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Critique de dogasquet


J'avais beaucoup aimé la version numérique. J'avais très envie de la découvrir en version papier (merci Masse Critique) sans savoir si j'allais la savourer ou au contraire, être déçue…
Conclusion : superbe travail en scénario, en graphisme et en documentation.

Un bel hommage de Grégoire Carle à son grand-père qui faisait partie du groupe de résistance alsacien « la feuille de lierre » quand il était encore ado. « La feuille de lierre » contre l'araignée allemande, sournoise et prédatrice. le lierre, « toujours vert, toujours fidèle », à l'image de la population alsacienne et mosellane à la France.
Hommage à la résistance, au dépassement de soi, à l'héroïsme des plus jeunes. Hommage à la nature. Protectrice et réconfortante quand les hommes ne la détruisent pas.
Hommage à la population alsacienne et mosellane écartelée entre 2 pays. Une situation complexe et douloureuse, familière aux habitants dès 1870, puis 1918 et maintenant en 1940. Chacun veut rendre allemands ou français cette population d'Alsace / Moselle. Qu'il s'agisse de l'Allemagne nazie mais aussi de la France, la situation des alsaciens et mosellans a toujours été difficile.
Le sentiment de ne jamais être à sa place. Trop français pour les allemands et trop allemands pour les français.

Le scénario :
Été 1995 – Un enfant pêche la truite avec son grand-père. Paysages sublimes de nature, de rivière. Une bulle de beauté aux coloris lumineux, aux traits précis et travaillés. Tous les deux sont des pécheurs passionnés.

Au fil de l'eau comme au fil des souvenirs….
Pépé se souvient : 1er septembre 1939, l'évacuation de Strasbourg - vidé de 200. 000 habitants
Le contraste est marqué graphiquement entre la paix, la fluidité de la rivière et les souvenirs du vieil homme à Strasbourg. Un fond toujours clair mais personnages sombres.

22 juin 1940 – l'armistice et le retour des alsaciens qui ont fui le conflit. Un seul objectif pour les occupants : rendre les alsaciens, allemands, à tout prix.
« Mais si, en dépit du rouleau compresseur de l'appareil nazi, survivait une étincelle de rébellion, alors le Gauleiter disposait d'un outil particulier. Un camp de rééducation des récalcitrants.
Ce camp fonctionnait comme un organe de propagande.
On y « reprogrammait » les rebelles à coup de travaux forcés, de jeûnes et de
châtiments corporels. Au bout de quelques mois, les prisonniers étaient relâchés et leur aspect fantomatique suffisait à dissuader quiconque de braver les autorités allemandes. »

Les jeunes alsaciens, dont le grand père de Grégoire Carle, travaillent à l'usine de constructions mécaniques ( SACM) qui fournit l'armée allemande. C'est encore des ados, 15, 16 ans et ils adorent pêcher. Pour manger, vendre leur poisson, mais aussi se retrouver loin des oreilles indiscrètes.
Ils trouvent un fort de défense, abandonné à la hâte par les soldats français en 40 et bourré de munitions : « Il est hors de question que ces armes aillent dans les mains des boches. »

La résistance commence alors avec le sabotage des lignes électriques, les tracts antinazis et l'aide aux prisonniers de guerre français évadés des camps allemands. Y compris les sabotages des pièces dans la SACM.
Le groupe de résistance : « la feuille de lierre » est né.

Ils seront arrêtés et envoyés au camp de travail de Schirmeck : « Ce jour-là les nazis ont tabassé et torturé 14 gamins de 15 ans sans réussir à leur arracher le moindre aveu. »
Hommage aussi à l'autre groupe de jeunes résistants : « la Main Noire » et à la mort de son lieutenant assassiné par les nazis, en criant Vive la France !
« Ceslav Sieradzki, enfant de l'orphelinat, apprenti boulanger, est mort à 16 ans, en combattant le nazisme. »
Le chef de la Main Noire, Marcel Wienum, est mort décapité le 14 avril 1942 à 18 ans, en endossant toutes les accusations.

Le graphisme :
Mention spéciale pour le graphisme que j'ai pris le temps de savourer :
Les paysages de la nature, de la rivière notamment, sont somptueux. Précis, détaillés, dans des tons vert clair, vert jaune, vert moussu. On sent presque l'humidité de la rivière sous le couvert des arbres.
Des touches de couleur semblables à celles d'un tableau impressionniste.
Souvent des doubles pages, comme celle de l'éphémère, où en même temps que la danse de l'insecte, j'ai entendu le bruit de l'eau.
Une végétation luxuriante, protectrice pour les jeunes où les allemands n'osent pas s'engager. Comme celle du chêne qui occupe la page 65 : « En nous couvrant de ses branches, le vieux chêne nous accordait un cessez le feu. Il en avait vu passer : les Panzers, les casques à pointes du kaiser en 1914, les obus de Kronprinz en 1870, les grognards du Corse, les régiments suédois et tant d'autres, mais il tenait toujours vaillamment ses positions. Alors nous essayions de profiter d'une dernière baignade d'été. le temps de cette parenthèse, nous avions à nouveau nos 15 ans. »
Une luxuriance à l'intérieur de laquelle circule la lumière. La bouffée d'oxygène au milieu de la violence de la guerre.
Les scènes de pêche à la truite me font d'ailleurs penser au film « Et au milieu, coule une rivière » de Robert Redford.

La lumière du fleuve disparait a la fin du 20ème siècle. La pollution, les constructions sont passées par là. Les planches sont verdâtres, certains arbres sont morts.
« Ce fleuve qui chantait à l'océan les beautés de la terre, ne débite plus que la plainte de sa captivité. »

J'ai adoré les contrastes marqués entre la nature apaisante et la barbarie de la guerre, tant au niveau du graphisme que de la progression dramatique. Comme la scène où la Gestapo débarque chez les parents après avoir arrêté les ados. Elle est digne du « Seigneur des anneaux », où la Gestapo est représentée en une araignée féroce et vorace, jamais rassasiée.
Grégoire Carle procède souvent par contrastes et ils sont saisissants. Armand battu dans le camp à coups de lanière sur le dos, la figure du squelette qui le remplace et les cases suivantes, de façon très symbolique, les belles images du papillon qui s'échappe de sa main : « le corps s'émiette, la courroie de distribution du Giggele en arrache des pans entiers. Buck peut alors toucher l'âme pour la reprogrammer. Mais il faut avoir tout oublié pour s'imaginer briser un adolescent par la violence. »

J'ai simplement regretté l'anonymat relatif des personnages. Difficile de différencier les jeunes résistants les uns des autres, et je n'ai pas reconnu, parmi eux, qui était le grand-père de l'auteur…

Cela n'empêche, c'est une BD passionnante et magnifiquement dessinée.
J'ai adoré cette immersion dans l'histoire alsacienne, richement documentée par Grégoire Carle. Une population solide, malmenée par les revers de l'histoire, et pourtant, d'une fidélité à toute épreuve envers la France.


Merci à Babélio et aux Editions Dupuis de m'avoir permis de découvrir ce groupe de résistants, très jeunes, de « la feuille de lierre. »

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