Les faux-monnayeurs /
André Gide
Ce roman complexe de près de 600 pages publié en 1925 se caractérise par la multiplicité des intrigues et des personnages, une quarantaine environ ! Trois personnages essentiels se retrouvent dans l'histoire principale, Bernard et Olivier deux amis lycéens et Édouard l'oncle d'Olivier et écrivain désireux de créer un roman innovant qu'il veut intituler «
Les Faux Monnayeurs ».
Bernard Profitendieu est sur le point de passer son baccalauréat. Fouilleur, il découvre un beau jour des lettres d'amour non signées remontant à dix-sept ans, adressées à sa mère Marguerite et comprend qu'il est le fruit d'un adultère. Albéric son père, juge d'instruction, a épousé une femme issue de la haute société. Marguerite a reçu un héritage très conséquent à la mort de ses parents. La faute a été pardonnée…
Bernard ressent un profond mépris pour cet homme qui l'a élevé sans être son géniteur et en vérité ne l'a jamais aimé. Et pourtant ce père a toujours eu une préférence pour ce fils parmi les quatre enfants. Une brève réflexion conduit Bernard à l'idée d'écrire une lettre d'adieu qu'il veut cruelle. Puis il part et se réfugie chez son ami Olivier, fils de Pauline et d'Oscar Molinier, un collègue d'Albéric.
Albéric découvre la lettre de Bernard pleine de défi et de jactance et encaisse avec difficulté et une grande souffrance surtout quand il annonce la nouvelle à sa femme et aux enfants avec les détails concernant la paternité de Bernard. Marguerite est inconsolable.
Olivier a un grand frère Vincent, étudiant en médecine, fréquentant une femme mariée, Laura Douviers. Laura est enceinte des oeuvres de Vincent qui a un grand besoin d'argent et est prêt à tout pour en obtenir. le drame couve.
L'oncle d'Olivier, Édouard l'écrivain, rentre d'Angleterre après avoir reçu une lettre de Laura, la maîtresse de Vincent, l'appelant au secours, désemparée car elle a quitté Félix Douviers, son mari il y a trois mois, car enceinte de Vincent qui l'a, entre-temps abandonnée.
Arrivé à la gare Saint-Lazare, Édouard dépose sa valise en consigne mais perd le ticket. C'est Bernard qui a filé Olivier venu accueillir Édouard qui ramasse le ticket et s'empare de la valise dans laquelle il découvre le journal intime de l'écrivain ainsi que des lettres dont celle de Laura et de l'argent. La lecture de ce journal révèle à Bernard la face cachée d'Olivier. Et la lettre de Laura lui révèle que c'est elle l'amante de Vincent. Il veut sauver Laura et ce avant qu'Édouard ne l'ait revue. Il va chez Laura et lui fait part de ses intentions de l'aider. Survient Édouard.
Et la suite voit Bernard déjà épris d'Édouard tomber amoureux de Laura lors d'un séjour en Suisse avec Édouard qui lui propose de devenir son secrétaire.
Et si Félix rappelait Laura ?... Amours troubles, suicide et tentative de suicide, mensonges et hypocrisies, la suite est un imbroglio avec nombre d'intrigues parallèles vers un dénouement sans fin…
L'histoire commençait bien avec la découverte que fit Bernard et pourtant j'ai eu bien du mal à aller au bout de ce pensum ennuyeux que représente la lecture de ce roman déroutant, ressemblant par moment au parcours d'un labyrinthe. Au bout de cent pages, me sentant perdu et supposant que j'avais dû oublier quelque chose en cours de route, j'ai recommencé ma lecture à zéro en prenant des notes. En fait, non, je n'avais rien oublié mais il me fallait m'habituer à voir surgir sans cesse de nouveaux personnages innombrables agissant comme s'ils avaient déjà été présents antérieurement.
Une lecture réellement déstabilisante et longue, très longue aux intrigues enchevêtrées à souhait. Avec en plus les éléments du journal intime et de réflexion d'Édouard intercalés ainsi que des lettres et des changements de narrateur. L'auteur lui-même s'adresse parfoi
s au lecteur le prenant à témoin. En fait l'ambiguïté est constante et on se demande où on est.
En ce qui concerne les thèmes abordés, l'adolescence et ses tourments avec en filigrane l'homosexualité occupent une place de choix, avec les troubles d'identité et le mensonge. En vérité, les chapitres pris individuellement, écrits dans le beau style de
Gide sont souvent intéressants, mais c'est souvent la construction de l'ensemble du roman qui m'a déconcerté.
On retrouve tout au long du roman l'image de l'idéal de vie personnel de
Gide ainsi que la trace de ses répugnances instinctives.
Les faux-monnayeurs ne sont pas seulement les collégien s dévoyés qui écoulent de fausses pièces, mais aussi tous les faussaires de l'âme qui vivent dans le mensonge et l'hypocrisie.
À travers le personnage d'Édouard, son alter ego romancier, le seul qui ait belle conscience selon l'auteur,
Gide montre les limites de la prétention du roman linéaire à reproduire le monde réel et ouvre ainsi la voie à la recherche plus large d'une écriture créatrice. Il entend écrire un roman qui n'en est pas un. On peut parler de déconstruction !
« …De toutes les nauséabondes émanations humaines, la littérature est une de celles qui me dégoûtent le plus. Je n'y vois que complaisance et flatteries… »
Pas de descriptions physiques ou de paysages, seuls les sentiments, les réflexions et les actes ont place et ce sans chronologie véritable.
Gide souhaite s'écarter de la structure et de l'objectif du roman traditionnels, qui sont la narration linéaire d'une histoire dont l'intrigue conduira le lecteur de la première à la dernière page.
Les Faux-Monnayeurs est considéré par les spécialistes comme un ouvrage précurseur du Nouveau Roman. Pour d'autres, il est jugé comme un faux-roman, une sorte d'objet d'étude plus qu'autre chose. On a pu dire que «
Les Faux-Monnayeurs » ne sont en fait que le roman d'un roman en train de s'écrire. Avis aux amateurs !