L'oeuvre de Carl Gustav Jung
Emission consacrée à l'oeuvre de
Carl Gustav JUNG à l'occasion du 80ème anniversaire de sa naissance.
Avec la participation de Robert AMADOU, auteur spécialisé en
parapsychologie, du docteur
Roland CAHEN, neuropsychiatre, de
Henri CORBIN, professeur aux Hautes Etudes,
Franz HELLENS, romancier, poète et dramaturge et
Henri Charles PUECH, professeur d'histoire des
religions au Collège de...
Les hommes dans la rue
Les hommes dans la rue, vue d’en haut par une fenêtre fermée,
tels qu’à l’écran d’un cinéma, marchant, gesticulant, aphones.
non pas silencieux, noirs, clairs ou gris; deux longs courants
d’agitation humaine,
flanquant de chaque côté l’asphalte où se poursuit le croisement
plus rapide des transports,
se frôlent, s’en roulent et se pénètrent sans se toucher, l’un à
l’autre inutile,
comme si, chaque maison étant une planète, un astre obscur, pétrifié,
les habitants débarquaient dans la rue et poursuivaient
sans se connaître des buts distants et singuliers.
Tous ces endroits carrés murs hauts ou bas
On y laissait tomber sur tous les sièges
Cette fatigue de trottoir d’air et de brique
Dont chaque pas s’embarrassait dehors.
Vienne : une chambre sans fenêtre dont la porte
Mordait, le lit de fer n’était pas assez grand
Pour contenir un besoin de pleurer
Et pourtant j’ai vécu dans ce faux jour d’éclipse.
À Nice j’habitais un pavillon cruel
Qui pesait sur la tête, où l’ombre était si dure
Qu’on s’y cognait, mais les bras d’une vigne
M’ont rappelé qu’il n’est pas d’ombre sans chaleur.
Te souviens-tu de cette fenêtre têtue,
Dans une chambre d’Amsterdam ? tu ne pouvais
Dormir parce qu’en face de l’hôtel la Bourse
Jour et nuit s’étalait comme un quartier de chair.
Un peu partout j’ai de ces souvenirs de plâtre,
De papiers peints, de quatre murs, amis carrés,
Étroits, meilleurs que les courbes jardins,
Où j’ai pu sans témoin dévisser ma fatigue.
Amis carrés, étroits - Albin Michel
LE CHIEN NOIR
Ce chien noir qui me suit, jamais à mes côtés,
Tout derrière collé à mes pas
Comme une ombre qu'on ne voit pas,
Pourtant certaine,
Tellement basse qu'en me penchant
Je ne saurais l'atteindre
De la main ni l'écraser du pied,
Chien noir sans chaîne ni collier,
Il est là, je l'entends, je le sens
Avec ses mille pattes canines,
Il fait derrière moi un sombre bruit de pluie
Et m'enfonce au mollet sa dent de sacristie.
Car c'est un chien dévotieusement méchant,
De ces chiens qui mordent par derrière,
Je ne l'appellerai d'aucun nom de baptême
Il me rirait au dos, tout en marchant,
Le chien noir de ma vie terrestre monotone
O que ma tête vite se dégage
De mon corps qui fait ombre à mes pieds,
Tache d'encre, chien noir, vite, arrachons la page.
1948.
Le puits confidentiel
Je t’aperçois, Una, comme la vasque
Le nénuphar, l’étoile au ciel
Et tout au fond du puits le sel
Qui brille d’un éclat fantasque,
Plus tendre que le nénuphar
Plus éclatante que l’étoile
Heureuse comme le hasard
Qui nous prit dans sa voile.
L’éclipse peut noircir le ciel
Et la brume inonder la terre
Rien ne me prendra ta lumière
Au fond du puits confidentiel.
Je sais ils n'en ont cure
Ni de moi ni du reste mais leur pensée est pure
De leur jeu clandestin
Dépend mon lendemain
Ou ma dernière sépulture
Au printemps , moi qui ne suis qu'hiver
Entrez donc à la file ou bien l'un avant l'autre
Grains mûrs du chapelet que j'égrène à rebours.
Ce qui n'est plus s'équivaut à toujours.
Je voudrais comme l'antique animal qui a pris nom d'homme, entrer ne fût-ce que la seconde de l'éclair dans le mythe, perdre ma condition humaine pour survoler le contenu et l'aspect physique de cette banale aventure qu'est la vie.
Quelle doit être l’aurore
Quelle doit être l’aurore des trembles du Paradis,
si ceux de la terre, ce matin, tremblent si divinement ?
MAISON AU SOLEIL
La maison a neuf fenêtres, cinq en haut
Et quatre en bas, plus la porte, les volets
Sont fermés à cause du soleil car le mur
De façade peint à la chaux est tourné
Au midi sur un coteau devant la mer.
L’ombre de la corniche tombe à mesure
Que le soleil remonte et couvre les cinq
Fenêtres de l’étage, mais à six heures
Elle oblique vers la gauche et disparaît
Peu à peu jusqu’au déclin de la lumière.
Les ailes doubles des neuf volets jamais
Ne s’ouvrent que de huit heures du matin
Jusqu’à dix heures, et c’est pendant ce temps
Très court que la maison regarde la mer
Avec ses neuf fenêtres noires sans reflets.
FENÊTRE
Les plus belles fenêtres que l'on voit
Toutes prêtes pour admirer la rue
Comme les dames au balcon
D'un remuant théâtre
Ne peuvent me faire oublier
Un carré dans un autre carré de muraille
qui regardait la crasse du trottoir
Et ne semblait pas mépriser la vie.
Pourtant sur six carreaux
Lavés au moins par quelques pluies
Cinq étaient morts pulvérisés
Le sixième portait une crevasse.
Je passais à l'instant où grouillait le soleil
Dans le verre attentif du sixième
Les cinq autres me dirent au revoir
Avec toute l'ardeur de leurs ténèbres.