Il regarda le cétacé pendant plusieurs minutes de peur qu’il ne parte rapidement, puis comprenant que celui-ci s’intéressait à lui, il éprouva la curieuse envie de lui parler. Ne sachant que raconter à une telle créature, une étrange idée germa dans son esprit. Il courut dans sa cabine chercher le livre du Petit Prince puis remonta retrouver cet étrange compagnon de voyage. Alors il se mit à lui conter d’une voix forte, pour couvrir les bruits marins et les souffles du groupe qui faisait régulièrement surface, le passage avec le renard.
« Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde. »
Certaines l’admiraient, beaucoup voulaient profiter de ses capacités financières et très peu l’aimèrent… mais il s’en fichait. Lui voulait seulement jouir d’elles. Il en allait de même, il le savait, pour ses collègues. Certains étaient mariés, mais leur relation conjugale, peu amoureuse, avait autant de sens qu’une bicyclette tandem avec deux guidons opposés. Peut-être qu’ils s’en rendaient compte, eux aussi, mais personne ne changeait sa vie pour autant. Il fallait paraître lisse, faire semblant d’être heureux et sabler le champagne autant que possible. Ça avait été amusant les premières années, il avait flambé son fric, rigolé bêtement et de tout. Puis, trop rapidement à son goût, c’était devenu une routine et dès lors, ce fut beaucoup moins amusant. L’habitude avait détruit l’excitation. Il restait toujours la capacité de posséder... objets et femmes.
Certaines l’admiraient, beaucoup voulaient profiter de ses capacités financières et très peu l’aimèrent… mais il s’en fichait. Lui voulait seulement jouir d’elles. Il en allait de même, il le savait, pour ses collègues. Certains étaient mariés, mais leur relation conjugale, peu amoureuse, avait autant de sens qu’une bicyclette tandem avec deux guidons opposés. Peut-être qu’ils s’en rendaient compte, eux aussi, mais personne ne changeait sa vie pour autant. Il fallait paraître lisse, faire semblant d’être heureux et sabler le champagne autant que possible. Ça avait été amusant les premières années, il avait flambé son fric, rigolé bêtement et de tout. Puis, trop rapidement à son goût, c’était devenu une routine et dès lors, ce fut beaucoup moins amusant. L’habitude avait détruit l’excitation. Il restait toujours la capacité de posséder... objets et femmes.
Comme tout le monde sur les réseaux sociaux, on faisait semblant de penser aux autres grâce aux alertes numériques. Mais le personnage de son enfance et les quelques messages philosophiques qu’il disséminait de temps en temps sur son mur en avaient fait l’interlocuteur idéal.
Pour canaliser ses réflexions, il se plongea dans le deuxième livre, plus récent : L’Alchimiste de Paulo Coelho. S’il avait entendu parler du best-seller international, il avait réussi à éviter sa lecture jusqu’alors, lui préférant de grands classiques de la littérature française comme Flaubert ou Proust. Lesquels, quoiqu’il les ait trouvés terriblement ennuyeux et fastidieux à terminer, avaient plus d’impact quand ils étaient cités pour paraître cultivés entre collègues ou dans les soirées mondaines. Cette simple prise de conscience le navra et le déprima. Il fallait paraître, toujours paraître ! Il se plongea alors intensément dans l’ouvrage de l’auteur brésilien.
Faute d’avoir ressenti un véritable amour partagé et durable, et vu le spectacle navrant autour de lui, il avait habilement évité l’écueil que représentait le mariage. Souvent, il se retrouvait impliqué malgré lui dans des discussions relationnelles. Des collègues plus ou moins proches qui avaient besoin de vider leur sac. Ses capacités d’adaptation sociale en avaient fait un confident privilégié, mais ce qui aurait pu être un cadeau de la nature s’avéra vite un fardeau désolant.
Ressentir la médiocrité qu’il suscitait chez autrui lui donnait l’illusion que sa vie était géniale et qu’il était donc heureux, tel un symbole de la réussite d’une vie humaine. Mais il n’en ressentait jamais les réels bienfaits. Une force intérieure, contrariante, l’opposait à cette jouissance. Il en avait conscience, mais il l’ignorait pour essayer d’apprécier cette satisfaction.
Le pouvoir de l’argent l’avait hypnotisé dès la fin de son adolescence. Ses rêves avaient disparu et il les compensait en achetant, en possédant tout ce qui passait à sa portée. Mais à chaque nouvelle acquisition qu’il faisait, l’excitation retombait et il devait aussitôt partir en quête d’un nouveau défi, un nouveau besoin matériel à assouvir. Un besoin pourtant illusoire.
Il devait partir seul, ne pas longer la côte, et s’offrir corps et âme au grand large. Faire face à l’immensité de la mer pour redevenir petit, faire face à sa férocité pour redevenir fragile, faire face au naturel pour redevenir humain.
La fatigue annihile toute volonté. Elle devrait se coucher, mais la peur l’empêche de fermer les yeux. Elle sait le visage qu’elle verra une fois les paupières closes. Elle sait la tristesse de sa vie et ce qui l’attend si elle ne trouve pas vite des solutions. Alors, dormir ? Non, c’est impossible. Elle s’efforce de mastiquer. Si elle ne mange rien, ce sera pire demain. Son regard se perd sur le mur de la cuisine face à elle. Un vieux carrelage bleu ciel. Démodé. Mais au moins, c’est chez elle. Pour combien de temps encore ? Elle soupire. Stop ! Ne plus penser ! Ce qu’elle avale lui donne la nausée, mais elle ne lâche rien.