Heureusement que le pays était magnifique : des arbres partout, des ravinalas, des manguiers, des maisons construites avec des feuilles de bananiers… C’était fabuleux. Il fallait voir les nénuphars, les poules d’eau et les ibis qui s’égaillaient dans les mares. Remarquable aussi était le spectacle des palétuviers qui plongeaient leurs lianes et leurs racines dans l’eau. C’était fabuleux.
(page 149)
Le jeune officier mit du temps à réaliser que ce qui le dérangeait était le nombre de visages noirs autour de lui… et le fait qu’il ne voyait pas beaucoup de femmes.
(pages 92-93)
Mais le doute est quelque chose qui tenaille et fait perdre toute confiance en l’autre, et en soi aussi…
Le dieu qu’on les incitait à prier, était maintenant blanc. Les divinités ancestrales étaient des idoles, enfants du Diable, qui était noir. Et eux, les Malgaches, étaient noirs, même s’ils se voulaient clairs.
(page 100)
Couper des gerbes de riz et les remonter sur la berge dans ces conditions requérait un parfait silence : il fallait les cisailler, petites gerbes par petites gerbes, en glissant pas à pas pour éviter de faire clapoter la rizière. Heureusement que l’eau y était stagnante. Le plus difficile était de couvrir le bruit de succion de la bourbe quand il se déplaçait.
(page 77)
C’était cela la vie, pas autre chose, la possibilité de cultiver la terre, de voir les jeunes pousses, de sentir la pluie couler sur sa peau, de pouvoir boire de l’eau, de manger, de dormir en sachant qu’on allait se réveiller le lendemain matin.
(page 36)
Madagascar était un rêve fou : traverser les océans pour combattre des indigènes dont certains avaient encore des mœurs barbares. Et porter un bel uniforme pour honorer la patrie. Déjà dans ses yeux d’enfant, avec ses cousins, il aimait défier « les sauvages », qui faisaient très peur. Les « ennemis » se mettaient du cirage noir sur le visage ou arboraient de grands chapeaux de paille et poussaient des cris censés être tonitruants.
(pages 48-49)
Tavao serrait les poings en pensant à l’avenir, si aléatoire. Il fallait qu’il tienne. Jour après jour, petite victoire après petite victoire, pour que l’enfant à venir n’ait pas la même vie que la sienne. Et peut-être prier. Et si les dieux chrétiens ne suffisaient pas, implorer les dieux traditionnels malgaches – Rahodibato, Rakelimalaza, Rafantaka – et d’autres encore. Et demander aux possédées d’intercéder auprès de ses ancêtres à lui, même s’ils étaient de l’autre côté de la mer, là-bas. Mais il avait une foi profonde en eux, ils l’avaient suivi, le protégeaient, il en était sûr, parce qu’autrement, comment aurait-il pu survivre ? Ne pas s’effondrer, garder espoir, il le fallait absolument.
Mafy be ny vazaha, se disait Tavao, comme toute la population d’ailleurs. Ils étaient forts, ces Français. Être surveillé sans cesse, il savait ce que c’était. Et il avait compris qu’il y avait maintenant deux places de pouvoir : le quartier de la Haute Ville, avec les palais de la Reine et du Premier ministre, quartier respecté, voire sacré, mais trop loin des commerces, et Antaninarenina, la place tournante de tous les marchandages et marchandises.
(page 81)
Heureusement que le pays était magnifique : des arbres partout, des ravinalas, des manguiers, des maisons construites avec des feuilles de lataniers… C’était Ampasindava, celle qui abritait Mahajanga, il y avait des mines de houille plus importantes que celles du Nord de la France. Comment, dans ces conditions, ne pas coloniser Madagascar ? Félicien se mit à imaginer ce qui pourrait être fait : des usines, des hauts-fourneaux, et ceci dans un paysage bucolique, car des jardins jouxteraient les bâtiments.