Ni anthropologue, ni touriste,.. mais en ce lieu : voyageuse et journaliste.
Une frontière : celle que la société érige entre un monde normé, normatif, et cet autre monde, une terre inconnue, la folie. Mais qu'est ce que la folie lorsqu'elle est isolée, incarcérée, contenue dans une camisole chimique.Confinée. Une île singulière. faite de singuliers, un aggloméra de singularités, qui forme pour le monde de l'entour un pluriel devenu pour l'imaginaire collectif une entité : l'hôpital psychiatrique. Une trop simple unité.
Voyage, jour de bord d'une actualité. Ni une descente, ni une entrée en enfer. Juste une écoute, un regard. Que se passe-t-il derrière ces grilles, ces portes, ces fenêtres ?
Privation de la liberté d'être fous pour les uns, privations de moyens d'exercer pour les autres. Gardés, gardiens. Peur, danger, abyme, vertige, espace, questionnement, doute.
Le malheur est-il le facteur déclenchant de la folie, ou la folie engendre-t- elle le malheur ?
Qui de l'oeuf ou de la poule ? Causes et conséquences se livrent entre les murs une bataille parfois délirante.
La psychiatrie si elle n'est pas vérité, et elle ne l'est pas, n'est donc pas une science, Et peut-on dire d'une science qu'elle est vérité ?...Il faudrait être un savant fou pour croire qu'une science soit toute vérité. Une science est une recherche de vérité. Constante recherche de preuves.
Reportons nous à l'analyse de Jean-Noël HALLET ( Science et vérité), biologiste :
« La recherche scientifique apporte chaque jour son lot de découvertes sur la nature de l'univers et sur les mécanismes de la vie. Elle ne prétend pas à l'établissement d'une vérité définitive mais le fait scientifique est digne de confiance. Parce qu'il a été démontré par une méthode rigoureuse d'exploration du monde physique basée sur la preuve expérimentale et la réfutabilité, il se distingue des opinions et des croyances qui ne lui sont pas opposables. Il convient de le réaffirmer à l'ère de la post-vérité et des fake news. Mais il convient aussi de garantir que l'expertise scientifique soit indépendante et à l'abri des conflits d'intérêt. » .
Entre les murs, nulle vérité. Si ce n'est le constat d'une souffrance... sufferre « supporter ». sufferentia.. « action de supporter; résignation; attente patiente »
Alors quel est aujourd'hui cette mise en souffrance de la psychiatrie ?
Si être fou ce n'est pas être malade, alors que font les fous à l'hôpital ?.. Prévention ? Sauvegarde ? Rétention ? ...En ces lieux la folie trouve asile. « asylum », refuge.
Qui sont ces « prisonniers sociaux » ?
Une représentation condensée, exacerbée du monde extérieur ? le miroir de toutes nos peurs.
Psychoses, névroses. Peur de décrocher,de dévisser, de tomber, de glisser, de plonger, de ne pas convenir, de ne pas intégrer…
On efface la folie de la rue, comme on efface les mendiants, le handicap, la vieillesse, comme on chasse les virus on hygiéniste tout. Ne pas être contaminé par la folie. On enferme, si il le faut, on si on le doit : on dénonce. Qui décide, qui prononce, qui juge ? Quelle est la solidité des garde-fous que nous établissons aux fenêtres, aux portes de notre société ?
Plus de déraisonnable. Qu'est ce que perdre la raison ? Un drame ? Une échappée ? Un acte de survie ? Qui la perd, qui la retrouve, la raison des uns ne fait-il pas souvent le désespoir des autres ?
Allez, à la folie. Rendez-vous entre les pages de ce journal. Il vous fera comprendre la réalité d'une institution en souffrance, comme l'est l'ensemble du milieu hospitalier aujourd'hui. Comme l'est tout notre système de santé. Ceci de concerne pas que les fous, mais nous regardent toutes et tous.
Nous concernent. concernere « mélanger, mêler, unir ». Dissocier pour ne pas associer….
Associer cette folie à ce qui se vit, se joue en chacun de nous, et en l'ensemble de tous.
L'histoire de la folie, de la tolérance que nous manifestons à son égard , l'espace que nous lui concédons, la nécessité ou le danger que nous lui reconnaissons, c'est là l'histoire d'une société. La marge corrige. La marge ajoute, précise. Que devient un monde sans marge ? Qui sont celles et sont qui sont mis à la marge, cette marge qui tend à disparaître.
Pas de vérité, mais une multitude de possibles, une foule de questions.
Le sens de la parole, la nécessité du silence, la charge et la décharge des mots.
Miracle...hallucination...prophétie...délire…à chaque époque ses croyances….
Le geste, le regard, le corps, les émotions, les colères, la détresse,
la douleur.
Pas de vérité, dans un monde qui oscille, qui tempête, qui murmure, qui rugit, qui tord les mots, les aiguisent, les éclatent, les révèlent. Pas de vérité dans une totale humanité.
Pas de vérité dans ce monde sismique à qui l'on demande de produire un tracé droit, une ligne plate.
Très belles pages de
Joy Sorman, qui en nous invitant à nous déplacer nous placent.
C'est une des plus grande vertu de la littérature. La littérature n'est pas là pour détendre, aplanir, faire du tendre, du joli, faire de l'explicatif. La littérature est peinture. Elle nous replace. Face à l'obscurité, face à la lumière, face aux silences, face à la profondeur, ou à l'effacement des distances, face à ce qui nous formulons et à la nudité de la réalité, aussi belle et/ou épouvantable soit elle.
Être journaliste c'est écrire un journal.
Et lorsqu'un journal a la qualité de cet écrit, on parle de littérature.
Comme
Kessel en son temps. Comme
Duras. Comme
Angela Carter . Comme
Florence Aubenas. Comme
Albert Camus.
On voudrait avoir plus de
Kessel, de
Duras, d'Aubenas, de
Carter, de
Camus, ou de Sorman dans les journaux quotidiens.
Mais pour notre bonheur, il y a les livres. Toujours. Encore. Cet essentiel.
Lisez « à la folie », c'est une invitation.
Un regard d'une brûlante actualité.
Ce qui est convenable aujourd'hui sera-t-il encore concevable demain ?
Qui peut se dire gardien de toutes nos certitudes ?...
"Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux".
Marcel Proust.
Astrid Shriqui Garain