Vladimir Vertlib, est venu s'installer en Autriche sur les pas de Kafka, non à Vienne mais à Salzbourg, pour s'y baigner dans la musique baroque, cette ville qui fut pour moi, à l'age15 ans, un enchantement, musiques de choeurs, musiques de chambre, musiques de réconciliation, ici les carillons ne rythment pas les prières, mais la musique. On ne viendra plus le faire chanter, Lui le juif errant, car il chante déjà,
L'étrange Mémoire de Rosa Masur.
Peut-on imaginer pire cauchemar, que de devoir manger feu le grand-père, à petits feux, pièce par pièce, à n'en laisser que les os ! L'une des pires horreurs vécues par Saint-Pétersbourg, "Leningrad", pendant les deux années de blocus, par une population affamées sciemment, face à l'armée Nazi. Comment imaginer que des enfants disparaissaient. L'étrange mémoire de Rosa a gardé intact ces années de guerre qu'elle a partagé avec Macha sa voisine, et ses enfants Kostic et Sheila.
Vladimir Vertlib né à Léningrad, a voulu raconter l'histoire d'une famille juive au long de ce siècle, catapulté dans des guerres fratricides entre des pays de culture chrétienne, Il a exprimé avec la lucidité d'un historien, et le parti pris d'un agnostique, que la pire des identités était l'identité juive, il fallait fuir, ou s'attendre à mourir d'un jour à l'autre. Absurde ! Kafkaien au sens le plus glauque, le plus noir, demain vous serez recherché, pour être pendu ou décoré ?
Kostic a pu intégrer une école supérieure de mécanique, où règne un certain Sergueïev le Doyen appelé le roi des juifs. Il faut savoir qu'après la guerre, après 1945, le nombre de juifs admis en classe supérieure était limité à un pourcentage inférieur à 5 %.
Kostik fera une faute d'orthographe sur un devoir de traduction, il oublie le r de Stalingrad. Certes cette traduction de russe en allemand, Stalinegad, ne donne aucune trace de subversion. Mais la blague en russe est connue Stalinegad, signifie Staline fumier.
Kostic est suspendu, puis arrêté. Un drame kafkaïen de plus.
Cette fois Rosa se lance à l'assaut du Kremlin, elle obtient un rendez-vous avec le bon père du peuple, de sa bouche émergent, deux phrases ubuesques : "Des talmudistes, des ergoteurs, des joueurs nés, dit-il". "Les juifs vous êtes un peuple rusé, le jeu, vous avez ça dans le sang". Puis il se mit à rire, "vous êtes une femme futée et courageuse, Rosa Abramovna. Vous me plaisez."page 369.
Ainsi, pour toutes les raisons imaginables, et inimaginable, aucun des membres de la famille de Rosa, n'a pu se soustraire à une arrestation, ou à un emprisonnement, ou pire à la mort.
Malédiction, peut-être, car être née dans le village de Vitchi, en 1907, c'est être biélorusse. "C'était l'époque où les arbres pointaient encore vers le ciel". Moyshe fut le premier à m'apprendre que le monde tel que nous le connaissions allait bientôt disparaître. "Nous nous sentions en sécurité au village aussi longtemps que nos voisins nous laissaient en paix comme nous ils marchaient pieds nus parler aussi bien le yiddish que nous le biélorusse".
Mais le village, proche de la frontière allait voir se succéder, russes, allemands, russes, allemands, russes...
Portrait d'une femme, le portrait de Rosa, une femme confrontée en permanence à son identité juive, qui selon, les hauts de coeur de l'histoire, frôle soit la vie, soit la mort. Oui quel étrange mémoire, d'avoir gardé cette fibre familiale, la seule qui mérite d'être entretenue, sauvegardée. Quelles doses de courage et d'humour faut-il cultiver, pour ne pas sombrer quand on perd des enfants, que l'on vous a confié, que la victoire est amère quand elle apprend qu'un de ces enfants a été sauvé alors que ses parents et toute sa famille ont disparu.
Livre bouleversant qui ne tombe pas dans le sentimentalisme, qui exprime crûment comment des êtres singuliers ont été pris en otage parce qu'il fallait trouver des boucs émissaires. Livre totalement kafkaïen, car il n'y a aucune logique à percevoir dans la communauté juive des hommes et des femmes rusées, filous, et de chercher à les honorer à travers un prix d'une haute valeur. Absurde ! Bien sûr !