BELLEVILLE Planet - Interview J'aime Lire - Martin Dumont
Avec sa maladie, Lucille s'était coupée du monde. Beaucoup lui avaient tourné le dos, mais la mort aplanit sûrement les choses. Les morts sont tous de braves types chantait quelqu'un.
Il regarde autour de lui, comme un enfant. Tout l'intéresse. Il y a des jours bénis ou la vie est ainsi, intéressante, même dans ses détails les plus prosaïques. Tout a une saveur, une couleur. C'est rare. Il faut en profiter.
ll se rappelle les chalutiers de son enfance et leurs couleurs de bois rouge ou bleu, l'éclat parfois de la peinture rutilante juste finie. Le bois érodé par le sel de la mer offrirait aux vagues des bleus des rouges des verts à lécher à estomper. La mer et le bois ne feraient plus qu'un au bout d'un temps et lui, enfant, se sentirait alors invité par les couleurs palies à des voyages imaginaires, bien mieux que par la vie fringante des peintures fraiches. Dans son cœur ďenfant, déjà, c'était le palimpseste des couleurs qui laissaient à nouveau le bois affleurer qui l'emportait. Il aimait déja sans le savoir le temps et l'effacement.
Tu comprends, Félix? La vie, sans les moments difficiles, ça n'existe pas, hein? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l’on poursuit sans cesse. Et ce que l’on a vécu avant bien sûr! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c'était fort. À quel point c'était grand. Tu ne crois pas? p. 201
À côté, notre chantier paraissait dérisoire. Pourtant il y avait quelque chose. Une proximité, un début de point commun. Ces gars aussi étaient tendus vers l'objectif, poussés par la pression d'un supérieur qui devait leur promettre une prime s'ils finissaient dans les temps. Beaucoup devaient se sentir fier à l'idée de participer à une telle construction. Un gigantesque ouvrage qui resterait pour les siècles à venir. Lorsque je les croisais, je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir une forme de respect dont je me gardais de parler à Stéphane. p. 124
J'ai marché jusqu'à la plage. À vrai dire, c'était plutôt une crique, un bazar de sable: des roches plantées un peu partout. L'écume fouettait l'ensemble avec acharnement. J'ai écouté les vagues se fracasser. Je les voyais à peine. Une nuit sans lune était tombée, du pétrole sur l'horizon. J'ai inspiré l'odeur de la marée. J'ai compris à quel point ça me manquait, cette histoire d'embruns. J'ai pensé qu'un jour j'y reviendrai à toute cette flotte.
C'est pour ça que je joue. Sur des scènes fatiguées, au fond de salle obscures. Dans les bars où personne n'écoute. Pour exister, pour avoir l'impression de vivre.
J'ai senti sa frustration vibrer dans les silences ; ça bouillonnait.
C’est pour ça que je joue. Sur des scènes fatiguées au fond des salles obscures. Dans les bars où personne n’écoute. Pour exister, pour avoir l’impression de vivre. Pour partager ce qui bouillonne en moi. La joie, la peur, l’amour, la peine. Tout ce qui me tord les tripes ou me rend follement heureux. Je joue pour qu’on se souvienne, pour couvrir les sirènes du néant. Pour oublier ne serait-ce qu’un instant l’absurdité de la fin et le vertige du vide.
[Léni va emprunter le pont pour la première fois]
J'ai baissé la vitre en inspirant à pleins poumons. L'odeur me rassurait. La marée, le sable et le sel. Mon univers tout entier. D'ici, il était sans doute possible de croire que rien n'avait changé. Se mentir, faire encore semblant juste encore un peu. Il suffisait de fermer les yeux. Je les ai gardés bien ouverts.