Les seuls moments importants d’une vie sont ceux dont on se souvient.
La complainte de la butte
La lune trop blême
Pose un diadème
Sur tes cheveux roux
La lune trop rousse
De gloire éclabousse
Ton jupon plein d'trous
La lune trop pâle
Caresse l'opale
De tes yeux blasés
Princesse de la rue
Soit la bienvenue
Dans mon cœur blessé
Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux
Les ailes des moulins protègent les amoureux
Petite mandigote
Je sens ta menotte
Qui cherche ma main
Je sens ta poitrine
Et ta taille fine
J'oublie mon chagrin
Je sens sur tes lèvres
Une odeur de fièvre
De gosse mal nourri
Et sous ta caresse
Je sens une ivresse
Qui m'anéantit
Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux
Les ailes des moulins protègent les amoureux
Mais voilà qu'il flotte
La lune se trotte
La princesse aussi
Sous le ciel sans lune
Je pleure à la brune
Mon rêve évanoui
Renoir disait: "Paris est plein de misère. Maintenant que je vends ma peinture je n'ai pas le droit d'être égoïste."
Gabrielle devinait, "rien qu"au coup de sonnette"! Elle passait un peignoir et allait ouvrir la porte. C'était une femme en deuil, ou une jeune fille, ou une mère avec des petits enfants. Gabrielle attendait dans la petite cuisine de l'atelier que le patron l'appelle. Il indiquait sa poche d'un mouvement de menton. Elle sortait un billet , deux, trois et comprenait au regard de Renoir quand c'était assez. La visiteuse n'en revenait pas et partait en sanglotant.
Le retour fut accompagné de chansons. Notre préférée était "Gastibelza l'homme à la carabine, paroles et musique de Victor Hugo. C'est l'histoire d'un Espagnol romantique trahi par sa belle. Celle-ci n'a pas hésité à donner "sa beauté de colombe"...
"Pour l'anneau d'or du comte de Cerdagne,
Pour un bijou.
Le vent qui souffle à travers la montagne
Me rendra fou..."
Mon père passa de longues périodes dans le château des Bérard en pays de Caux. Là aussi il trouva une abondance de modèles bénévoles. Il n'arrêtait pas de peindre. Quand il n'avait plus de toile ou de papier, il peignait les portes et les murs, au grand ennui de la bonne Madame Bérard qui ne partageait pas l'admiration "aveugle" de son mari pour la peinture de leur invité.
Il y avait aussi l'officier en retraite qui arrivait avec un faux Renoir et un sourire de désarmante honnêteté.
" Monsieur Renoir - on l'avait prévenu que l'expression maître mettait mon père de mauvaise humeur - monsieur Renoir, je viens d'acheter ce tableau de vous! Toutes mes économies y ont passé, j'ai même emprunté sur ma pension et pris une hypothèque sur ma petite famille à Etampes! Seulement, voilà! Il n'est pas signé!"
Le tableau était criant de fausseté. Renoir dit: " Laissez-le-moi. Je vais y faire quelques retouches."
Et il le repeignit complètement, le signa: c'est tout juste s'il n'acheta pas un cadre pour l'escroc qui repartit avec une petite fortune sous le bras.
Berthe Morisot était un aimant d'une espèce particulière. Elle n'attirait que ce qui était de qualité. Elle avait le don d'arrondir les angles. "Auprès d'elle, même Degas devenait gracieux."
Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons.
Celui des exposants qui s'en tirait le plus mal était mon père,
ayant été le moins insulté. On le jugeait trop insignifiant pour l'attaquer.
" On m'ignorait. C'est très inquiétant d'être ignoré!"
Quand Renoir peignait, il était tellement pris par son sujet qu'il ne voyait plus ni n'entendait ce qui se passait autour de lui. Un jour Monet à court de cigarettes lui demanda de quoi fumer. N'obtenant pas de réponse, il fouilla dans la poche où il savait que son ami enfouissait son paquet de tabac. En se penchant, sa barbe chatouilla la joue de mon père qui regarda vaguement ce visage à quelques centimètres du sien, et ne s'en étonna nullement. "Ah! c'est toi" et il continua le mouvement de son pinceau, à peine interrompu.