Dernier volet de la trilogie de Greg Iles, le Sang du Mississippi, nouveau pavé de plus de 800 pages, vient (peut-être) clore l'histoire de la famille Page. Comme Iles l'avait fait dans le deuxième volume, il présente dans le prologue et au cours du récit un habile résumé des événements passés dont le lecteur a besoin pour comprendre cette histoire. Ainsi, le rôle des Aigles bicéphales dans l'assassinat de Kennedy n'est que très brièvement évoqué alors que leur implication dans le meurtre du frère de Viola est rappelée, commentée à plusieurs reprises, et elle s'enrichit de nouveaux éléments. Je ne crois cependant pas que cela suffise à rendre ce tome autonome : il vaut mieux lire les précédents. Et puis, ce serait dommage de s'en passer ! Ce tome est surtout axé sur le procès pour meurtre du docteur Tom Cage, le père de Pen, ce qui n'empêche pas qu'il y ait beaucoup d'action, même si ce roman est par moment moins trépidant que les deux précédents. Quentin Avery, l'ami du Dr Cage, le brillant avocat noir en fauteuil roulant que nous avons déjà rencontré, est chargé de sa défense et il gardera sa stratégie secrète le plus longtemps possible, tenant en haleine Penn Cage, sa famille et ses amis, toute la salle d'audience et le lecteur aussi ! L'adultère que Tom Cage commet avec Viola, son infirmière afro-américaine, relation dont est issu Lincoln, le demi-frère de Penn, suscite la culpabilité du docteur. Savait-il qu'il avait un fils métis ? si ce n'est pas le cas, pourquoi a-t-il envoyé de l'argent à Viola pendant si longtemps ? Pourquoi Tom Cage ne s'explique-t-il pas ? Que veut-il cacher à son fils ? Que sait sa femme ? A-t-il tué Viola ? Est-ce un meurtre ou un suicide assisté ? Snake Knox et les Aigles bicéphales ont-ils joué un rôle dans la mort de Viola, déjà rongée par le cancer ? On va petit à petit comprendre que le très respectable médecin a lui aussi des secrets et on finira par découvrir lesquels.
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J'ai beaucoup aimé ce tome, comme les précédents d'ailleurs, malgré un certain ralentissement du rythme puisque, si l'on excepte le prologue, il se déroule sur une dizaine de jours. Comme dans les tomes précédents, le thème des relations interraciales, quelles qu'elles soient (sexuelles, hiérarchiques, amicales, etc.) est omniprésent et Iles montre à quel point ce sujet habite l'inconscient du Sud des États-Unis et à quel point il est loin d'être réglé. J'ai beaucoup d'admiration pour la manière dont Iles mène son récit dans l'ensemble de la trilogie. Il me semble que ce dernier tome recèle plus de descriptions et que l'auteur y approfondit la psychologie de ses personnages. La mère de Penn, l'épouse modèle du docteur Cage, se révèle pleine de surprises. Les réactions d'Annie, la fille de Penn, collent bien avec celles d'une jeune ado, parfois encore dans l'enfance, parfois faisant preuve de maturité. Un bémol pourtant : le personnage de Serenity cumule tellement de qualités, tant physiques que morales, qu'à mes yeux elle en perd un peu de crédibilité. Mais qu'en est-il du sort de Keisha ? Que va devenir Mia ? et l'horrible Wilma Deen ? et Lincoln ? L'histoire est finie, vraiment ?
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Malgré quelques petites invraisemblances de scénario, le sang du Mississippi vient brillamment clore cette trilogie dédiée aux heures sombres des Etats-Unis quand le Ku Klux Klan se livrait à de terribles meurtres, viols et exactions sur la population noire.
L'histoire reprend neuf semaines après que Penn Cage ait tué Forrest Knox pour venger l'assassinat de sa fiancée Caitlin et que son père Tom se soit livré au FBI, et juste avant le début de son procès qui constitue l'armature du livre. Greg Iles a eu l'habileté de ne rien dévoiler de la stratégie de défense du vieil avocat de Tom Cage, jouant avec nos nerfs, ménageant le suspense jusqu'à la fin du procès qui sera ponctué de plusieurs rebondissements et de révélations bouleversantes qui feront vaciller l'image d'une famille unie que Penn imaginait jusqu'alors. Le passé de Tom Cage est lentement distillé durant le procès faisant apparaître un homme héroïque durant la guerre de Corée, mais aussi un homme qui a failli envers sa famille et dont l'âme est torturée par ses péchés et le cruel dilemme auquel il a du faire face à un moment crucial de sa vie.
De nouveaux personnages font leur apparition, notamment Mia, jeune fille dévouée et secrètement amoureuse de Penn qui va s'occuper de la petite Annie et Serenity Butler, improbable héroïne cumulant physique de mannequin, passé de combattante au Koweït et en Irak, activité de journaliste et écrivain à succès. Tandis que le procès se déroule, Penn et Serenity cherchent à faire témoigner d'anciennes victimes des Aigles Bicéphales et à "retourner" un vieil Aigle Bicéphale. Mais Snake Knox est toujours libre, en cavale et déterminé à s'en prendre à la famille Cage.
Greg Iles a eu la bonne idée de laisser de côté l'intrigue secondaire de l'assassinat de J.F Kennedy qui avait alourdi le deuxième tome et nui à la cohésion de l'intrigue, en délivrant 800 pages d'un roman sombre, dur, parfois violent, au rythme soutenu, où l'aspect psychologique des personnages est davantage creusé que dans les deux premiers tomes notamment les conséquences d'actes et choix qui peuvent paraître altruistes ou guidés par l'honneur mais s'avèrent finalement égoïstes comme le relève amèrement Lincoln, le demi-frère de Penn, dont la vie aura finalement été sacrifiée sans le savoir par son père au bénéfice de celle de son fils légitime.
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Cette trilogie restera une œuvre marquante de Greg Iles, un livre instructif, distrayant et passionnant, qui tient en haleine jusqu’à la dernière page. À la fois un polar efficace et une fiction bien construite sur les valeurs d’humanité, l’amitié, l’amour, la droiture, le sens des responsabilités et le dévouement envers son prochain.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Quand une personne que vous aimez est assassinée, vous apprenez des choses sur vous que vous auriez donné cher pour ne pas connaitre.
Si vous tuez celui qui vous a volé cette vie, vous découvrez que la vengeance ne remplit en aucun cas le vide abyssal que le meurtre laisse derrière lui. Rien ne le peut, excepté les années d’existence, et seulement si vous avez de la chance.
Annie et moi avons appris cela pour la première fois le jour où le cancer a emporté sa mère. Caitlin a été notre chance.
Il y a neuf semaines, cette chance s’est éteinte. Le meurtre de Caitlin nous a frappés comme un obus d’artillerie tombant d’un ciel bleu dégagé.
Et la première chose que ce genre de bombe fait exploser, c’est le temps.
Les jours et les nuits ne veulent plus rien dire. Le passage des instants et des heures vacille, tout est détraqué. Les horloges génèrent la confusion, et même la panique.
Dans le semi-monde du deuil, le sentiment d’individualité commence à se déliter. Les êtres forts trouvent un moyen de se réorienter selon la structure temporelle superposée qui régit le reste du monde, mais j’ai beau essayer, je n’y suis pas parvenu.
Le chagrin est l'émotion la plus solitaire qui soit : il fait de chacun de nous une île.
Ils se sont mis à battre Sam, à lui donner des coups de pied et à le traiter de tous les noms. Des insultes religieuses complètement folles, m’a raconté Dee. Il y en a même qu’elle n’a pas comprises. Seigneur, ils étaient remplis de haine. Pendant tout ce temps, l’un d’eux braillait les Saintes Écritures.
— Qu’est-ce qu’ils voulaient de Sam ?
— Ce qu’ils voulaient ? Se venger, ma chérie. Ils ont dit qu’il avait épousé une femme blanche et qu’il n’existait qu’une peine pour ce crime. La mort. Croisement entre les races, ils ont appelé ça. Ils ont dit que Sam était coupable d’avoir souillé une femme blanche et qu’il ne pouvait pas donner naissance à des enfants de boue. Des enfants de boue. Ce qui est vraiment pitoyable quand on pense au nombre d’hommes blancs qui étaient les pères de bébés portés par des femmes noires. Probablement les mêmes hommes qui étaient en train de battre Sam.
Ses yeux se mirent alors à la brûler alors qu’elle les essuyait.
Elle cligna plusieurs fois des paupières, puis pencha la tête en arrière, mais cela n’apaisa en rien la brûlure qui parut même empirer.
Merde, pensa-t-elle alors que la douleur devenait rapidement insupportable.
Keisha suffoqua, puis cria et se remit à s’essuyer de plus belle. La douleur ne cessait d’augmenter. Puis elle prit conscience que tout son visage la brûlait également.
La panique explosa dans sa poitrine, lui volant son souffle et tout discernement. Quand elle pensa enfin au tuyau d’arrosage du jardin, elle voyait à peine. Titubant sur le gazon, Keisha se mit à crier.
Il soupire avant de secouer la tête. “Snake n’est pas au courant à propos de Frank. Il n’a pas pu l’apprendre.
— Tu es sûr ?
— Oui. Parce que si c’était le cas, il ne se serait pas contenté de me laisser mourir à l’Arbre aux Morts. Il m’aurait tiré une balle. Ou pire. La torture, c’est sa spécialité, tu te rappelles ?”
La mention de l’Arbre aux Morts m’oblige à penser à la dernière heure de Caitlin sur terre. “Alors pourquoi Snake veut ta mort ?
— Je ne sais pas. Il a peur de moi pour une raison ou une autre.” Papa dirige un doigt crochu vers moi. “Mais toi aussi, tu es une cible. Ne l’oublie pas. Tu as tué Forrest Knox. Et Snake le sait. Ce qui veut dire que toutes les personnes qui te sont chères sont dans le collimateur de Snake. Annie, Peggy, Jenny – et même Mia Burke.
— Les femmes et les enfants ne sont pas à l’abri, je murmure.
— Exactement.
Interview de Greg Iles par Barbara Peters. 1/6
Non sous-titré.