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EAN : 9782364684669
768 pages
Editions du sous-sol (19/08/2021)
  Existe en édition audio
3.93/5   704 notes
Résumé :
Un père et son fils traversent l’Argentine par la route, comme en fuite. Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ?
Le petit garçon s’appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d’un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.

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Critiques, Analyses et Avis (170) Voir plus Ajouter une critique
3,93

sur 704 notes
Rentrée littéraire 2021 #24

« Mon fils va naître aveugle, répétait au bout du couloir la présence, qui n'avait pas de cheveux et portait une robe bleue. Gaspar ne pouvait pas l'entendre, mais il l'avait sans doute vue. C'était d'elle qu'il avait parlé dans la salle de bains un peu plus tôt : une femme assise sur la place devant l'hôtel, qui regardait vers la fenêtre, la bouche ouverte. Juan n'y avait pas prêté attention car Gaspar n'avait pas semblé avoir peur et c'était bon signe. le garçon avait raison intuitivement : il n'y avait rien à craindre, cette femme était à peine un écho. Il y en avait beaucoup, désormais. C'était toujours le cas après un massacre, comme des cris dans une grotte qui demeuraient un certain temps avant de s'éteindre définitivement. Ce moment était loin d'être arrivé et les morts inquiets bougeaient à toute vitesse, cherchant à être vus. ‘The dead travel fast', pensa-t-il. »

Notre part de nuit, c'est LE livre que j'avais envie de lire depuis des années. Et c'est sans doute la proposition romanesque la plus excitante du moment. Un livre monstrueux, aux plus de 700 pages éclatent de baroque, de gothique, d'horrifique, pour composer une oeuvre absolument inclassable à l'intensité flamboyante qui s'affranchit totalement de la question des genres littéraires en brassant les plus irréconciliables .

Ce n'est pas la première fois qu'un auteur choisit de traduire l'horreur d'une situation historique en l'incarnant littéralement de façon très concrète : Matt Ruff l'a fait dans son Lovecraft Country pour évoquer les actes du Ku Klux Klan ; idem pour le réalisateur Jordan Peele dans Get out sur la racisme hérité de la ségrégation. Cette fois, les monstres réels de Mariana Enriquez ne sont rien d'autres que ceux du passé tragique de l'Argentine avec ses morts et ses disparus, comme un miroir, comme un écho. C'est ainsi extrêmement troublant de voir complètement brouillée la frontière entre la fiction et le réel, entre la réalité de la guerre sale ( sa torture organisée, ses assassinats, ses disparus ) et l'incursion du fantastique avec les agissements de la secte de l'Ordre ( des oligarques soutiens de Videla ) qui torturent et assassinent à tour de bras pour nourrir un culte chtonien dédié à l'Obscurité, une divinité archaïque qui exige des sacrifices humains. La terreur surnaturelle croise des terreurs bien réelles. Comme si le réel invoquait la fiction pour trouver un sens à la férocité humaine durant le gouvernement Videla. Comme si l'hyperréalisme du roman contrebalançait le fantastique pour n'en accroître que plus la peur ressenti en lisant.

L'auteure propose un terrifiant voyage pour dire les dernières décennies de l'Argentine. Elle déploie une construction narrative brillante, complexe, qui ne prend tout son sens seulement dans les dernières pages. Rien n'est gratuit, même quand on a l'impression qu'il y aurait quelques longueurs ou quelques brouillards. Les six parties ne sont pas données dans l'ordre chronologique mais répondent à une logique interne qui permet aussi bien d'anticiper l'itinéraire des personnages que de sursauter en même temps qu'eux, tout en permettant de déclencher de façon magistrale le dénouement.

Si ce puzzle furioso donne le vertige et coupe le souffle dans ses enchaînements, c'est également parce qu'il est incarné par des personnages tous incroyables. A commencer par le duo père-fils. Notre part de nuit est avant tout une magnifique histoire d'amour entre un père et son fils, d'un père qui veut sauver son fils d'une malédiction qu'il ne veut pas lui transmettre. Juan est un medium surpuissant, capable de faire apparaître l'Obscurité au service d'une secte en quête de vie éternelle. Mais le contact des dieux usent ces êtres dotés de pouvoirs spéciaux et Juan ne veut pas que son fils Gaspar devienne medium. Ils fuient. Tout l'enjeu du roman est de savoir ce que deviendra Gaspar, de l'enfance à l'âge adulte, de son ignorance sur l'identité de son père et son pouvoir, jusqu'à sa révélation et les choix qu'il devra faire. C'est extrêmement poignant de le suivre, déchirant même.

Des rituels sacrificiels odieux au Londres psychédélique époque Bowie, de maisons dont l'intérieur change pour engloutir au début de l'épidémie sida, c'est incroyable ce que ce roman fou, inquiétant et fulgurant parvient à associer tout en ne parlant que d'amour. Une réussite majeure et éclatante.

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Un succès de librairie hautement justifié.
Un livre qui devrait servir de nouvel archétype au roman d'épouvante, libéré de ses habitudes lourdaudes et manichéennes ; une magnifique interrogation sur le Mal, de sa prévalence et sa diffusion.

Une ambiance plutôt inédite : l'esthétique de l'occultisme semblant renouvelée sans en renier ses codes fondateurs.
Une habile construction, étageant en chapitres de tailles parfaitement inégales les points de vue dans leurs époques, étalant l'action sur plus de trente années chaotiques, marquées par le paysage politique argentin, toile de fond idéale pour ancrer une histoire phantastique dans ces tristes réalités, des disparus de la dictature jusqu'à ceux du SIDA.

Un fond terriblement sombre, l'Obscurité comme seul idéal, où rien ne sera épargné au lecteur, l'auteure plongeant ses griffes dans nos entrailles, sans ménagement, mais avec une certaine élégance, sans jamais tomber dans le grand-guignol, ni dans les errements plattistes des « sororités sorcières », risques ô combien courants dans l'édition post-moderne.

Une magnifique sortie des éditions du Sous-sol, dont la mince section littérature est gage de grande qualité ( voir : Ben Marcus, Mordecai Richler, etc. ), alors que sa version poche a donné lieu à un salopage de couverture en règle, un vrai cas d'école : l'original étant un détail très bien recadré du tableau d'Alexandre Cabanel, « L'ange déchu » (19ème siècle), le graphiste sévissant pour le groupe a choisi d'en élargir le cadre — ses références artistiques provenant sans doute de son goût pour le photomaton — et d'en modifier les couleurs façon bichromie, ayant longuement hésité entre les filtres « sépia » et « fluo », pour enfin nous placer l'obligatoire bandeau commercial « ENSORCELANT », obéissant aux dieux de la réclame grâce à ce mot issu d'un champ lexical magiquement vendeur… (et ne parlons pas des polices de caractères, la règle non-écrite des trois différentes, au grand maximum, s'étant depuis perdue avec les nouvelles générations, comme beaucoup d'autres…)
Bref je m'attarde là-dessus, car les nombreuses critiques sur le fond du livre doivent déjà vous avoir donné une idée de sa teneur, un livre assez prodigieux et physiquement effrayant, bien que sa longueur ne semble être un obstacle… Pis, je rejoins de nombreux avis quant à la relative brièveté de son épilogue… après de telles émotions sur presque 800 pages, on s'attendrait à un peu plus…

Un joli paradoxe, diffusant une étrange lumière malgré sa grande part de ténèbres, méritant amplement son acquisition en grand format, surtout si l'on tient à la beauté de ses étagères…
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Le Mal règne en Argentine : pendant que la population paye un lourd tribut à la dictature, perdant le décompte de ses morts et de ses disparus, deux très riches et toutes-puissantes familles d'origine britannique profitent des soubresauts politiques pour asseoir leur mainmise sur le pays et y mener leurs exactions en toute impunité. Elles sont à la tête de l'Ordre, une secte multipliant les sacrifices humains à l'Obscurité, force occulte dévoratrice, dans l'espoir d'obtenir en échange une forme d'immortalité qui leur permettrait de se réincarner de génération en génération. Pour communiquer avec cette puissance obscure, elles utilisent sous la contrainte les pouvoirs de Juan, medium qu'une grave malformation cardiaque affaiblit toutefois de plus en plus, et qu'elles veulent forcer à investir le corps de son fils Gaspar pour continuer à bénéficier de ses services. Mais Juan est bien décidé à soustraire son fils de l'emprise de l'Ordre…


Métaphore de la guerre sale en Argentine, avec son lot de tortures, d'assassinats, de disparitions forcées et de vols d'enfants, un régime de terreur auquel la répression par l'Etat de la lutte entre les groupes armés de la guérilla et des militaires a longtemps servi d'alibi, empêchant les questionnements sur les conditions politiques qui l'ont rendu possible et sur les responsabilités de la société civile dans le climat qui a favorisé cette violence, ce très long roman de près de huit cents pages est profondément déroutant.


Articulé en six parties centrées sur le père Juan, sur la mère Rosario, enfin sur le fils Gaspar, se déroulant de manière non linéaire entre les années soixante et quatre-vingt-dix, le livre foisonne et se déploie en un mouvement lent et ample que l'on pourra juger confus avant d'en voir peu à peu émerger le dessin d'ensemble. Il faut d'abord se familiariser avec les multiples personnages, comprendre les étranges visées de cette secte qui nous promène entre horreur et délire mystico-fantastique, en une succession de tableaux dignes des plus cauchemardesques représentations de l'Enfer de Bruegel ou de Jérôme Bosch, comme si seules ces visions surnaturelles et apocalyptiques pouvaient rendre compte de l'innommable réalité vécue par les Argentins.


Aussi dérouté qu'horrifié, le lecteur nauséeux se prend à détester Juan autant que celui-ci se déteste lui-même, jusqu'à ce que les raisons de son comportement terriblement brutal avec son fils finissent par dévoiler tout ce que l'homme cache de honte et de refus de transmettre l'abomination à laquelle il s'est retrouvé à contribuer. de son sacrifice émerge au final un formidable acte d'amour, une impulsion vers un avenir meilleur, pour peu que Gaspar, en partie protégé des compromissions paternelles, sache se tourner vers la lumière en évitant d'ouvrir à son tour la porte menant à la perdition.


Lecture horrifique d'une incommensurable noirceur débouchant malgré tout sur l'espoir, Notre part de nuit raconte le cauchemar empreint de culpabilité d'une génération argentine perdue dans l'enfer sans issue de l'oppression et de la terreur, et qui, consciente d'y avoir perdu son âme, n'a plus qu'une obsession : permettre à ses enfants d'envisager une vie meilleure, peut-être, un jour… Un livre puissant, dérangeant et marquant, qui mérite l'effort de sa lecture, il faut le dire, assez pesante.
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Après plusieurs retours élogieux d'amis babeliotes sur le roman de l'auteure argentine Mariana Enriquez, j'ai voulu moi aussi me lancer dans la lecture de cet énorme pavé. Pour ceux qui n'oseraient pas le lire en raison du volume de ce livre, et je comprends cette appréhension, j'ai eu la même, il ne faut pas hésiter, cette lecture est très fluide, prenante, rendue agréable par la belle traduction d'Anne Plantagenet.

« Notre part de nuit » n'est pas une lecture comme les autres.
Le récit est certes sombre, complexe, parfois violent, monstrueux, mais captivant et envoûtant par son traitement.
Un passage du roman résume mon ressenti :

« …l'impression qu'il venait de se réveiller et que le moment vécu dans ce lieu était loin, très loin, beau comme un jardin secret derrière un mur en ciment, rempli de fleurs violettes et de plantes qui mangeaient des mouches. »

*
Juan et son fils Gaspar fuient l'Argentine par la route pour rejoindre la frontière nord brésilienne. La mère de Gaspar a disparu quelques semaines auparavant dans des circonstances étranges et floues.

C'est pendant ce trajet que nous faisons leur connaissance.
Juan appartient à l'Ordre, une société secrète dont le but est de parvenir à l'immortalité par son intermédiaire. En tant que médium, il convoque, lors de rituels initiatiques, l'Obscurité.
Mais cette ancienne divinité, cruelle, féroce et vorace en sacrifices humains exige aussi une part du medium. A chaque invocation, le mal vibre dans tout son corps, et ses capacités physiques et mentales se dégradent irrémédiablement. Son pouvoir diminue chaque jour un peu plus. Bien qu'encore jeune, son corps est défaillant, brisé, moribond. Sa douleur physique le rend émouvant et attachant.

« … l'Obscurité est un dieu avec des griffes qui vous traque et qui vous trouve, l'Obscurité vous regarde jouer, comme les chats regardent jouer leur proie un moment, juste pour observer jusqu'où elle s'aventure. »

Cette fuite éperdue a pour but de protéger son enfant de cette vie d'extrême souffrance, car l'Ordre exige que Gaspar, dont les pouvoirs s'affirment chaque jour un peu plus, le remplace. Un héritage bien cruel pour cet enfant si jeune et ignorant de la vie qu'on lui destine. On ressent toute la force de cet amour paternel, mais aussi sa douleur intime, sa peur de ne pas être à la hauteur.

« Tu possèdes quelque chose à moi, dit-il, je t'ai laissé quelque chose, j'espère que ce n'est pas maudit, j'ignore si je peux te donner quelque chose qui ne soit pas souillé, qui ne soit pas obscur, notre part de nuit. »

*
Le début du récit est immersif mais aussi, assez confus, obscur.
L'auteure laisse intentionnellement le lecteur dans l'ignorance de certains moments essentiels de l'histoire. Cette tactique est payante car le lecteur veut des réponses à ses questions et la lecture devient vite addictive.
La mise en scène sans aucun ordre chronologique est frappante par la succession de plusieurs narrateurs, décrivant à chaque fois une époque différente.
Le récit multiplie les points de vue, les perspectives s'ouvrent. Les histoires et les personnages s'entremêlent, se croisent à différents moments de leur vie.

L'auteur crée tour à tour une intimité avec chacun d'eux.
Le lecteur entre dans leur histoire, leurs pensées. Certains s'effacent mais restent présents dans notre mémoire, alors que d'autres jusque là flous, nous apparaissent dans toute leur complexité.

« Il pouvait avoir peur de son père, mais jamais avec lui. Bien qu'il le sût malade, Juan lui paraissait invincible et dangereux. Parfois les animaux blessés étaient comme ça, beaucoup plus forts qu'en bonne santé. »

Mariana Enriquez excelle à dessiner des personnages fascinants, moralement ambigus ou mauvais. Certains sont froids, pervers, amoraux, dépravés, sadiques alors que d'autres sont lumineux et sensibles.
Juan est celui qui m'a le plus intrigué, à la fois doux, sensible et d'une violence inébranlable, démesurée, incompréhensible.

« Mais il n'était pas n'importe quel père, et les gens parfois le savaient quand ils le regardaient dans les yeux, parlaient avec lui un moment ; d'une manière ou d'une autre, ils devinaient le danger : Juan ne pouvait pas cacher ce qu'il était, c'était impossible sur la durée. »

*
Vous l'aurez compris, l'auteure distille une atmosphère fascinante qui m'a beaucoup plu, adoptant successivement le road movie, le thriller, le fantastique, le gothique, l'horreur, les légendes autour de personnages mythiques provenant des anciennes tribus guarani.

Par ces multiples facettes se dessinent en toile de fond, un cadre très réaliste, les années sombres et ténébreuses de l'histoire de l'Argentine, de la junte militaire, de la dictature, des disparitions, des tortures et des charniers au coeur de la forêt.

« … cette forêt touffue est une prison avec des murs de toutes parts, une terre rouge comme un fleuve de lave. »

J'ai aimé les passages où Mariana Enriquez évoque cette divinité inquiétante et gloutonne, monstre insatiable dont la gueule opaque et béante absorbe toute lumière et engloutit tout ce qui se présente à sa portée. Métaphore de l'histoire violente de l'Argentine, moment d'une force effrayante et d'une beauté carnassière, elle m'est apparue intense, vivante sous la belle plume de l'auteure.

*
Roman de filiation et de transmission, « Notre part de nuit » offre de nombreuses réflexions sur la vie, la mort. Malgré la noirceur qui s'en dégage, il transmet un message d'amour, de liberté, d'espoir.
L'écriture poétique, sensuelle, emplie d'amour et de magie, ou au contraire, furieuse, violente et sanglante diffuse des ambiances mouvantes, insufflant l'incertitude, l'appréhension, l'horreur, la tristesse, ou le dégoût.

*
Bien sûr, ce roman choral m'a beaucoup plu, mais pourtant, je n'y ai pas succombé totalement. Un magnifique coup de coeur ne dessinait dès les premières pages, mais malgré toutes les qualités évoquées, j'ai été moins captivée à certains moments du récit. Peut-être est-ce dû à quelques longueurs, au changement de rythme ou au changement de style narratif ?
J'aurais aimé entendre la voix de la grand-mère de Gaspar, mieux comprendre sa folie, sa fureur, sa violence gratuite, sa perversité. La disparition de la mère aurait nécessité quelques éclaircissements également, et le dénouement s'achève avec trop de précipitation à mon goût.

*
Pour conclure, Mariana Enriquez a écrit une oeuvre forte, créant un univers fictif impressionnant sur un fond historique bien réel. Elle a su insuffler malgré quelques longueurs, la souffrance et l'horreur dans cette histoire, nous faisant revivre avec émotion les actes commis pendant la dictature militaire argentine durant la seconde moitié du XXe siècle.
Un conte initiatique troublant, sombre, saisissant où réalité, terreur et surnaturel s'entrecroisent.
A découvrir.
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Notre part de nuit, ce titre est tiré d'un poème d'Emily Dickinson, choisi par Mariana Enriquez pour ce livre bouleversant, inoubliable, semblable à aucun autre avec une couverture magnétique …
“Our share of night to bear,
Our share of morning,
Our blank in bliss to fill,
Our blank in scorning.

Here a star, and there a star,
Some lose their way.
Here a mist, and there a mist,
Afterwards—day!”

En l'ouvrant, après avoir lu des critiques élogieuses, je me suis laissé happer par ce qui ressemble au début à un road movie d'un père étrange et violent avec son petit garçon, dont la mère est récemment décédée. L'histoire semble alors prometteuse. Mais on bascule petit à petit dans l'horreur en découvrant la secte de l'Ordre pour ensuite sombrer dans le délire le plus absolu du culte de l'Obscurité réalisant des sacrifices humains pour satisfaire un nuage noir avalant et mutilant tous les humains sur son passage…
Là, j'ai reposé le livre en me demandant dans quoi j'étais tombée. Plusieurs nuits de suite, à la faveur de réveils nocturnes, mes premières pensées sont allées vers le livre qui semblait m'appeler... J'ai ressenti un véritable malaise physique lors de ma lecture, comme une nausée, et des idées sombres m'ont assaillies... Jamais une lecture ne m'a fait un tel effet, en me retournant véritablement les tripes, au sens premier du terme. Pour moi, la lecture doit avant tout être une source de plaisir, d'évasion, de découverte et d'apprentissage de l'humain. Les lectures ou films d'horreur ne m'ont jamais attirée…
J'ai pensé alors que ce livre n'était pas fait pour moi et j'ai décidé d'arrêter cette lecture, la souffrance des personnages me dévorant moi aussi.
Mais ça ne s'est pas déroulé de la façon prévue car j'ai malgré tout continué…Tout d'abord parce que je n'ai jamais vraiment réussi à abandonner une lecture (certainement à cause d'un respect un peu idiot dû au travail de l'auteur, ce que je regrette la plupart du temps, le revirement final tant espéré n'arrivant que trop rarement) et mue par une curiosité que j'ai du mal à m'expliquer ou un magnétisme démoniaque. Alors j'ai poursuivi, un peu à reculons tout d'abord, mais j'ai poursuivi quand même.
Et là, oui, pour une fois, je n'ai pas regretté d'avoir persévéré ; subitement, les chapitres se succèdent, je tourne les pages, l'horrifique pur et l'appréhension s'éloignent, je termine complètement envoutée, à devoir lire les deux cents dernières pages d'une traite, sans plus pouvoir m'arrêter.
Mariana Enriquez imbrique ses pièces de puzzle les unes dans les autres avec une précision machiavélique, et les chapitres décrivant des personnages et des époques différents se répondent en d'assourdissants échos.
Jamais une lecture n'aura suscité chez moi simultanément autant d'attirance et de répulsion.
Je pense que c'est le type de livres que l'on peut lire plusieurs fois sans trouver toutes les clés, tant il est riche en doubles lectures.
Un roman à part, inclassable, fleuve, foisonnant, mystique, horrifique, envoûtant, magistral.
Un voyage plein de turbulences à faire le coeur bien accroché et je conseille sincèrement aux âmes sensibles, fragiles ou trop cartésiennes de s'abstenir. le lecteur avance tel un funambule sur son fil au-dessus du précipice, le gouffre noir haletant sous ses pieds tordus de douleur, San La Muerte guette son faux pas avec avidité. Gare à vous, vous n'en ressortirez pas indemne !
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critiques presse (11)
LeMonde
30 janvier 2023
Traitant simultanément, comme Monsieur Klein, film de Joseph Losey (1976), cauchemars de l’histoire et histoire de cauchemars, ce roman offre une nouvelle dimension à l’imaginaire contemporain.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeJournaldeQuebec
23 janvier 2023
Un père et son jeune fils fuient à travers l’Argentine dans l’espoir d’échapper à une sinistre organisation secrète frayant avec les démons.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Syfantasy
29 décembre 2022
Monumental, le dernier roman de Mariana Enriquez est un livre-Monstre, d'où cette inévitable chronique !
Lire la critique sur le site : Syfantasy
Elbakin.net
20 janvier 2022
Vaste, profond et maîtrisé, Notre part de nuit est le roman dont on peut avoir besoin pour se rappeler pourquoi on aime tant lire. Une histoire qui, si l’on y est sensible, rejoint ces récits que l’on porte au cœur tout au long de notre parcours de lecteur.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
LeDevoir
11 octobre 2021
Ce roman-monstre mêle fascination pour l’occulte, folklore guarani et fantômes de la dictature argentine.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
FocusLeVif
08 octobre 2021
Dans un premier roman gothique et hypnotique, Mariana Enriquez livre un médium et son fils aux ténèbres, dans un XXe siècle tourmenté.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
LeMonde
16 septembre 2021
La romancière argentine atteint ici un nouveau sommet de la littérature horrifique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
16 septembre 2021
Avec ce livre-monstre, tour à tour grimoire ou rapport d’enquête, Mariana Enriquez livre la somme d’un demi-siècle d’angoisses et d’espérances sud-américaines.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
10 septembre 2021
Notre part de nuit de Mariana Enriquez: un roman époustouflant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LePoint
01 septembre 2021
Une fois embarqué dans Notre part de nuit, périple noir de Mariana Enriquez qui compte près de 800 pages, on ne le lâche plus. Ne cherchez plus le roman le plus fou...
Lire la critique sur le site : LePoint
LesInrocks
25 août 2021
De la dictature argentine au Londres des seventies, la romancière saisit les bouleversements du monde et des êtres dans un grand roman gothique.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (127) Voir plus Ajouter une citation
Le trajet fut court jusqu’à la Costanera Sur, magnifique de nuit, avec
une odeur de pluie et de terre, le fleuve sombre et silencieux derrière les
grands murs en pierre. La ville paraissait être si loin du fleuve, c’était
étrange, un fleuve sans rives qui venait frapper contre les murs, aussi grand
qu’une mer, marron le jour, mais argenté la nuit. La réserve écologique de
la Costanera Sur, avec ses monuments et lampions, ses gloriettes, ses stands
de marchands ambulants fermés, était totalement déserte. Il était trois
heures du matin à Buenos Aires. Marcher sur l’herbe, toucher les feuilles
des arbres du bout des doigts. Peu de lumière à part la lune. Les trois quarts
de l’univers sont noirs, avait dit son père. Gaspar comprenait, l’univers
c’était la nuit. Mais toutes les nuits n’étaient pas comme celle-ci, fraîche et
belle. Le chauffeur dans la voiture écoutait la radio, un tango triste, comme
tous les tangos. Marcher jusqu’au garde-fou, non jusqu’à la rive puisqu’il
n’y avait pas de rives, on ne pouvait pas toucher l’eau. Gaspar se souvenait
des fleuves de son enfance et, cette nuit, il ressentit le désir de nager. Dans
l’obscurité, on ne distinguait pas le sang sur le tee-shirt de son père. Quand
ils arrivèrent près du fleuve, une douce brise agita les cheveux de Gaspar.
Juan lui donna l’urne contenant les cendres de sa mère. Elle était petite,
comme une boîte à bijoux, la taille d’un carnet. Voilà ce qui restait de sa
mère depuis des années. Gaspar se souvenait de sa chaleur, à présent si
lointaine. À présent terre, cendres, froides comme la pierre des murs. Pas
ici, dit soudain son père. Allons dans la réserve. Tu as peur ? Non, dit
Gaspar. Il pouvait avoir peur de son père, mais jamais avec lui. Bien qu’il le
sût malade, Juan lui paraissait invincible et dangereux. Parfois les animaux
blessés étaient comme ça, beaucoup plus forts qu’en bonne santé. On peut
entrer la nuit dans la réserve ? interrogea Gaspar. Il était venu plusieurs fois,
de jour, avec Vicky et sa famille. Elle était toujours en travaux. Du moins,
s’il était possible de construire quelque chose dans un endroit aussi
sauvage, un marécage de lagunes et de pâturages, peuplé d’animaux,
traversé par des chemins de terre, délimité par le fleuve. Au fond de la
réserve, oui, on pouvait accéder au fleuve. Ils étaient en train d’en faire un
lieu protégé, pour les promenades, et aussi pour que les animaux puissent y
vivre. Mais, la nuit, c’était fermé par de hautes grilles, croyait se rappeler
Gaspar. On va voir ça, entre, mon fils, entre si tu peux, lui dit son père
quand ils arrivèrent devant les grilles. Troublé, Gaspar lui rendit l’urne où
se trouvait sa mère et tenta d’ouvrir la grille. Alors il s’aperçut qu’il n’avait
pas besoin de clé, qu’il pouvait simplement l’ouvrir s’il le voulait, même
s’il ne comprenait pas comment c’était possible. Il toucha la grille qui
s’ouvrit (après qu’il eut pensé, en effet, qu’il pouvait le faire), et son père le
suivit sans rien dire, comme si c’était parfaitement normal. De l’autre côté,
parmi de hautes herbes et sur un chemin boueux, avec des flaques brillantes
comme des miroirs sous la lune, Juan s’accroupit pour le regarder dans les
yeux. Il prit son visage entre ses mains et lui caressa les cheveux. L’urne
était posée par terre, entre eux. Tu possèdes quelque chose à moi, dit-il, je
t’ai laissé quelque chose, j’espère que ce n’est pas maudit, j’ignore si je
peux te donner quelque chose qui ne soit pas souillé, qui ne soit pas obscur,
notre part de nuit. Ça me plaît, dit Gaspar. Et son père lui répondit bien sûr,
maintenant plus rien ne peut te faire de mal. Rien ? Rien. Ils avancèrent
sans chercher à éviter les flaques (qu’il était de toute façon impossible
d’éviter), les chaussures mouillées, le bas du pantalon plein de boue. Gaspar
faisait des pauses de temps en temps pour permettre à son père de reprendre
son souffle, il marchait si peu désormais. Il me manquera, pensa-t-il, je serai
content quand il ne sera plus là car ce sera plus facile de ne plus être triste
sans lui, mais il me manquera. Ils avancèrent encore. Le fleuve n’était pas si
loin et ils finirent par y arriver à travers les hautes herbes. Il y avait des
bruits d’animaux. Gaspar savait que c’était plein de vipères. Mais elles
étaient non venimeuses, et les mots de son père résonnaient dans sa tête,
maintenant plus rien ne peut te faire de mal. Combien de temps signifiait
maintenant ? Combien de temps durait le présent ? Sur la rive, enfin, il y
avait du sable et des rochers. Son père lui dit qu’avant, y compris quand lui-
même était petit, on pouvait nager dans le fleuve, qui n’était pas aussi
pollué. Gaspar demeura immobile, reniflant l’air de la nuit, l’étendue d’eau,
immense. Comment était-il possible que ce ne soit pas la mer ? Il enleva ses
chaussures, retroussa son pantalon et entra dans le fleuve. Viens, papa, dit-
il. Juan le suivit et ils restèrent là tous deux, Gaspar avec de l’eau jusqu’aux
chevilles. Son père ouvrit l’urne et se baissa pour la vider dans l’eau. Les
cendres flottèrent un moment avant de couler. Il y en avait encore un peu au
fond de la boîte. Gaspar vit son père retirer son tee-shirt et frotter les
cendres sur sa plaie, qui était sale. Avait-il déjà fait ça plus tôt ? Sans
crainte, il s’approcha pour examiner la blessure. C’était une entaille peu
profonde, qui ressemblait à une sorte de télescope, comme sur les
gribouillis que son père dessinait et éparpillait dans la maison. Il s’aperçut
que Juan parlait à voix basse, tandis qu’il continuait de frotter les cendres
sur sa plaie. Gaspar en prit un peu aussi, qu’il étala dans la paume de sa
main et embrassa. Ça avait un goût vieux, rance, mais ce n’était pas
désagréable. Je t’aime, dit-il à voix haute. Puis il se lava les mains et
plongea dans l’eau l’urne que son père lui avait rendue. Les morts voyagent
vite, se rappela-t-il, cette phrase qui l’avait effrayé quand il l’avait lue. À
présent il n’avait plus peur. Je te souhaite d’arriver le plus vite possible où
tu dois aller, maman. On jette l’urne ? On l’enterre, dit son père. Mais
auparavant, il se mit à remuer l’eau avec ses mains immenses, ses longs
bras, et quand un nuage cacha la lune, que l’obscurité fut presque totale,
Gaspar eut l’impression que ses mains devenaient plus grandes encore, des
griffes dans l’eau, un animal qui barbotait. La lune réapparut. Gaspar ne
pouvait plus distinguer désormais les cendres de sa mère dans l’eau noire et
argentée, qui lui fit penser au goudron frais des avenues de son quartier
quand on refaisait le bitume.
Son père revint sur la rive et entreprit de creuser la terre avec ses mains,
plus animal que jamais. Il avait laissé flotter dans l’eau son tee-shirt, que
Gaspar récupéra. Il était trempé. Allait-il le remettre quand même ? Il l’aida
à creuser. Juan transpirait, sa respiration était sifflante, mais il réussit à faire
un trou assez profond pour enterrer la boîte, qu’ils recouvrirent ensemble.
Puis il dessina quelque chose, que Gaspar ne parvint pas à identifier, sur la
tombe du cercueil vide de cendres. Peut-être était-ce seulement un dernier
adieu, une sorte de caresse avec le doigt. Ils s’assirent de chaque côté du
monticule de terre. Ils avouèrent en même temps qu’ils avaient envie de
fumer et se mirent à rire. Enfin, dit son père. Il paraissait content. Gaspar
s’efforça de ne pas penser à ce qu’il avait fait avec les cendres, à ce qu’il
avait fait, lui, ils avaient l’air de deux cannibales sous la lune, pleins de
boue, de l’odeur du fleuve.
Le retour fut comme un rêve, plus lent, alors qu’ils firent moins de
pauses. Quand ils furent devant les grilles, qui étaient à nouveau fermées,
son père le regarda. Il avait les yeux presque jaunes, cela lui arrivait parfois.
Comme il n’avait pas remis son tee-shirt mouillé, ses blessures, sales,
formaient un étrange graffiti sur sa poitrine, un dessin maladroit. Gaspar
obéit à son regard. Il posa les mains sur la grille et sentit le sang couler dans
son corps à une vitesse terrible, son pouls battre dans sa tête, dans son
ventre, dans ses poignets. Les portes s’ouvrirent. Il se calma mais
dégoulinait de sueur comme s’il venait de courir, comme après les matchs
de foot l’été.
Tout va bien, dit son père. Engaillardi par les cendres et la lune, Gaspar
se risqua à lui demander si c’était cela qui l’avait rendu malade. Ce genre
d’efforts. Ouvrir les portes de cette manière. Moi ? Non, répondit Juan. La
maladie m’a freiné. Pour cette raison, je dois la remercier. Je suis ton père
parce que je suis malade. Si j’avais été en bonne santé, j’ignore ce qui se
serait passé.
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Pendant la finale, quand l’Argentine mena 2-0, ils devinrent fous. Hugo
Peirano cassa un verre et les filles criaient tellement qu’il fallut les faire
taire en criant encore plus fort. Vous êtes cinglés, dit Lidia, on croirait que
vous avez vu un ovni. Les Allemands jouaient bien et revinrent au score
avec deux buts identiques sur corner du côté gauche. Après l’égalisation, le
silence fut total. À la quatre-vingt-quatrième minute, le numéro 8 de la
Mannschaft, Lothar Matthaüs, laissa filer Maradona, qu’il marquait. Ce fut
rapide, juste une seconde, mais Maradona en profita pour envoyer le ballon
en profondeur du pied gauche pour Burruchaga. Quelle passe incroyable,
pensa Gaspar. But, dit-il à voix haute. Tais-toi, murmura Hugo Peirano, qui
avait trop peur d’être déçu. Mais Burruchaga prit son arrière de vitesse et
marqua tranquillement du pied droit.
Gaspar ne vit pas ce qui se passa ensuite. Il se retrouva dans les bras de
Pablo et de tous les autres. Les six dernières minutes, il le savait, allaient
être âprement disputées, mais inutiles pour l’Allemagne : ils étaient
champions du monde et c’était comme voler, comme si plus rien d’autre
n’existait que ce moment, à la fois heureux et d’une tristesse infinie
puisqu’il ne durerait pas. Il fallait sortir, impossible de rester seul. Il y avait
des klaxons partout dans les rues, des poupées portant le maillot numéro 10,
des drapeaux et des confettis. Quelle folie, quelle émotion, chantaient les
gens. Certains tiraient le fil de leur téléphone dehors pour que leurs proches
qui vivaient à l’étranger entendent les cris, l’ivresse, et pleurent, là-bas, au
Canada et aux États-Unis, au Brésil, au Mexique, en Espagne et en France,
exilés à cause de la dictature, loin de l’Argentine où il n’y avait jamais de
travail. Certains avaient vu le match dans des bars, d’autres l’avaient écouté
à la radio, tous auraient voulu être là, y compris dans les provinces où il
pleuvait et où les gens faisaient la fête, trempés, le tee-shirt collé au corps.
Dans le parc, ils dansèrent au son des haut-parleurs de la rue, mangèrent des
hot-dogs et burent du vin. La sandwicherie tourna toute la nuit et ils finirent
allongés dans l’herbe, épuisés de pleurer, de manger et de crier, vêtus de
bleu ciel et de blanc de la tête aux pieds.
Gaspar se rappellerait ce jour, et cette nuit, comme ses derniers instants
de bonheur avant de nombreuses, très nombreuses années.
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Au fond de la
réserve, oui, on pouvait accéder au fleuve. Ils étaient en train d’en faire un
lieu protégé, pour les promenades, et aussi pour que les animaux puissent y
vivre. Mais, la nuit, c’était fermé par de hautes grilles, croyait se rappeler
Gaspar. On va voir ça, entre, mon fils, entre si tu peux, lui dit son père
quand ils arrivèrent devant les grilles. Troublé, Gaspar lui rendit l’urne où
se trouvait sa mère et tenta d’ouvrir la grille. Alors il s’aperçut qu’il n’avait
pas besoin de clé, qu’il pouvait simplement l’ouvrir s’il le voulait, même
s’il ne comprenait pas comment c’était possible. Il toucha la grille qui
s’ouvrit (après qu’il eut pensé, en effet, qu’il pouvait le faire), et son père le
suivit sans rien dire, comme si c’était parfaitement normal. De l’autre côté,
parmi de hautes herbes et sur un chemin boueux, avec des flaques brillantes
comme des miroirs sous la lune, Juan s’accroupit pour le regarder dans les
yeux. Il prit son visage entre ses mains et lui caressa les cheveux. L’urne
était posée par terre, entre eux. Tu possèdes quelque chose à moi, dit-il, je
t’ai laissé quelque chose, j’espère que ce n’est pas maudit, j’ignore si je
peux te donner quelque chose qui ne soit pas souillé, qui ne soit pas obscur,
notre part de nuit. Ça me plaît, dit Gaspar. Et son père lui répondit bien sûr,
maintenant plus rien ne peut te faire de mal. Rien ? Rien. Ils avancèrent
sans chercher à éviter les flaques (qu’il était de toute façon impossible
d’éviter), les chaussures mouillées, le bas du pantalon plein de boue. Gaspar
faisait des pauses de temps en temps pour permettre à son père de reprendre
son souffle, il marchait si peu désormais. Il me manquera, pensa-t-il, je serai
content quand il ne sera plus là car ce sera plus facile de ne plus être triste
sans lui, mais il me manquera. Ils avancèrent encore. Le fleuve n’était pas si
loin et ils finirent par y arriver à travers les hautes herbes. Il y avait des
bruits d’animaux. Gaspar savait que c’était plein de vipères. Mais elles
étaient non venimeuses, et les mots de son père résonnaient dans sa tête,
maintenant plus rien ne peut te faire de mal. Combien de temps signifiait
maintenant ? Combien de temps durait le présent ?
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aspar avait découvert le plus simple des passe-temps : regarder du foot
à la télé et lire El Gráfico de la première à la dernière page. River, avec son
équipe imbattable, l’agaçait, même s’il devait avouer qu’il aurait aimé jouer
comme Francescoli. Aucun joueur ne lui plaisait autant que lui, pas même
un de San Lorenzo. Il détestait River car ils avaient Francescoli et des
défenseurs féroces, qui taclaient sous tous les prétextes. Ils ont raison,
affirmait Hugo Peirano, le foot, c’est pas un truc de pédés. Ils avaient vu
ensemble River gagner le championnat, 3-0, contre Vélez. C’était comme
être dans un film. À la fin, la réalité reprenait ses droits, et la réalité de
Gaspar c’était son père alité, parfois à la maison, mais de plus en plus
souvent à l’hôpital. Il lui arrivait même de s’y rendre seul. Gaspar ignorait
où il était, et quand Juan revenait, il était tellement en colère ou épuisé qu’il
était incapable de parler. Gaspar voyait s’accumuler les médicaments sur sa
table de chevet et la maison se remplir de papiers, de griffonnages, de notes
qui n’avaient aucun sens. Avait-il arrêté de prendre son traitement ? Que
signifiaient ces dessins ? Pour toutes ces raisons, mieux valait se concentrer
sur le foot, et même étudier en écoutant de la musique. Ainsi, Gaspar
n’entendait pas son père marcher à l’étage ou remplir sa bouteille
d’oxygène. Il n’arrivait plus à lire de poésie, de nouvelles, tout ce qu’il
aimait d’habitude. Ça ne le distrayait pas assez et, parfois, ça le faisait
pleurer. Il avait emprunté dans la chambre de son père un recueil d’une
poétesse anglaise, Elizabeth Barrett Browning. Un poème disait :
“ENOUGH ! we’re tired, my heart and I. We sit beside the headstone thus,
And wish that name were carved for us.” Ça ne pouvait pas mieux tomber.
Et pour tout arranger, la traduction était épouvantable. Gaspar ne supportait
pas de lire des vers si beaux et si tristes. Il préférait se concentrer sur les
mathématiques. Il ne pouvait toujours pas nager, à cause de son pied, et
attendait avec impatience de retourner à la piscine. Sous l’eau, il était plus
facile de s’évader.
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Le chauffeur les vit arriver tachés de boue, de sang, trempés. Il ne fit
aucun commentaire, n’eut aucune réaction. Il a l’habitude, pensa Gaspar. Il
démarra. Les grilles, la lune, le fleuve et les cendres restèrent derrière eux.
Là, dans la voiture, au côté de son père à moitié nu, dont la poitrine était
maculée de sang et de cendres, Gaspar s’obligea à réprimer le tremblement
de ses jambes, l’impression qu’il venait de se réveiller et que le moment
vécu dans ce lieu était loin, très loin, beau comme un jardin secret derrière
un mur en ciment, rempli de fleurs violettes et de plantes qui mangeaient
des mouches.
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Vidéo de Mariana Enriquez
(POUR AFFICHER LES SOUS TITRES CLIQUEZ SUR L'ICONE SOUS TITRES) Vous vous demandez s'il existe une astuce commune à tous les écrivains pour progresser régulièrement, améliorer vos intrigues, maîtriser la structure de vos chapitres et affiner votre style d'écriture ?
Tout comme les musiciens qui s'améliorent en écoutant et en analysant la musique, les écrivains recommandent la lecture. Mais attention, il ne s'agit pas d'une simple lecture divertissante, mais d'une lecture d'écrivain qui examine et décortique le travail d'autres auteurs.
Dans cette vidéo, vous découvrirez les conseils de 6 écrivains internationaux : Claudia Durastanti (romancière italienne), Jan Carson (nouvelliste, romancière et professeure de creative writing irlandaise), Maria Sonia Cristoff (romancière et professeure de creative writing argentine), Jonathan Coe (romancier anglais), Mariana Enriquez (romancière et nouvelliste argentine) et Jakub Szamalek (romancier Polonais). Ils partagent leur point de vue sur l'importance de la lecture pour devenir écrivain.
Ne manquez pas les moments clés de la vidéo :
00:10 Claudia Durastanti 01:15 Jan Carson 03:23 Maria Sonia Cristoff 03:47 Jonathan Coe 05:20 Mariana Enriquez 06:20 Maria Sonia Cristoff 06:43 Jakub Szamalek
Avec leurs expériences variées et leurs perspectives uniques, ces écrivains vous guideront vers une pratique de la lecture qui vous permettra d'améliorer considérablement votre écriture. Regardez dès maintenant et prenez votre plume pour devenir un écrivain accompli !
Interview : Amoreena Winkle, Julie Fuster, Lionel Tran. Caméra : Lionel Tran - Montage : Ryu Randoin.
QUI SOMMES-NOUS ? Les Artisans de la Fiction sont des ateliers d'écriture situés à Lyon. Nous prônons un apprentissage artisanal des techniques d'écriture et avons pour objectif de rendre nos élèves autonomes dans l'aboutissement de leurs histoires. Pour cela nous nous concentrons sur l'apprentissage et la transmission des techniques de base de la narration en nous inspirant du creative writing anglophone. Nos élèves apprennent en priorité à maîtriser : la structure de l'intrigue, les principes de la fiction, la construction de ses personnages… Nous proposons également des journées d'initiation pour vous essayer au creative writing et découvrir si cet apprentissage de l'écriture de fiction est fait pour vous. Retrouvez tous nos stages d'écriture sur notre site : http://www.artisansdelafiction.com/
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