Lu dans le cadre du prix des Lecteurs de Cognac 2023
Nous voulons tous être sauvés ne porte pas la mention « roman » ni en couverture ni sur la page titre. Cependant, le traditionnel avertissement précise que événements et personnages ont été « transfigurés par le regard du narrateur » qui, d'ailleurs, porte le même nom que l'auteur,
Daniele Mencarelli. L'aspect autobiographique de l'ouvrage ne fait guère de doute. En juin 1994, alors qu'il a 20 ans, Daniele se retrouve hospitalisé sans consentement (HSC) : après avoir pris une importante dose de cocaïne, il a fait une vraie crise pendant laquelle il a dévasté l'appartement de ses parents avant de s'en prendre à son père. Il va devoir passer 7 jours dans un hôpital psychiatrique dans une chambre qu'il partage avec 5 autres malades.
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Depuis aussi loin qu'il se souvienne, Daniele souffre. Sa très grande sensibilité lui fait vivre trop intensément toute émotion, qu'elle soit positive ou négative. Il tente d'expliquer son mal-être, y parvient parfois, en écrivant des poèmes, et je crois qu'il donnera à n'importe quel lecteur envie de l'aider comme lui-même tente d'aider et de comprendre ses compagnons d'infortune. On rencontrera Gianluca, femme dans un corps d'homme, bipolaire, qui peut passer d'un extrême à l'autre si rapidement… Giorgio, une force de la nature qui n'a pas inventé l'eau tiède, qui souffre toujours d'avoir perdu sa mère très jeune et qui s'automutile. Alessandro, catatonique, à la suite d'un accident du travail, prétend son père qui vient le voir tous les jours. Madonnina qui ne parle que pour invoquer la Vierge. Et puis il y a Mario, ancien instituteur, savant, réfléchi, philosophe, qui tente d'apprivoiser un oiseau qui vit dans l'arbre en face de la fenêtre de la chambre et qui va se révéler un véritable appui, une aide précieuse pour Daniele.
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Un entraide discrète puis solide va se développer entre les 6 occupants de la chambre. Malgré une chaleur étouffante, malgré des médecins blasés, agacés ou trop sûrs de leurs convictions, malgré des infirmiers et infirmières épuisés, effrayés, mal payés qui se disputent les gardes le dimanche pour toucher la prime, malgré les contacts proches ou lointains avec la famille, les dérives de chacun de ces 6 hommes, les différences de statuts, les niveaux d'instruction et les intérêts contradictoires, une sorte d'amitié s'installe qui les pousse à se confier les uns aux autres, à s'ouvrir sur leur passé, à se faire confiance. Leur empathie réciproque est formidablement touchante et, bien qu'elle ne fasse jamais disparaître leur souffrance, elle les aide à la supporter, entraînant le lecteur dans une bienveillance qui laisse de côté tout pathos, à mon avis. La maladie reste bien présente, envahissante, à peine jugulée, mais pas maîtrisée. Je suis passé très près du coup de coeur, mais le parti pris de la traductrice (
Nathalie Bauer) d'opter dans certains dialogues pour une transcription du langage oral (j't'dis, j'vois bien, qu'est-qu'y a, qu'est-ce t'as fait, etc.) ne m'a pas paru toujours sonner juste. Un bravo pour l'illustration de couverture réalisée par
Gabriel Gay : cet homme brisé, en morceaux, dont les couleurs se heurtent, traduit magnifiquement l'état d'esprit des personnages.