Pierre Hanot -
Tout du tatou
www.passion-bouquins.com Blog littéraire alternatif 23e salon du livre de Colmar 2012
Pierre Hanot nous parle de son dernier roman
Tout du tatou, paru dans la collection Vendredi 13
Bob Ghetto, le freluquet blondasse en chemise hawaïenne, opérait aux platines.
Trois notes phtisiques sur un tempo boiteux, la rengaine était prémixée, échantillonnée, aseptisée, prédigérée, prémâchée, mais lorsque devant l'écran géant régurgitant une bouillie d'images amphigouriques, le DJ fit semblant de tripoter ses curseurs, le public exulta.
Et quand, tel le chevalier Bayard revêtant son armure, il se coiffa d'un casque audio et bêla en play-back LA phrase de son hit de l'été, ce fut carrément la démence : juchée sur les épaules de leurs mâles, des gonzesses survoltées lui montrèrent leurs nibars et sous les lumières stroboscopiques, la salle reprit en chœur cette quintessence de la poésie parnassienne, You know what is what, You know what is what, You know what is what, You know what is what !
Plus que deux notes de synthé dans la sono, pimpon, pimpon, alerte à l'yperite, au feu les pompiers. Les lasers annihilaient les ultimes manifestations du discernement. L'Homo sapiens s'aplatit sous les bombes.
Bras en croix, Bob Ghetto en remis une couche. Voix de crécelle, il avait appris l'anglais en phonétique sur un sachet de corn flakes :
- Ârre yu rédi, ârre yu rédi ?
Non, l'assassin lambda, ce n'est pas Alien ni Elephant Man mais Monsieur Tout le Monde, Le locataire du dessous qui, au crépuscule d'une vie exemplaire, se dit, en se brossant les dents "Ce soir, quand je rentre du boulot, si le rôti de veau est cramé, Germaine, j'lui mets la tête dans le four."
Les femmes, elles, endurent, encaissent, tolèrent et vlan, coup de calcaire, passage à l'acte, elles n'ont rien manigancé, prennent ce qui leur tombe sous la main, un pot de fleurs, une fourchette, des ciseaux, une scie à pain puis ça dissèque et ça dépèce gaiement à la disquette thermique modèle Simon Weber.
Quand on est allé trop loin, il faut aller jusqu’au bout !
- Ce qui me déglingue, dit Luy, c'est que personne ne se rappelle plus comment on a pu en arriver là...
- Preuve que l'amnésie est un carburant totalitaire, dit Théo. Strangulation progressive des libertés au nom du libéralisme et les mêmes qui se poivraient tous les samedis soirs entre collègues de bureau, se retrouvent à casser les bouteilles comme un brûlait les livres sous Hitler. Parce que la survie des masses passe par ce sens aigu de la culpabilité et de l'expiation. Cracher sur ce qu'on a adoré, penser le contraire de hier pour se donner l'impression d'avoir un lendemain plus confortable. Les gens ont besoin d'os à rogner, de causes nationales, quelque chose qui les fédère. Avant, c'était la guerre ou l'humanitaire, aujourd'hui c'est la santé, l'affaire de tous, l'élan interplanétaire, le même ordre, la même laisse pour tout le monde.
Obligé, sur un navire, en fonction des aptitudes, c'est la barre ou le bar.
Trouble de l'humeur, complexion cyclothymique. Un peu comme un accident de plongée : vous êtes capable d'encaisser la monotonie abyssale d'un boulot qui vous répugne, mais quand il s'agit de remonter à la surface, vous ne respectez pas les paliers de décompression.
Zoran respira à pleins poumons, pas de panique : au fond de la mer dévalant son avalanche longitudinale, les poissons étaient couchés, au-dessus la lune était ronde, lui idem. (p.15)
...les nanas étaient cagoles ou girelles, elles avaient une mounine à la place du minou et se faisaient chasper à la raspaille dans les trapanelles par des chacapans aux alibofis de rascous.
Cogne-les, Eugène, cogne l'Apache du faubourg qui t'a taxé d'échappé de bidet et qui t'a chouré l'argent des courses après t'avoir emplâtré alors que tu n'étais qu'un gosse. Et pendant que t'y es, avoine Dieu et la Sainte Trinité auxquels tu ne crois plus depuis que t'as pigé que la vie était une jungle sans foi ni loi.
Cogne, mon gars, tu l'auras ta revanche, le monde à tes pieds.
Les mecs ont une vie de rien mais envie de tout.
Beau plan de carrière, Zoran avait les boules: bac +3 puis spécialisation en infographie et art de la communication dans une école privée, l’investissement ne lui valait que la reconnaissance au rabais des hypermarchés dont il vantait la camelote.
Aussi, mi-novembre, il avait joué la grande scène de l’asthénie et le toubib, sans rechigner, avait validé son visa pour la Corse, quinze jours d’arrêt maladie.
Partir, s’aérer les neurones, couper le cordon avec l’insupportable médiocrité du quotidien, hors délais de la période estivale qu’il avait subie en toute vacance, dépigmenté dans son studio de la place des Fêtes, loin des foules ensablées cocotant l’ambre solaire et les congés payés.