Dans cet épisode de L'Intention, Gilles Marchand, romancier et musicien dans un groupe de rock nous parle de son roman «Le Soldat désaccordé», publié au Livre de Poche. Gilles Marchand nous transporte dans une histoire d'amour émouvante, tissée à travers des lettres échangées pendant la Première Guerre mondiale. Un vétéran, blessé et hanté par les horreurs de la guerre, se lance dans une quête pour retrouver Emile Joplin, un soldat disparu depuis 1916. L'auteur explore le thème de la mémoire et de la poésie au travers de ce récit, s'efforçant de trouver un équilibre entre fidélité historique et récit romanesque. Il souhaite partager le devoir de mémoire sur la Première Guerre mondiale, une période souvent méconnue ou oubliée. Écrire sur ce sujet a également ravivé son intérêt pour la poésie, lui permettant de retrouver le plaisir de l'écriture. La poésie peut-elle se glisser au milieu de l'enfer jusqu'à y faire jaillir un peu de lumière?
Concept éditorial: Hachette Digital en collaboration avec Lauren Malka
Voix et interview: Laetitia Joubert et Shannon Humbert
Écriture: Lauren Malka
Montage, musique originale: Maképrod
Conception graphique: Lola Taunay
Photo auteur: © DR
Extraits musicaux : Becha de Dakhabrakha et par Dakh Daughters ( 2016 Dakh Daughters)
+ Lire la suite
1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. ça swinguait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça électroménageait, ça mistinguait. L'Art déco flamboyait, Paris s'amusait et s'insouciait. Coco chanélait, André Bretonnait, Maurice chevaliait.
(page 53)
Les mères et les femmes ça suffit pas toujours. Pas quand tu passes quatre ans dans la boue et dans la merde. Le coeur faut le faire battre. tout le monde était en manque d'amour, en manque de tout, mais surtout d'amour. Et ça nous rendait fous. Le bruit. La peur et la privation de sommeil. Y en a qui désertaient uniquement pour retrouver leur femme. Et si c'était pas la leur, ça faisait bien l'affaire. On aimait bien s'raconter ces histoires de coeur et de fesses, ça nous faisait un peu de convivialité.
On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.
Le métro est rempli. Rempli de gens pressés. Pressés d'arriver et pressés les uns contre les autres. Il y en a qui sont contents, ça leur fait une présence, une bande de copains provisoire. D'autres en ont assez d'être serrés. S'ils n'en avaient pas assez d'être pressés, ils en auraient assez d'attendre. S'ils n'en avaient pas assez d'attendre, ils auraient retrouvé autre chose, parce que ça donne une contenance d'en avoir assez. Alors ils jettent des regards noirs. Parce que c'est la faute des autres : ce n'est pas eux qui sont trop nombreux puisqu'ils ne sont qu'un. Ce sont les autres. Il y a beaucoup trop d'autres.
Pour en finir avec ton père, j’aime autant te dire que je ne suis pas ravie du tout : je l’ai surpris en train de lire un livre érotique : Gros-Câlin, ça ne s’invente pas ! Écrit par un certain Romain Gary… Un Américain! Je lui ai dit que je ne voulais pas de cochonneries (qui plus est américaines) à la maison.
La vie est trop courte pour s'accommoder de tout ce qui va de travers. Il ne faut pas hésiter à rêver...
On a tous une histoire d'amour intense, forte, dévorante. Une qui a tout emporté sur son passage et qui ne s'est pas finie, ou qui n'a jamais eu lieu parce qu'elle n'était pas réciproque. Une qu'on n’a pas osé déclarer, une qu'on a gardée pour soi parce qu'on avait peur. Et même quand tout se passe bien, on a encore peur : que l'intensité s'en aille, que la passion se soumette comme un animal sauvage à qui on aurait appris à lever la patte. La passion ne donne pas la patte, elle te la met dans la gueule. Et quand tout va bien, on cherche des noises, on va au conflit sans savoir pourquoi, alors que la réponse est simple : faut que ça bouge, faut que ça brûle, faut que ça pète. Pas tout le temps, mais parfois, juste pour permettre au sang de faire un tour et de revenir. Juste pour voir si on a encore des larmes, si les cris peuvent encore sortir ou s'ils restent bloqués au fond de notre gorge. (p. 31-32)
« Je peux vous dire qu’au front, si on voyait pas les étoiles, c’est parce qu’il y avait trop d’âmes de soldats entre elles et nous. »
(p.130)
Un jeune couple est installé à une table au fond. Deux verres de vin posés devant eux. Ils chuchotent, comme s'ils avaient peur que l'on entende leur conversation. (…) ils doivent avoir une vingtaine d'années, un peu plus peut-être. J'ai eu une vingtaine d'années et je n'ai jamais eu l'occasion d'avoir les mains à quelques centimètres de celles d'une jeune fille. On ne m'a jamais regardé comme elle le regarde. J'ai envie de me planter devant eux et de prendre leurs mains de force, de les enlacer l'une dans l'autre en leur criant qu'ils ont de la chance, que le vie est courte, qu'il n'y a pas de temps à perdre à se tourner autour. À moins que je ne leur dise de prendre leur temps, que ce sont là sans doute les meilleurs moments : bientôt, ils n'auront plus envie de se toucher ou alors, ce sera devenu une habitude, une sorte de dû. Elle lui reprochera de ne plus la toucher, de ne plus la désirer. Lui pensera qu'elle ne le regarde plus comme elle le fait là, ce soir. Parce ce que les regards ne se commandent pas. Parce que les gestes passent, parce que lorsque c'est acquis, on n'a plus peur, parce que l'on doit s'habituer au bonheur.
On avait les pieds lourds, alors on s'interdisait d'avoir le cœur lourd. On ne pouvait pas ajouter les larmes à la pluie,on aurait coulé.