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EAN : 9782234079144
560 pages
Stock (14/01/2015)
3.13/5   39 notes
Résumé :
Reno a trois passions : la vitesse, la moto et la photographie. Elle débarque à New York en 1977 et s’installe à Soho, haut lieu de la scène artistique, où elle fréquente une tribu dissolue d’artistes rêveurs, narcisses qui la soumettent à une éducation intellectuelle et sentimentale. Reno entame alors une liaison avec l’artiste Sandro Valera, fils d’un grand industriel milanais qu’elle suit en Italie où ils sont bientôt emportés dans le tourbillon de violence des a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Un grand merci à l'inégalable Masse critique de Babelio et aux Editions Stock.

Le deuxième roman de Rachel Kushner, Les lance-flammes, a été porté aux nues par plusieurs auteurs anglo-saxons parmi les plus célèbres. Ce qui, au demeurant, est plutôt inquiétant : quand des écrivains adoubent l'un des leurs, le lecteur lambda se sent un peu prisonnier d'opinions de gens qui savent mieux que lui ce qu'est un bon livre. Non ? Non, pas forcément, puisque tous les avis se valent. Les Lance-flammes contient de très bonnes choses à commencer par un portrait très dense d'une héroïne, Reno, qui traverse les années 70 à grande vitesse entre les ateliers d'artistes de New York et une villa bourgeoise dans les environs du lac de Côme, en passant par la Rome des "années de plomb" et le Grand Lac Salé, à moto s'il vous plait. Dans ses meilleurs moments, le livre va à toute berzingue et il est passionnant à lire. Mais, oui car il y a un mais, Rachel Kushner s'arrête parfois à des feux rouges virtuels et nous inflige de longues conversations fastidieuses ou encore s'empêtre dans des digressions sur l'air du temps. On a franchement l'impression que la romancière en remet un peu pour "faire" plus littéraire au point que le style dépasse le fond. A la lire, on se sent un peu comme le cachet d'aspirine au contact de l'eau : effervescent un temps et puis impuissant une fois l'effet initial absorbé. Des qualités d'écrivain, Rachel Kushner en possède, c'est irréfutable, et un remarquable sens du découpage narratif (voir les flashbacks sur le grand-père du fiancé de Reno, qui a fait fortune avec le caoutchouc, du Brésil à l'Italie fasciste). Porté par un bel élan, Les lance-flammes est parfois freiné par un excès de travail sur la forme. Mais Rachel Kushner a le feu sacré, il faudrait aveugle pour ne pas le voir. Et on est curieux de voir l'adaptation que Jane Campion tirera de cette somme de près de 550 pages s'il se confirme qu'elle la tourne bien.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Hasard de lecture, je lis ce roman juste derrière "John l'enfer" qui se déroulait en 1977 à New-york. Pour celui ci c'est la même date et New-York est un lieu important dans ce roman, (ainsi que le Nevada et l'Italie)

Au départ on suit deux histoires en parallèle : D'un côté, un italien nommé Valera en 1912, de l'autre USA - Nevada 1977- avec un début sur les chapeaux de roues : Une jeune femme artiste (photographie et cinéma) participe à une course de vitesse dans le désert du Nevada : 238 km/heure, la moto part dans le décor ....suspense... on repart en Italie dans les années 30...

On se doute rapidement que les histoires vont se rejoindre : L'italien de 1917 a pour nom de famille Valera et est passionné de moto (il est dans l'armée dans une section de motocyclistes) et la jeune femme a une moto Valera et un ami qui s'appelle Valera également.

Finalement, l'histoire qui a lieu en 1977 prend assez vite le pas sur l'autre histoire «italienne » qui se déroule par " bond " entre les années :  1912,1917,1939, 1950...

On finit par « suivre » seulement Reno (surnom de la jeune femme qui est originaire du Nevada),  elle vient de finir ses études et se rend à New-York dans le but de devenir une artiste reconnue : elle a 21 ans, plein d'illusions et devient rapidement amoureuse de Sandro (Valera), un artiste célèbre d'une quarantaine d'années.

Le milieu de l'art à New-York dans les années 79 m'a à la fois plu et semblé bien vain : être original à tout prix, s'étourdir dans des fêtes,....
Les personnages secondaires m'ont également intéressée (surtout Ronnie Fontaine, l'ami de Sandro : sympathique, ambigu, jeune homme issu d'un milieu pauvre qui se retrouve célèbre du jour au lendemain grâce a son art)

Sandro et Reno partent quelques jours en Italie dans la famille de celui ci : une révélation pour Reno ...la confrontation avec la violence dans l'Italie des années 1970 et la prise de conscience de la différence entre les classes sociales.

En conclusion : le portrait passionnant de l'évolution d'une jeune femme (durant deux ans, de 21 à 23 ans) même j'ai trouvé quelques longueurs cependant sur la vie "artistique et nocturne dans le New York de la fin des années 70."
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Education sentimentale, intellectuelle, artistique et politique d'une jeune fille dans le New York des années 70, cette fresque ambitieuse de Rachel Kushner déborde d'énergie.
D'abord parce que la jeune Reno, fan de ski, de moto, de vitesse et d'images en mouvement, va rencontrer des personnages incroyables, des artistes parfois doués, parfois superficiels mais bouillonnants de vitalité, des camés en tous genre , des militants d'extrême-gauche et des aristocrates italiens.
Et l'auteure, comme son héroïne, parle de ces expériences en initiée puisqu'elle partage les mêmes passions.

Elle sera confrontée à des artistes insouciants qui brûlent leur argent en s'achètant 500 tee-shirts et 500 jeans pour ne pas avoir à les laver, à des performeurs fous, à des gangs comme les motherfuckers.

Sa rencontre amoureuse avec Sandro, fils d'industriels italiens, lui permettra de bénéficier d'une magnifique moto avec laquelle elle battra un record féminin de vitesse mais aussi de découvrir l'histoire de cette famille richissime d'exploiteurs qui a fait fortune dans le caoutchouc. Quelques aller-retour dans le passé du grand père ne laissent aucun doute sur les compromissions avec l'Italie de Mussolini.
Le séjour en Italie permet de confronter la jeune femme à la grande bourgeoisie et au mépris de classe, tout en documentant les années de plomb, le développement de la lutte armée et les attentats des Brigades rouges.

De retour à New York, après sa rupture avec Sandro, elle retrouve ces artistes égocentriques et narcissiques qui se servent des femmes et ne leur laissent aucune place. Toujours vulnérable, Reno décide de prendre sa vie en main et conclue: "Je dois fixer une limite arbitraire au coeur de l'attente, l'absence sans limites et m'en arracher. Partir sans réponse. Passer à la question suivante".

Le roman est brillant, intense, généreux et bavard. C'est peut-être son intensité, son éparpillement qui peut parfois perturber le lecteur et l'exclure à certains moments trop discursif... Mais mieux vaut un roman qui a beaucoup a dire et qui le dit au risque de perdre le lecteur qu'un roman bien trop fade qui ne sert qu'un confortable divertissement.
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Les Lance flammes me laisse perplexe.

Face à ces quelques 500 pages, j'ai tout d'abord été un peu perdue car la narration alterne entre deux époques : le New York des années 70 dans lequel on suit Reno, jeune femme aspirant à devenir artiste ; la fin de la Première Guerre mondiale, en Italie, à laquelle participe Valera au sein d'un escadron motorisé. le lien entre les deux époques et ces personnages n'apparaît pas immédiatement. On comprendra par la suite que le Valera de ce début du XXe siècle n'est autre que le père du petit ami de Reno dont on va suivre le parcours à travers les décennies durant lesquelles il construira un empire industriel basé sur la fabrication de motos et de pneus.

Le deuxième aspect qui ne m'a pas convaincue tient au fait que la grande majorité des personnages que croise Reno lorsqu'elle vit à Soho est tout simplement insupportable : qu'ils aient déjà acquis une reconnaissance dans le milieu artistique ou qu'ils cherchent à s'y faire une réputation, ils sont imbus de leur personne et aiment s'entendre discourir. Nous avons donc droit à de multiples divagations à propos de sujets divers qui pour ma part m'ont généralement laissée de marbre. Il en est de même lorsque Reno part en Italie et y rencontre la famille de Sandro Valera, la palme d'or du personnage haïssable revenant sans conteste à la mère !

Enfin, le dernier point négatif (et non des moindres) tient au personnage de Reno lui-même. Jeune femme ayant quitté son Nevada natal pour un haut lieu artistique de New-York, elle souhaite y percer grâce à la vidéo. Or, si elle a de vagues projets, elle ne réalise finalement pas grand chose à ce niveau. D'autre part, sa relation aux hommes (en particulier Sandro), toujours plus âgés qu'elle, m'a agacée. Elle semble se laisser conduire, porter par les faits et les gens, passivement. le seul trait de caractère positif qu'on peut lui reconnaitre est le fait qu'elle s'adapte rapidement à des milieux sociaux radicalement différents.

Si je m'arrêtais là, on pourrait croire que j'ai détesté ce roman de bout en bout. Or, ce n'est pas le cas. Et c'est bien pour ça que je ne sais pas quoi en penser. Car au milieu de tout ce qui m'est apparu comme des aspects négatifs, certains passages et personnages sont de franches réussites. Par exemple, la description de la participation de Reno à une course de vitesse, la Speed Week, à Bonneville, sur une immense plaine de sel. Ou encore les scènes de pillages lors d'une coupure d'électricité à New York. le récit d'un soulèvement populaire au cours d'une manifestation en Italie est également excellent. le personnage de Burdmoore, ancien membre des Motherfuckers, un gang armé révolutionnaire ayant sévi au milieu des années 60, nous raconte les hauts faits de ce groupe marginal et c'est un plaisir ! Enfin, le récit du parcours du père de Sandro, notamment les manières de procéder en Amérique du Sud afin de récolter le caoutchouc au moindre coût en réduisant en esclavage les indiens autochtones, est franchement intéressant. La qualité et l'originalité de l'écriture sert à merveille la description de scènes hors normes.
Voilà pourquoi ce roman me laisse un sentiment extrêmement mitigé. A découvrir afin de se faire son propre point de vue.

Il m'a été donné de lire ce livre dans le cadre d'une opération Masse critique, je remercie donc grandement Babelio ainsi que les éditions Stock.
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Âgée d'une vingtaine d'années, cette ancienne championne de ski qui dessinait des traces sur la neige, et que tous appelleront Reno puisqu'elle arrive du Nevada, débarque à New York pour allier ses deux passions que sont l'art et la vitesse. En rencontrant Thurman et Nadine la fofolle, elle plonge dans le milieu artistique et décadent du NewYork des années 70. Très vite, elle s'éprend du meilleur ami de Ronnie, Sandro Valero, sculpteur mais surtout fils de l'industriel italien qui produit les pneus des motos Valera.
Artiste, Sandro a rompu avec sa famille laissant son frère Roberto à la tête des usines italiennes. Il offrira toutefois à Reno le dernier prototype de moto Valera qui lui permettra de dessiner des traces dans les plaines de sel de Bonneville puis d'établir le record de vitesse féminin sur un bolide révolutionnaire.
Avant de partir sur le circuit de Monza, Sandro l'accompagne chez sa mère à Bellagio où elle découvre l'ambiance guindée de la haute société italienne et surtout la cruauté de l'odieuse mère de Sandro.
« Sandro me servait de protection contre cet univers de luxe, de domestique et de coutumes, m'armait contre lui tout en m'y introduisant. »
L'auteur nous immerge alors dans cette Italie en pleine crise contre le fascisme avec l'action de Brigades rouges et les manifestations de la jeunesse gauchiste. Reno plonge dans cette atmosphère de rébellion des exploités contre les nantis et le luxe des riches rues de Rome.
Les lance-flammes est un roman ambitieux qui nous plonge dans le New York des artistes du milieu des années 70 puis dans l'Italie en pleine effervescence sociale.
Dans les deux cas, Rachel Kushner décrit parfaitement l'ambiance des milieux avec la rencontre de plusieurs personnages et la description de nombreuses scènes vivantes et perspicaces. Je peux même regretter que parfois, son ambition aille trop loin au risque de perdre le lecteur. Car elle souhaite nous donner tout ce qui constitue chacun. du passé des Valera, de l'exploitation des indiens pour la récolte du latex, de l'histoire du gang des rues Motherfuckers des années 60, des records de vitesse, de l'insertion des mires sur les bandes cinématographiques, Rachel Kushner nous instruit. Certes, elle aurait pu se concentrer sur le roman d'initiation de cette jeune femme qui découvre l'art, la politique, l'amour et les différences sociales mais nous aurions pu alors lui reprocher le déjà lu.
Ce roman a sa patte grâce à son ambition et le charme de ses personnages avec une Reno adorablement jeune, n'osant dévoiler ni ses passions ni sa jalousie, un Sandro au charisme et charme indéniable, un Ronnie détaché et fragile, une Giddle paumée et extravagante et tant d'autres figures si bien campées.
Un roman ambitieux avec quelques longueurs mais qui mérite le détour.
Lien : https://surlaroutedejostein...
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critiques presse (1)
Telerama
04 mars 2015
Le geste romanesque de Rachel Kushner est sûr, et sa maîtrise à la hauteur de son ambition : livrer, ici, un roman d'apprentissage formidablement moderne, spéculatif autant qu'électrique.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
On lançait la grenade, elle explosait là où elle avait atterri alors que l’on était déjà loin. On ne la lançait pas en courant désespérément pour se mettre à l’abri, mais en roulant virement, droit devant, main sur l’accélérateur de sa moto Pope dorée – vroum et boum. Boum.
De tout le bataillon d’assaut, les opérateurs de lance-flammes avec leur double réservoir et leur masque à gaz étaient les figurines préférées de Sandro. Les pulls en amiante, les pantalons bouffants et les gants à manchette dont on pouvait les revêtir pour qu’ils ne soient pas carbonisés en mettant le feu à une forêt. Une forêt, un bunker ou un nid de mitrailleuses ennemies, cela dépendait. Les camions d’une voie de ravitaillement ou un tas de corps empilés, cela dépendait.
Les lance-flammes donnaient l’impression d’être d’un autre siècle, à la fois brutaux, antiques et horriblement modernes. L’huile inflammable contenue dans les réservoirs que transportaient les opérateurs était composée de cinq mesures d’huile légère de houille et d’une mesure de pétrole, et les opérateurs disposaient d’un petit bidon de dioxyde de carbone, d’un allumeur automatique et d’allumeurs de rechange dans une giberne accrochée à la ceinture. Le lance-flammes ne servait absolument jamais d’arme défensive. C’était une arme offensive pure, pour se rendre maître des lignes ennemies. L’opérateur s’engouffrait, créature imposante avec ses gros réservoirs sur le dos et à la main, un tuyau géant relié aux réservoirs. C’était un messager de mort. Il ressemblait à la Faucheuse, avec sa capuche en amiante au large col, et pulvérisait du feu liquide à une distance incroyable – cinquante mètres - dans les casemates et les tranchées de l’ennemi qui n’avait aucune chance de s’en sortir.
A en croire son père pourtant, les opérateurs de lance-flammes était une bande de nuls. Leurs lourds et encombrants réservoirs faisaient d’eux des cibles faciles et lentes, et on ne faisait pas de quartier s’ils étaient capturés. On n’aspire pas à ce genre de choses, disait son père, ce qui n’avait pas empêché Sandro de continuer à préférer les opérateurs de lance-flammes, à leur réserver une fascination particulière, avec leurs sinistres costumes d’amiante à capuche et leur long tuyau malfaisant qu’ils pointaient sur les ennemis qui leur faisaient obstacle. Mais Sandro ignorait si son intérêt était une forme de déférence ou de pitié.
Roberto qui criait: « Kaiserschlacht ! » en versant de l’essence sur ses figurines en papier.
Sandro, huit ans, le visage humide de larmes qui répondait : « pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi Kaiserschlacht ?»
Parce que, avait dit Roberto, la moitié d’entre sont morts dans l’offensive et les autres ont dû être exécutés pour pillage. Tu ne sais donc pas ce qui s’est passé ? C’est la retraite de l’Isonzo au Piave, après une attaque aux gaz toxiques par les sections d’assaut allemandes. Si tu veux jouer aux Arditi, il faut le faire correctement, en respectant le déroulement réel des batailles.
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C’était toujours les fils à papa qui ne demandaient qu’à abuser de leur pouvoir.
« Non merci, ai-je répondu. Où est votre père ?
– En maison de repos. » Il m’a tourné le dos pour s’éloigner.
« OK, à prendre ou à laisser, juste un verre. »
J’ai refusé et suis sortie. Devant la réception, un autre type m’a accostée.
« Hé. C’est un abruti. Il raconte que des conneries. »
Il s’appelait Stretch. Il était chargé de l’entretien et vivait dans l’une des chambres. Il était aussi bronzé qu’un ouvrier du bâtiment l’été mais, vu sa dégaine, il ne donnait pas l’impression d’avoir un emploi. Il portait un jean et une chemise en denim du même bleu délavé, et avec sa banane et ses cheveux gominés, on se serait cru en 1956 et pas en 1976. Il me faisait penser au jeune paumé dans le film Model Shop de Jacques Demy qui tue le temps avant d’être appelé sous les drapeaux, qui traîne, suit une beauté en décapotable blanche dans les rues et sur les hauteurs d’Hollywood.
« Écoute, faut que je passe la nuit dehors à surveiller la voiture de course de l’autre abruti, m’a expliqué Stretch. Je ne dormirai pas dans ma chambre. Et toi, tu as besoin d’un lit. Pourquoi tu n’y dormirais pas ? Je te promets de ne pas te déranger. Il y a la télé. De la bière dans le frigo. C’est rudimentaire mais c’est mieux que de devoir partager un lit avec lui. Je frapperai à la porte demain matin pour venir prendre ma douche, mais c’est tout, je te jure. Je déteste quand il essaie d’abuser des gens. Ça me dégoûte. »
Il faisait preuve d’une charité authentique, le genre qu’on ne remet pas en doute. J’avais confiance en ça. En partie parce qu’il me rappelait ce personnage de Jacques Demy. J’avais vu Model shop avec Sandro, juste après notre rencontre, un an plus tôt. La dernière réplique était devenue une blague entre nous. « Peut-être demain. Peut-être jamais. Peut-être. » Ça commence par les mouvements saccadés de derricks devant la fenêtre du nid d’amour d’un jeune couple à Venice Beach, le paumé et une petite amie dont il se fiche. C’était la scène préférée de Sandro et la raison pour laquelle il adorait le film, les puits de pétrole juste devant la fenêtre, qui montaient et descendaient, encore et encore, pendant que le garçon et la fille se prélassaient au lit, se disputaient, faisaient leur train-train dans leur bungalow décrépit, à l’ombre des bâtiments industriels. Après l’avoir vu, nous employions souvent le mot « bungalow » tous les deux.
« Tu viens dans mon « bungalow » ce soir ? me demandait Sandro même si en réalité il vivait dans un immeuble en verre et fer forgé où chaque étage faisait plus de 370 mètres carrés.
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« Comme tu as l’air gai ! » s’est écriée Giddle quand elle a eu terminé de me maquiller et mis les dernières retouches à ma coiffure.
L’adjectif « gai» convoquait soudain les imperméables aux couleurs vives et petites robes assorties, les chansons tristes et la voix délicate de Catherine Deneuve dans Les parapluies de Cherbourg.
« Je suis gaie ! ai-je répondu. Oh, comme je suis gaie ! »
Sur ce, j’ai traversé mon minuscule appartement telle une jeune fille courant rejoindre son amant dans un film français et j’ai accidentellement cassé une tasse. Je me suis arrêtée pour regarder dans le miroir mon allure toute neuve de fille gaie. Giddle s’est précipitée pour dessiner une mouche près de ma bouche, ajouter du gloss sur mes lèvres d’un coup de pinceau et me poudrer le visage avec une houppette de la taille d’un caniche.
« De la poudre de riz, juste un voile », a-t-elle dit.
La poudre donnait à ma peau une espèce d’iridescence et mes lèvres paraissaient plus rouges.
Nous me regardions dans le miroir. Quelque chose avait changé dans mon visage ou dans ce que j’y voyais. Ce n’est pas vraiment que j’étais plus jolie. C’était juste que tout le cirque consistant à me préparer à être regardée par la personne qui avait fait passer cette annonce m’avait exposée à quelque chose. En moi. Je me regardais comme avec les yeux d’un autre, ce qui me donnait un sentiment d’apesanteur, j’avais l’impression d’être regonflée, de retrouver ma vitalité. J’avais envie d’être regardée. Je ne l’avais pas réalisé jusqu’alors. J’avais envie d’être regardée. Par les hommes. Par des inconnus.
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Ronnie disait que certaines femmes, ce qu’il y avait d’excessif à leur maquillage, à leurs vêtements moulants, gagnaient à être vues par la fenêtre d’une voiture qui fonçait dans les rues. Mais peut-être qu’en fait, les femmes étaient faites pour passer à toute allure, pour n’être qu’un mouvement flou derrière une vitre. Comme les Lilis. Un flash, puis plus rien. Ce n’était qu’une moto mais ça ressemblait à une manière d’être.
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Je pensais que c'était comme ça que les artistes partaient pour New York, seuls, que la ville était une Mecque d'individualités, de désirs qui convergeaient tous en un grand réseau de lumières qui pulsent où on trouvait simplement son rythme, sa place.
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