Hélène Vignal, autrice du livre "Une Vie pour Matzi"
" Malheureusement, la vie va s'occuper de toi, ma petite fille. Personne n' y coupe..."
"- Trop vieille ? A quinze ans ? Tu as été vieille très jeune alors ! "
"Ma mère est une experte en soupirs. C'est un truc qu'elles se repassent de mère en fille. Ma mère fait partie de ces gens qui vont faire un tour plutôt que de dire ce qu'ils ont sur le coeur. Si elle pleure, c'est en cachette. Elle encaisse, ma mère. Elle se résigne. Elle capitule. Elle plie. Elle s'ajuste. S'adapte. Prend la place qu'on lui laisse ou qu'on lui désigne."
"-ça va?
Je ne réponds pas. Je ne dis pas si ça va. Ce sont des mots qui n'ont pas de sens, maintenant. Ce sont des mots qui, rien qu'à être prononcés, sont indécents. Et justement, ils sont prononcés."
p. 31
Le fleuve dans Satmine,c'est la seule chose qui bouge et qui change chaque jour si on veut bien lui donner la peine de l'observer.
Je suis pas une rêveuse, pas une naïve non plus. Je sais qu'à partir de maintenant je suis morte pour eux et que l'autre vie commence. La vie d'après.
Tant mieux.
Oui tant mieux, parce que j'ai quasiment aucune chance d'en sortir. Je suis déjà l'autre. Celle d'après. Je vais tester mon endurance. Je vais serrer tout ce que je peux serrer : abdos, dents, fesses, poings, paupières, périnée. Je suis dans l'arène. Celle qui vient d'être construite autour de moi, où j'ai jamais voulu entrer. Mais j'y suis. Je vais me dédoubler. J'attends d'assister à tout ça : ce qu'ils vont me faire, et comment je vais devenir quelqu'un d'autre à cause de ça. Grâce à ça. Je vais les regarder me dépecer. Jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un chiffon. Un chiffon qu'ils pensent être moi. Je ne suis pas seule. On est des millions.
Ceux qu'on traîne dans des caves à torture, ceux qu'on approche à quinze, armés d'une batte de base-ball, les gosses battus par leur daron, les animaux dans les abattoirs, les oiseaux migrateurs sous les balles des chasseurs, les manifestants désarmés qu'on canarde à balles réelles, les filles qu'on tripote dans les bureaux, celles qu'on tue à coups de poing. Tous ceux qui n'ont pas eu le choix. Je suis pas seule. Je suis avec eux. Je voudrais savoir s'ils se sont demandé, comme moi, s'ils allaient résister, s'ils allaient être à la hauteur du combat. Est-ce qu'ils se sont demandé, comme moi, combien de temps ça allait durer et s'il y aurait un après ? Il n'y a pas de fuite possible. Pas d'issue. Pas d'allié. J'ai voulu être libre, et je le suis. Seule aussi. Très seule. Je l'étais déjà un peu, avant.
AVIS AUX SATMINIENS
En raison de risques sanitaires,
il est vivement déconseillé
de s'approcher du Fleuve.
Tout contact cutané présente des risques mortels.
"A nous trois, on est les pionnières de rien du tout."
Hyper sensible ça veut dire que tu sens trop. Comment on peut être trop sensible ? Hyper sensible, en vrai, ça veut juste dire que la majorité des gens ne sentent pas assez. Mais non, c'est forcément moi qui sens trop les choses, les gens, les vibes... C'est jamais les autres qui ne sentent pas assez. (p.28-29)
Le silence est si lourd qu'on dirait que ça devient difficile de respirer. C'est un silence qui bourdonne et qui rentre jusque dans ma bouche avec la nuit et par ma bouche ça envahit tout mon corps. Je crois que j'ai peur du temps que ça va durer, toutes ces années qu'il reste à vivre encore comme ça, à avoir la nuit qui me rentre par la bouche s'il ne se passe rien. Alors, pour que la nuit ne prenne pas toute la place dans ma bouche, je dis des mots, les premiers qui me passent par la tête. – Au secours, je dis. Au secours.