À la lecture de
Mamie Luger, je soupçonne
Benoît Philippon de connaître les dialogues de
Michel Audiard sur le bout de sa plume. La truculence et la verdoyance du langage de Berthe, la centenaire flingueuse, en sont la preuve.
Cette héroïne hors du commun est un véritable électron libre, difficilement gérable par l'inspecteur de service, André Ventura, qu'elle s'acharne malicieusement à appeler Lino ou Colombo.
Comme son surnom l'indique, Berthe n'est pas une Mamie Gâteaux, elle serait plutôt une Mamie Pruneaux avec une succession de victimes à son actif en l'espace d'une trentaine d'années. Pas n'importe lesquelles. Ce n'est pas une psychopathe qui tire au hasard afin de satisfaire une quelconque pulsion, non. Ce sont ses maris qui deviennent des cibles. Il faut dire que la beauté juvénile de cette mante religieuse n'a pas attiré les hommes les plus doux et ni les plus charmants. Son karma semble être un aimant pour les lâches hypocrites doublés de profiteurs. À mi-chemin entre Tatie Danielle et Ma Dalton, elle encaisse les humiliations, elle thésaurise la violence puis un jour, Blam ! Blam ! Elle défouraille et canarde, tout en sobriété et efficacité.
Les deux seuls bonheurs de sa vie auront été sa grand-mère Nana et son magnifique GI américain Luther. Ces parenthèses de paix et de bonheur sont des pauses bienfaisantes pour Berthe... et le lecteur. Malheureusement, rien ne sera épargné à ce petit bout de femme ratatinée par les ans.
Benoît Philippon fait preuve d'un humour décapant et décalé. Les huis-clos de garde-à-vue sont d'une saveur audiardesque, totalement irrésistibles. Mais qu'on ne s'y trompe pas, derrière le masque du burlesque se cache la détresse d'une femme bousculée, violentée, dont la sensibilité exacerbée a été piétinée depuis son enfance. Sous les airs de Grand Guignol, c'est la souffrance d'une femme en recherche d'amour pur et sincère sans contrepartie qui est mise à nu dans toute l'étendue de sa solitude.
Le propos résolument féministe est enfoui sous une montagne d'humour. Mais si l'on regarde de plus près, il est question de la place des femmes dans la société d'hier et d'aujourd'hui, de la violence faite aux femmes sous le regard critique, complaisant et taiseux de l'entourage. Devant le silence complice de la bien-pensance, quelle parade adoptée ? Quelle solution choisir quand aucun secours ne paraît ? L'auteur ne fait pas dans la demi-mesure. Sa raillerie cocasse lui permet tous les excès. Son discours est souvent très drôle en frappant juste et fort.
Pour ma part, deux remarques s'imposent même si j'ai beaucoup apprécié cette lecture par sa bouffonnerie ainsi que le message qu'il véhicule. Sans être puritaine, je trouve les scènes d'érotisme poussées à l'extrême sans grand intérêt sinon celui de répondre à la mode du moment. Et enfin, je dois avouer que je me suis un peu lassée en cours de route de la répétition de situation, la disparition des hommes de la belle Berthe, les uns derrière les autres, ne laissant que peu de doute sur la longévité du suivant.
En résumé, ce livre est très divertissant tout en étant beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. Il ne faut jamais se fier aux apparences. L'anticonformisme de Berthe n'arrive pas tout à fait à cacher sa sensibilité à fleur de peau et de flingue, celle que l'on ressent intimement et celle qui m'a émue. Ce n'est pas un éloge de la violence, même si pour cette femme-là il n'y a aucun doute, la fin justifie les moyens. Une chose est certaine, si
Mamie Luger a reproduit encore et encore la même erreur sur le choix de ses partenaires, les prédateurs qu'elle a rencontrés ne feront plus de mal à quiconque. Blam ! Blam !