C'est bien parce que le système peut sembler inébranlable que nous nous replions sur le niveau individuel. Abattre une personne est plus simple que d'abattre le système qui la soutient.
À l'heure où les forces réactionnaires semblent de plus en plus puissantes et vont jusqu'à utiliser nos dissensions contre nous-mêmes, produire une critique publique de nos contradictions internes peut apparaître comme une trahison. Ouvrir la question de ces défaillances revient pourtant à ne pas les laisser dicter nos combats et agendas politiques.
Se pose une question éthique : vouloir se passer de la police et de la justice étatique implique-t-il aussi d'abolir tout un système de droits humains individuels ou, au contraire, faire en sorte que tout le monde ait concrètement et effectivement les mêmes droits ?
Dans des espaces où il est admis que le recours à la police en cas de violence n'est pas la solution mais plutôt un problème supplémentaire, le risque principal consiste à n'avoir aucun relais extérieur pour dénoncer les injustices qui s'y déroulent.
Nous avons grandi dans une société qui propose la punition comme seul moyen de redresser des torts ; nous ne savons pas agir autrement.
En outre, le sentiment d'être bloqué.es derrière son étendard est accentué par l'écart entre les apparences (notre surreprésentation sur les réseaux sociaux et les encarts publicitaires) et la réalité (notre sous-représentation dans les sphères politiques et économiques décisionnelles).
Mais je reste persuadée que donner de l'écoute et de l'attention à une personne qui a fait du tort à une autre réduit le risque de récidive. A contrario, l'isoler, la réduire à son acte ou l'infantiliser en cherchant à la punir ne peut à mon sens qu'augmenter ce risque.
Nous baignons dans une société envahie par le New Age et le développement personnel, qui ont popularisé de nombreux outils dépolitisants. [...] Cette vision passe complètement sous silence les conditions structurelles dans lesquelles chaque personne évolue.
Il est intéressant de noter le paradoxe entre des milieux militants (féministes) qui prônent la « déconstruction » et le peu de place effectivement laissé au tâtonnement.