Le voyage en avion, c'est le voyage sans voyage. L'essentiel étant d'aller le plus vite possible; gagner du temps pour tuer l'espace. Gagner du temps pour aller tuer le temps. La planète n'est plus qu'un gadget, un joujou comme les autres.
Abélard Louisy
On ne sait pas si Abélard Louisy est paresseux ou épuisé. Il ne sort jamais de chez lui. Il demeure allongé, très pâle, luisant et grassouillet, sur ou dans son lit. Quelquefois il se lèvre, mais titube et se réinstalle immédiatement sur son lit en gémissant d'une voix de petit enfant.
C'est lui qui m'a tout facilité. Il m'a prêté de l'argent, une faible somme à vrai dire, lorsque j'ai crée ma salle d'attente (que je tiens certains après-midi); et comme il est abonné à toutes sortes de revues, il me les donne dès qu'il les a lues, afin que je les présente sur la table de ma salle d'attente.
La seule fois que je l'ai vu hors de chez lui, c'est quant il m'a fait la surprise de venir en taxi, jusqu'à la salle d'attente, peu après que je l'eus aménagée. Il savait qu'elle se situait de plain-pied sur la rue. Il s'était enveloppé d'un grand manteau, et en souriant il a frappé à la vitrine. Le taxi attendait. Que cela m'a touché! Je n'oublierai jamais l'expression de son visage ce jour-là. Certains de mes clients non plus. Ils m'en reparlent.
NOS DISPARUS 2012
Depuis la publication ne notre édition 2011, plusieurs personnes répertoriées nous ont quitté. Il nous paraît élémentaire de vous renseigner, autant pour leur rendre un humble hommage que pour vous éviter un déplacement inutile.
Madame Vassabé
Madame Vassabé est morte au mois de mars 2011. Nous avons reçu un émouvant message de Monsieur et Madame Alvan, qui furent ses ultimes visiteurs, et qui ont assisté aux obsèques religieuses et même à son enterrement où, nous ont-ils dit, "il n'y avait que deux personnes hormis nous-même, ce qui nous a beaucoup étonné". Qu'ils soient ici remerciés de nous avoir prévenus.
Madame Vassabé
56, rue des Muriers
64000 PAU
11/20 dans l'édition 2011
Je tenais dans la même main, au fond de ma poche, les deux clefs. Je me redisais qu'il n'y a pas plus déroutant et anonyme qu'une clef inconnue, ni rien de plus rassurant quand on la connaît. Quelles sont les clefs qu'on a déjà utilisées. S'en souvient-on, quelles étaient leur forme et leur consistance? Douées de la toute-puissance de l'anonymat, mystérieuses, mais pour un certain temps si familières à la vue, au toucher et à l'ouïe, elles ouvrent peut-être d'innombrables portes qu'on ignore, sans nous le révéler, puis on oublie tout d'elles, couleur, dimension, contour, quand on quittes les lieux à jamais.
A téléphone allumé, individu éteint.