« Si l’amour donne de l’esprit aux sots, il rend quelquefois bien sots les gens d’esprit » ...
Au-delà de la flatterie à un public espéré, l'auteur que Molière a ridiculisé sous le nom de Trissotin [Ménage] souligne une des grandes nouveautés de son temps : la formation intellectuelle donnée aux femmes par la rencontre, dans les salons, d'auteurs à la fois savants et galants comme Ménage ou lui-même. Cette méthode peut échouer, et l'on a des Précieuses ridicules ou des Femmes savantes. Elle peut aussi réussir. Cela donne des Mme de La Fayette et des Mme de Sévigné.
Ce livre parle d'un temps où l'on découvre, non sans peine, que la femme est l'égale de l'homme, que son corps n'est pas impur, que son esprit n'est pas débile, qu'elle est capable de juger du vrai, du beau et du bien, qu'elle peut même accéder aux sciences nouvelles, qu'elle a l'avantage de pouvoir être une créatrice en même temps qu'une procréatrice. Il y a de cela trois siècles dans la France de Louis XIII et de Louis XIV. Est-ce une si vieille histoire ? N'a-t-elle vraiment rien à dire, rien à apprendre à certains de nos contemporains ?
Peu importe les titres avancés et les concessions faites par Mme de Sévigné aux opinions de sa fille. L'essentiel, c'est que, pour elle, l'esprit d'une jeune fille se forme par la lecture de ce qui court alors dans le monde, romans héroïques et pastoraux aussi bien que livres d'histoire et traités de morale. Point d'enseignement spécialisé, point de programme scolaire. A la différence des garçons qui reçoivent dans les collèges un enseignement humaniste progressif qui va de l'apprentissage de la grammaire à la connaissance des principes de la rhétorique, c'est une formation sans projet défini, à partir d'auteurs français et italiens contemporains, que reçoit une fille comme Pauline. Elle se forme l'esprit à partir de libres réflexions, partagées avec sa mère, sur les livres à succès du temps, ceux que pratiquent au même moment les adultes de son entourage. Elle se cultive dans la fréquentation familière des ouvrages jugés intéressants par un groupe social qui sait à la fois s'en nourrir et les critiquer.
Il lui arrivera plus d'une fois d'expliquer à son lecteur qu'il a dû se contenter d'écrire un ton au-dessous de ce qu'il aurait voulu faire. Ce n'est pas forcément de la fausse modestie. Il appartient à la génération où tout poète rêvait d'être un Homère. Mais personne, même Chapelain, n'y avait réussi...
Ce qu'il faut retenir, c'est que, pour l'épistolière, l'esprit de la jeune fille se forme par la lecture de ce qui se lit alors dans le monde, romans ou livres sérieux. Point d'enseignement spécialisé, point de programme scolaire : à la différence des garçons qui reçoivent dans les collèges un enseignement humaniste se déroulant selon une progression définie (le ratio studiorum des jésuites par exemple), c'est un enseignement tout moderne que reçoit un enfant comme Pauline, à partir de libres réflexions sur les livres à succès, ceux que pratiquent en même temps qu'elle les adultes qui l'entourent.
Les trois seuls témoignages portés du vivant de Molière sur ses études et ses débuts au théâtre ne sont ni précis, ni concordants. Il en va de même pour tout le reste de sa vie. Ses ennemis s'appliquent à forger sur lui une légende noire afin de le discréditer. Ils en diront plus encore après sa mort, en particulier sur sa femme. Et ses amis, pour leur répondre, lui inventeront parallèlement une légende dorée.
C'est dans la longue durée, entre 1540 et 1670 que s'est opérée, grâce l'anatomie, une première révolution essentielle. Malgré les combats d'arrière-garde et le poids des idées reçues, il est maintenant établi que la femme n'est pas un homme manqué, une créature placée au-dessous des son compagnon masculin dans la chaîne des êtres et des choses instituées par Dieu au commencement du monde.
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique.
Pendant toutes les séparations, écrire a toujours été pour la marquise l'activité prioritaire, celle pour laquelle elle abandonnait au besoin ses amis ou ses autres obligations. La longueur de ses lettres et leur nombre prouvent l'importance de cette occupation à laquelle elle a consacré beaucoup de son temps préférablement à tout le reste. Mais cette préférence traduit le choix de son coeur, non une vocation d'écrivain. Dans la lettre, elle ne cherche et ne trouve ni les plaisirs ni les affres de l'écriture, mais la consolation de dialoguer malgré l'absence. C'est pourquoi recevoir les lettres de Mme de Grignant lui importe autant, sinon plus, qu'écrire les siennes.