujours dans une cage. Donc j’ai toujours essayé d’échapper aux grilles de perception de la société. Mais la question que pose le titre n’attend pas forcément une réponse, car on ne fuit pas pour aller quelque part, on fugue pour se réinventer, et le refuge n’apparaît que dans le mouvement même de la fugue…
Si j’ai choisi la liane comme motif principal et plante-totem de cet essai, ce n’est pas seulement pour (dé)jouer avec un certain imaginaire colonial ou m’extasier sur les propriétés botaniques de ces végétaux filiformes, c’est d’abord pour rendre hommage au lyannaj (du créole « lyan », « liane ») des archipels de Martinique et de Guadeloupe : des pratiques de solidarité et de résistance qui s’inscrivent dans l’expérience historique du marronnage – les arts de la fugue des esclavagisés. Dans les Amériques et les îles de l’Océan indien, le rapport de soin à la terre est intimement lié chez les Afrodescendants à l’héritage des « nègres marrons », à l’usage libérateur de la forêt comme refuge, comme espace de camouflage et de reconstruction de soi.
Ce retrait originel fait de la communauté marronne une communauté sécessionniste. Loin cependant d'inaugurer la naissance officielle d'un nouvel État, la sécession marronne consacre le "devenir-furtif" d'une communauté de rebelles.
Des Caraïbes à la Papouasie, l’enchevêtrement inextricable des lianes entrave la pénétration coloniale. Premier obstacle à la quête de l’Eldorado et au régime des plantations, la liane est le serpent, l’hydre végétale qui, aux yeux du colon, fait d’une forêt vierge et tentatrice un enfer vert. Toute en torsions et contorsions, la langue fourchue des lianes ne peut sécréter qu’une sagesse de singe : un gai savoir qui convertit, l’espace d’une grimace, la douleur de l’oppression en éclats de rire.
Nous sommes en 1555, au large des côtes africaines, dans un des nombreux archipels portugais de l’océan Atlantique, lors d’une des premières insurrections marronnes d’envergure. Le marronnage sera désormais indissociable du système proto-industriel de la plantation dont l’île de São Tomé fut le principal laboratoire africain avant son transfert et son perfectionnement au Brésil. Tout comme l’esclavage colonial, le marronnage commence sur les terres africaines : il est d’emblée transatlantique. Mais c’est bien sûr dans les Amériques – devenues le cœur du système esclavagiste – que cette forme de vie et de résistance connaîtra son plus grand essor, jusqu’à devenir la matrice de véritables sociétés marronnes.
Le marronnage – le phénomène général de la fuite des esclaves – peut être occasionnel ou définitif, individuel ou collectif, discret ou violent ; il peut alimenter un banditisme (cow-boys noirs du Far West, cangaceiros du Brésil, pirates noirs des Caraïbes, etc.) ou accélérer une révolution (Haïti, Cuba) ; il peut recourir à l’anonymat des villes ou à l’ombre des forêts.
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Les antillais éprouvent de la crainte et de la honte pour leur passé. (...) Peu de gens savent qu'au XVIIIe siècle les révoltes d'esclaves aux Caraïbes étaient aussi fréquentes et violentes que les ouragans, et que beaucoup ne furent vaincus que grâce à la trahison d'esclaves "fidèles".