Jean-Claude Pirotte4.17/5
6 notes
Une adolescence en Gueldre
Résumé :
J'ai cru reconnaître la jeune fille rêveuse aux belles épaules qui est entrée dans la taverne ce soir-là. Elle s'est assise à la table du coin, où je pouvais l'observer, et, lorsque le cabaretier s'est approché d'elle avec le falot, j'ai surpris dans son regard comme un éclat de larmes. Elle a penché le visage vers la lumière, et les traits étonnamment purs et doux de la Madeleine du Maître ...
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Entre rêve et réalité, entre passé et présent, l'auteur évoque la fugue qu'il a faite à douze ans, et les liens qu'il a tissés avec les Prins, la famille qui l'a recueilli.
La peinture est au centre de ce récit, par l'omniprésence du portrait de Sainte Madeleine, attribué à un peintre anonyme du 16ème siècle flamand et par l'écriture qui dépeint si bien les paysages de Gueldre et les rues d'Amsterdam.
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I
LE CARNET BLEU
Extrait 3
Si je vieillis, pourrai-je oublier la littérature ? Han un moment garde le silence. Chaque matin, dit-il ensuite, serait le premier matin du monde. Mais nous n’avons que l’illusion poétique de l’innocence. De quoi sommes-nous coupables ? Car il faut bien se sentir coupable pour imaginer l’innocence, non ? Je me demande si je ne suis pas aussi devenu géologue pour éluder ce genre de questions. Me contenter de la matière terrestre. L’embêtant c’est que l’homme c’est encore de la matière terrestre. Veux-tu faire une partie d’échecs ? Là-bas je ne joue qu’avec moi-même.
À la fin du jour le ciel s’est éclairci. Nous avons un peu marché dans la lande, jusqu’à l’orée des sapins. Le sable crissait comme du givre. Han a parlé du sable, quelques mots savants, et puis il a haussé les épaules en me montrant le ciel à l’occident. On dirait une vitre de mica, ou un diamant brut, qu’en penses-tu ? Translucide, mais pas vraiment, à cause de ce peu de vent qui éblouit. Mais les ombres des sapins devenaient noires, et tout était immobile autour de nous jusqu’à ce qu’une chouette lance des appels, et qu’un souffle, à peine un frisson, balance les cimes de la sapinaie.
* * *
p.15-16
Nous ne sommes, disait-il encore, amoureux que d'une image, et j'attendais que l'image devienne mouvement, et je savais pourtant que le mouvement détruirait l'image.
I
LE CARNET BLEU
Extrait 4
J’écris dans ce carnet pour rajeunir. Ou pour me voir vieillir ? Avec Han, les parties d’échecs sont comme de longues promenades silencieuses.
Ou plutôt des flâneries sans aucune arrière-pensée. Les parades sont imprévisibles, nous ne ménageons pas nos arrières, nous revenons sur nos pas, nous renonçons à des stratégies, et notre insouciance nous mène dans des détours inédits. Ce n’est pas comme avec son frère. Jan est champion de Hollande, et, ce que je sais, ou crois savoir, c’est de lui que je l’ai appris. Quand je joue avec Han, je peux tout oublier. Avec lui il n’y a pas de vainqueur. Cette semaine, et la prochaine, Jan est à Pontarlier, chez sa fiancée, que je n’ai jamais vue. Même en photo, je me demande pourquoi. Ce sont des fiançailles suspectes, elles durent depuis trois ans, et la fiancée demeure invisible. J’ai l’impression que pour Jan c’est très pratique. Il ne m’a jamais proposé de m’emmener dans le Jura, non, alors que partout ailleurs, si j’en ai envie je l’accompagne. Évidemment la frontière suisse c’est loin, et puis il y a la fiancée qui n’a pas de visage, pas de nom, à peine un prénom dont l’orthographe même semble aléatoire.
p.16-17
« … les larmes inapprivoisées de l’enfance
murmurent toute la vie… »
A N D R É D H Ô T E L .
I
LE CARNET BLEU
Extrait 1
Hier, il y avait un ciel blanc de neige suspendue. Commencer l’année par le seul mot sensible : hier. Ou jadis. Je ne serai jamais un homme de demain. Déjà je suis, je me sens, un jeune homme d’hier. Ce sont peut-être mes derniers éveils dans ma mansarde de Bezuidenhout. Il faut consacrer l’hiver à se souvenir. Dans le jardin les massifs de bruyère ont gardé malgré le froid comme un filigrane mauve, une ombre de résille sur le sable pâle. Han est arrivé des montagnes de l’Atlas, il y a quelques jours. Il dit que là aussi le sable et la neige diffusent une lumière mauve, le soir, le matin, et que la
pierre absorbe l’éclat du jour, avant de le réfléchir en mirages tremblants. On a, dit-il, alors le sentiment de vivre dans un miroir. Et toi, me dit-il encore, que racontes-tu ? Je réponds que c’est cela, justement, que j’aimerais : vivre dans un miroir.
— Au pays des merveilles ?
…
p.13-14
I
LE CARNET BLEU
Extrait 2
Il sourit mais ce n’est pas un sourire moqueur. Il dit que lui aussi éprouvait ce désir, et que c’est l’enfance qui l’a conduit là-bas, d’où il vient, où il ne pense qu’à repartir. Et que, dans la solitude, l’enfance est préservée comme les images d’un monde ancien, qui ne veulent pas mourir. Il est devenu géologue, dit-il encore, pour explorer des rêves d’enfant, les siens, peut-être aussi ceux de tous les hommes, bien que ce soit difficile à concevoir, l’idée de creuser dans la nuit de tous les
hommes. Il s’agit même en vérité de creuser plus profond encore, jusqu’au premier homme dans sa nuit. Et jusqu’à la nuit qui précède l’homme. Alors, pour faire le malin, je récite le premier vers de La chanson d’Ève :
C’est le premier matin du monde.
p.14
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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