(...) je n'éprouve aucun regret pour ce que j'ai dit dans cette librairie où elle était venue par surprise, puisque ma blessure et la sienne sont liées, puisqu'elles sont jumelles, sans réparation, sans frontière, je ne regrette rien puisque ce qui l'avait blessée, c'était que j'exprime ma blessure à moi, je ne peux pas regretter puisque sans cette Blessure commune, cette Blessure qui n'est ni à elle ni à moi mais qui est entièrement à nous deux, rien de tout ce qui se passait, entre Paris et Athènes, à distance, par téléphone et écran interposés, n'aurait été possible.
Je pourrais dire : Pas de souffrance dans mon enfance = pas de livres publiés = pas d’argent = pas de liberté possible. Je pourrais dire que la souffrance et la liberté sont les deux moments d’un même processus, les deux mouvements d’une même partition.
J'avais arrêté de passer des après-midi ou des nuits avec ma sœur. C'est ça aussi la distance de classe : ne plus pouvoir chanter à deux sans une voiture, n plus pouvoir rire ensemble dans les rayons d'un supermarché.
Woolf avait compris, cent plus tôt, que la liberté n'est pas d'abord un enjeu esthétique et symbolique, mais un enjeu matériel et pratique.
Que la liberté a un prix.
La violence que vivait ma mère avait l'odeur des grottes et des cavernes de la préhistoire., l'odeur de la violence millénaire.
Il y a des êtres portés la vie et d’autres qui doivent lutter contre elle.
Toutes ces choses qu'on s'apprêtait à faire ensemble seraient pour elle une succession de Première Fois. Une guerre contre une armée de Jamais.
Le lendemain elle m'avait dit, dépitée : il a juste pris du plaisir à nous gâcher Noël. Je le voyais dans ses yeux.
Ce que ma mère avait vu comme une trahison était maintenant ce qui nous permettait, ensemble, de construire sa liberté.
Elle m'en avait voulu - comme ma sœur - d'avoir écrit un livre sur mon enfance et sur notre famille. Mais paradoxalement c’est parce que j'avais écrit ce livre, et ceux d'après, que j'avais gagné l'argent qu'on pouvait désormais dépenser pour elle.