« C'est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leurs chambres. »
Albert Camus,
la Peste
Pour un instant, pour un instant seulement... faire revivre l'oncle Désiré dont l'auteur a si peu croiser la vie. Une vie qui aurait pu être mais une vie qui restera cachée, tue, honteuse.
« Ce livre est l'ultime tentative que quelque chose subsiste. Il mêle des souvenirs, des confessions incomplètes et des reconstitutions documentées. Il est le fruit du silence. »
L'oncle Désiré, le fils préféré, fut le premier bachelier de la famille. Une petite gloire au sein de la famille. Une petite gloire de plus pour les grands-parents d'
Anthony Passeron, car ceux-ci ont durement travaillé et réussi à gagner une place de notable dans le petit village de l'arrière-pays niçois. Un petit village où tout le monde se connaît, où tout se sait. Aussi quand Désiré tombe sous l'emprise de la drogue, puis commence à souffrir de symptômes étranges et inconnus, il est impossible aux parents de comprendre cet enfant pour qui ils ont tout sacrifier, de reconnaître et d'accepter la maladie. le mot SIDA au début des années quatre-vingt est un mot qui effraie aussi bien les soignants que la famille et surtout il a une connotation horriblement négative, celle du cancer des homosexuels.
«
Willy Rozenbaum, infectiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, est habitué à côtoyer la mort, mais dans le cas de cette maladie, la condamnation des patients est double : une mort physique et aussi sociale. »
Anthony Passeron, pour redonner vie à son oncle, a dû puiser dans les anciens albums photos, dérouler d'anciens films super8 et questionner son entourage. Peu de mots lui ont été offerts, la maladie de l'oncle est restée dans le secret, mal digérée, mal comprise et porteuse de honte et de culpabilité.
« Ma grand-mère incarnait encore l'autorité de la famille, mais ce qui était en train de se produire la sidérait avec une telle violence qu'elle ne savait plus comment réagir...
Louise ne pouvait évoquer cette situation qu'en recourant à des euphémismes incompréhensibles, des balivernes niant la réalité, cruelle, violente, implacable... Dans sa bouche, la toxicomanie devenait « des bêtises », les cures de désintoxication « du repos », le sida « une maladie » et, plus tard, son fils mort serait « une étoile montée au ciel ». Comme si un héroïnomane pouvait finir à la droite du Père. »
Alors patiemment l'auteur a essayé de combler les vides et d'imaginer ce qui aurait pu être.
C'est sur plus d'une quinzaine d'années et par une alternance de chapitres, les uns consacrés à la découverte de la maladie et aux avancées médicales, les autres consacrés à la vie de l'oncle et à l'avancée inexorable du Sida, que l'auteur a construit son roman.
Et c'est très bien ainsi, puisque les chapitres réservés à la recherche scientifique permettent au lecteur de reprendre son souffle et de diminuer la charge affective que contiennent ces pages. D'autant qu'il ne cache pas l'extrême solitude et le regard méfiant, pour ne pas dire hostile et dégoûté, réservés aux patients. Comme il ne cache pas non plus la compétition féroce que se livraient les laboratoires français et américains et la susceptibilité des uns et des autres.
L'altruisme n'est pas toujours une qualité première.
C'est un roman fort, âpre et terriblement émouvant qui reconstitue parfaitement les années SIDA. Des années terribles faites de condamnation d'abord, de tâtonnements, d'avancées lentes de la recherche comme celles de la pensée.
Et si un traitement a enfin pu être mis en place, la guerre n'est pas finie. le SIDA existe toujours. Et depuis d'autres virus aussi virulents ont fait leur apparition...