Si on excepte l'Endormi, essai d'un adolescent qui est parvenu jusqu'à nous que par hasard, oublié dans les archives du théâtre de l'Odéon,
Tête d'or est la première pièce de
Paul Claudel, en tous les cas la première éditée. Il écrit la première version de la pièce en 1889, alors qu'il n'a que 22 ans et qu'il poursuit ses études à l'Institut d'Etudes Politiques à Paris. L'écriture de la pièce suit de trois ans la conversion de Claudel au catholicisme, qui aura une énorme influence sur son oeuvre.
La pièce sera publiée avec un tirage très confidentiel de 100 exemplaires par la Librairie de l'Art indépendant en 1890, l'année où il est reçu au concours des Affaires étrangères. Comme pour beaucoup de ses oeuvres, Claudel reprendra et remaniera d'une manière importante la pièce, cette nouvelle version sera publiée en 1901. C'est cette deuxième version qui est jouée.
Il aura toujours un rapport particulier à cette oeuvre, qu'il considérera comme quelque chose de très intime, au point de refuser qu'elle soit montée sur scène. Elle ne sera représentée la première fois qu'après sa mort, en 1959, par
Jean-Louis Barrault au théâtre de l'Odéon.
La pièce est composée de trois parties, qui se passent dans des lieux et à des moments différents. Dans la première partie, Simon Agnel vient de perdre sa compagne. Il s'entretient avec un jeune homme, Cébès, à qui il exprime tout son désespoir, la fin du bonheur qu'il croyait possible. Un lien fort se noue entre les deux hommes, qui finissent par enterrer la femme morte.
Dans la deuxième partie nous sommes dans un palais. le roi et toute sa maisonnée sont vaincus, ils attendent les armées ennemies qui ont triomphé des leurs. le roi est mis en question par la poignée des sujets qui lui restent. Mais une surprenante nouvelle arrive : au final l'ennemi a été mis en déroute par un mystérieux sauveur. Il s'agit de Simon Agnel, devenu
Tête d'or. Il assiste d'abord à la mort de Cébès, qui jette une tristesse sur la victoire, puis réclame le pouvoir. Il tue le roi, chasse la princesse son héritière, et devient le nouveau monarque.
Dans la troisième partie,
Tête d'or, devenu roi, fait la guerre quelque part aux confins de l'Asie. Il croise sans la reconnaître la princesse, qui est clouée à un arbre par un déserteur. L'armée de
Tête d'or fuit devant l'ennemi, le roi lui fait face seul, ses soldats finissent par revenir et vaincre, mais le souverain est mourant. Il fait d'amères reproches à ses sujets. Il finit par retrouver la princesse, qu'il délivre. Avant de mourir il recommande à son armée de la couronner après sa mort, ce qu'ils font, mais elle ne survit guère à Simon. L'armée n'a plus qu'à repartir seule.
Pièce complexe, sans véritable action, plutôt composée de tableaux successifs, plein de symboles et métaphores que l'on peut passer beaucoup de temps à essayer de décrypter : vanité de la gloire, de la volonté, de la quête du bonheur….Symbolisme religieux, par exemple la princesse étant d'après l'auteur un symbole de l'église.
Mais je crois qu'il faut avant tout se laisser saisir par la lave de la langue, celle d'un immense poète, avec son rythme particulier, avec ses images somptueuses et baroques. Par les scènes d'une grande intensité, d'une grande charge émotionnelle. Et après éventuellement essayer de mettre un sens, provisoire forcément, de construire un discours. C'est un mélange de quelque chose de très immédiat, presque instinctif, et d'une pensée très élaborée que l'on devine en arrière fond et qui échappe toujours en partie.
Un objet fascinant.