Enquête : guérir l'homosexualité au nom de dieu
Ce prêtre te reçoit, nous on t'attendait dans la voiture. Et tu reviens en pleurs, c'étaient même des gémissements, c'était horrible. Horrible. J'ai un souvenir atroce de ce moment-là, où je me suis dit: "Là, il y a vraiment un problème grave." Tu étais sensible, ça t'arrivait de pleurer. Mais t'entendre pleurer comme ça, ça m'a bouleversée.
-Je lui ai tout raconté, sans rien cacher, complète Benoît.Je lui ai dit: "J'ai du mal à vous dire que je regrette, parce que je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal." Du coup, il s'est bloqué, a refusé de me donner l'absolution. J'étais face à un refus de ce que j'avais pourtant l'habitude de recevoir. Tout m'échappait. C'était un refus brutal, un mur qui tombait. Même s'il n'a pas été brutal dans sa manière d'être, il l'a été psychologiquement. Je me rappelle avoir cité le passage de la Bible qui parle de la brebis perdue, je lui disais: "Vous vous rendez compte, vous rejetez une brebis perdue." Il n'y avait pas de réponse, il ne réagissait pas à ma détresse et à mon agacement."
Le texte apparaît à l'écran tandis qu'un silence profond se fait parmi nous. De sa voix tremblante, Rosanne entame les premières lignes de cette "prière de renonciation" et, sous mon regard incrédule, toute la salle lui emboîte le pas, produisant une litanie ésotérique qui me fait davantage penser à une messe noire qu'à une prière chrétienne.
Un personnage va éveiller notre curiosité, l'autre intervenante du week-end, une dame âgée aux airs stricts et au verbe haut. Elle incite la salle aux offrandes: "Vient un moment où il faut que je donne un peu plus que seulement un don spirituel. Il sera pleinement spirituel si tout en moi suit ce don. Seigneur, je veux Te donner tout ce qui m'appartient. Je veux que ça t'appartienne aussi. Je crois que c'est Dieu qui me demande de vous parler ainsi et de vous demander encore un effort pour couvrir les frais de cette session." Les billets et les chèques affluent.
Certaines séances rassemblent jusqu'à un millier de fidèles.Les personnes homosexuelles ou transgenres sont considérées comme possédées par "un ou plusieurs démons." Parfois, au cours des séances à huis clos, cinq à dix "anciens" l'entourent et lui hurlent dessus en s'adressant supposément à ces démons.
Chronologie
390 : L'empereur romain Théodose 1er condamne tout acte homosexuel, toute personne prise sur le fait sera punie sur le bûcher.
1317 : Première exécution connue pour homosexualité en France.
6 juillet 1750 : Dernière exécution en France pour homosexualité, par les flammes, sur l'actuelle place de l'Hôtel-de-Ville à Paris.
1886 : Première apparition du terme «homosexualité » dans le manuel Pychopathia Sexualis du psychiatre austro-hongrois Richard Freiherr von Krafft-Ebing, ouvrage populaire.
1937 : Première thérapie d'aversion par électrochocs recensée sur un patient homosexuel à Atlanta, dans I'État américain de Géorgie.
C'est une des difficultés de cette enquête : comment exposer un système méconnu tel que l'univers ex-gay tout en évitant de stigmatiser ceux qui y prennent part ? Parmi les participants que nous avons rencontrés, presque tous étaient volontaires, nous ont confié avoir trouvé du réconfort, une forme d'apaisement et une écoute sincère au sein de ces groupes. Un espoir aussi, puisqu'on leur promet restauration. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés de distinguer participants et organisateurs. De ne jamais juger ceux qui viennent chercher de l'aide, mais de décortiquer les discours et les pratiques de ceux qui prétendent soigner l'homosexualité, par la prière, par la thérapie, par l'exorcisme. De pointer leurs incohérences et leur dangerosité. Car, derrière les intentions affichées d'assistance et de charité, le discours reste le même : l'homosexualité serait une déviance à la fois psychologique et spirituelle, donc, en bout de course, une forme de maladie. En promettant que la restauration de l'hétérosexualité est possible, ces groupes maintiennent les participants dans une forme de détestation d'eux-mêmes.
Comment peut-on passer d'une pensée, certes religieuse, nourrie de pseudo-psychologie, à ce mysticisme inquiétant, qui voudrait faire de l'homosexualité la manifestation d'un démon oublié?
Ces gens que je pensais avoir cernés, ces croyants qui me paraissaient bien sympathiques sont-ils sincèrement en train de renoncer à une idole antique? Au fond, ils attribuent une partie d'eux-mêmes à ces diables pour mieux la rejeter.
Jamais je ne me serais attendu à une prière d'une telle violence : elle me frappe en plein visage.
Au-delà d'une volonté, parfois sincère, d'aider son prochain, les figures des groupes ex-gays ont un autre objectif, éminemment politique : défendre un modèle de famille, traditionnel, dans lequel I'homosexualité n'a pas sa place. Il s'agit de contrôler la sexualité, de réprimer toute déviance. Parce qu'il se constitue en alternative à la libération des moeurs, le mouvement ex-gay est un authentique mouvement de réaction. Il est intéressant d'observer combien ces groupes chrétiens se sont américanisés pour solidifier et étendre ces mouvements de réaction: leur littérature, leur discours et leurs modèles sont américains. Ces groupes de guérison ont trouvé outre-Atlantique leur marche à suivre, une fontaine de jouvence où baigner leurs paroisses. Une façon d'habiller leur désapprobation de l'homosexualité ; ce n'est plus la personne homosexuelle qui est à condamner, puísqu'elle-même est, selon leurs thèses, un individu en souffrance qu'il faut aider. En présentant les personnes homosexuelles comme des individus brisés, éloignés de leur véritable sexualité par une éducation inadéquate, une carence spirituelle et, dans certains cas, des suggestions démoniaques, ils habillent leur discours du voile de la charité et de l'entraide entre chrétiens.
Elle incite la salle aux offrandes : "Viens un moment où il faut que je donne un peu plus que seulement un don spirituel. Il sera pleinement spirituel si tout en moi suit ce don. Seigneur, je veux Te donner tout ce qui m'appartient. Je veux que ça T'appartienne aussi. Je crois que c'est Dieu qui me demande de vous parler ainsi et de vous demander encore un effort pour couvrir les frais de cette session."
Les billets et les chèques affluent.
Ce qui demeure, au bout de ces semaines passées avec Torrents de vie, c'est combien la réponse qu'ils apportent aux questionnements relationnels et sexuels est rassurante pour les personnes en souffrance. L'amour inconditionnel du Père, l'existence d'une «véritable identité hétérosexuelle enfouie en nous, la possibilité de la restauration. Combien le chemin qu'ils offrent est dificile, aussi! Chaque fois que j'ai pu parler de cette restauration, on m'a indiqué quil s'agissait d'un travail perpétuel et exigeant, un travail de tous les jours. La délivrance ne se trouve que dans la mort, que dans l'éternité. Je pense un instant à Kevin, Juan, Emiliano, Gaël, je repense à ces quelques jeunes croisés cet été à Lux ou à ceux qui passeront par le confessionnal de Philippe de Maistre ou d'Olivier Jouffroy. Se préparent-ils à une vie entière de lute contre eux-mêmes ? Cette lutte peut-elle les rendre plus malheureux que leur orientation sexuelle qui les accable déjà ?
Si les discours du pasteur paraissent souvent d'arrière-garde, malgré leur apparente modernité, ils semblent donner du sens au combat que ces gens-là livrent chaque jour contre eux-mêmes.