- Peeta ! Peeta ?
Un geai moqueur perché sur un arbuste reprend mon appel. Je n'insiste pas et redescends dans le ruisseau en me disant : " Il a dû bouger. Il est surement un peu plus loin. "
A peine mon pied a-t-il crevé la surface de l'eau qu'une voix s'élève :
- Tu viens pour m'achever, chérie?
- Il m'a dit : "Tu vois cette petite fille ? Je voulais épouser sa mère, mais elle a préféré partir avec un mineur."
- Quoi ? Tu es en train d'inventer ! je m'exclame.
- Non je t'assure, insiste Peeta. Et moi, j'ai dit "Un mineur ? Pourquoi elle serait partie avec un mineur alors qu'elle pouvait t'épouser toi ?" Et il m'a répondu : "Parce que quand il chante.. même les oiseaux se taisent pour l'écouter."
---Penche-toi d'abord, dit-il. Il faut que je te dise un truc. (J'approche ma bonne oreille de ses lèvres, qui me chatouillent en murmurant) N'oublie pas que c'est l'amour fou entre nous, alors si tu as envie de m'embrasser, il ne faut pas te gêner.
- Et tu as mangé dans mon dos, en plus! (...)
- Quoi? Non, pas du tout, proteste Peeta.
- Je suppose que c'est la pomme qui a grignoté le fromage?
Je redresse les épaules. Je me tiens aussi droite que possible. Le cylindre se lève. Pendant une quinzaine de secondes, je reste plongée dans le noir complet. Après quoi je sens la plaque métallique me pousser au-dehors, à l'air libre. Éblouie par le soleil, je perçois juste une forte brise ainsi qu'une odeur prometteuse de sapin.
Puis j'entends tonner tout autour de moi la voix de Claudius Templesmith, le speaker légendaire ;
- Mesdames et messieurs, que les soixante-quatorzièmes Hunger Games commencent !
C'est le premier vrai baiser que nous échangeons. Aucun de nous deux n'est abruti par la maladie, la douleur, ou simplement assoupi. Nos lèvres ne sont ni brûlantes de fièvre ni glacées. C'est le premier baiser qui déclenche un fourmillement dans ma poitrine. Chaud et curieux. Le premier baiser qui me donne envie d'en avoir un autre.
Peut-être que la fille m'a oubliée. J'espère.
Mais je sais que non. On oublie pas le visage de la personne qui a représenté votre dernier espoir.
Je voudrais trouver quelque chose ici même, maintenant, pour défier le Capitole, le faire se sentir coupable, lui montrer que, quoi qu'il nous fasse ou nous oblige à faire, il reste en chacun de nous une part qui lui échappe. Que Rue était davantage qu'un simple pion dans ces Jeux. Et moi aussi.
À quelques pas dans les sous-bois pousse un parterre de fleurs sauvages.
Ce sont peut-être des mauvaises herbes, Mais elles ont des corolles magnifiques, violettes, jaunes et blanches. J'en ramasse une brassée, que je rapporte auprès de Rue. Lentement, tige par tige, je recouvre son corps de fleurs. Je dissimule son horrible blessure.
J'encadre son visage. Je pare ses cheveux de couleurs vives.
Ils seront bien obligés de le montrer.
Même s'ils choisissent de braquer leurs caméras ailleurs pour l'instant, il faudra bien qu'ils montrent l'enlèvement des corps. Et, à ce moment-là, tout le monde verra Rue et saura que c'est moi qui ai fait ça. Je me recule d'un pas et je la contemple Une dernière fois. On dirait vraiment qu'elle s'est endormie au fond de cette prairie.
— Au revoir, Rue, je murmure.
Je presse trois doigts de ma main gauche contre mes lèvres et les tends dans sa direction. Après quoi je m'éloigne sans un regard en arrière.
Les oiseaux font silence. Quelque part, un geai moqueur pousse le trille d'avertissement qui précède l'arrivée de l'hovercraft. J'ignore comment il est au courant. Ils doivent avoir une ouïe plus fine que la nôtre. Je m'arrête en regardant droit devant moi, surtout pas derrière.
Cela ne dure pas longtemps. Le concert des oiseaux reprend bientôt, et je sais qu'elle a disparu.
Un autre geai moqueur, un jeune visiblement, se pose devant moi sur une branche et me chante la mélodie de Rue. Trop novice pour avoir retenu mon propre chant ou le signal de l'hovercraft, il a tout de même mémorisé ses quatre notes.
Celles qui signifient qu'elle est en sécurité.
Au Capitole, on a recours à la chirurgie pour faire paraître les gens plus jeunes et plus minces. Dans le district Douze, la vieillesse constitue un succès en soi car beaucoup de gens meurent prématurément. Quand on voit une personne âgée, on a envie de la féliciter, de lui demander le secret de sa longévité. On envie les gros, qui s'en sortent manifestement mieux que le reste d'entre nous. Mais ici, les choses sont différentes. Les rides n'ont rien de désirable. Une bedaine n'est pas un signe de réussite.
You don't forget the face of the person who was your last hope....
-Katniss-