Avec ce roman au titre évocateur et avec une héroïne au prénom inutilement compliqué comme le font parfois les parents, j'ai au final un avis mitigé.
Léoliam-Liulan est la cadette d'une famille dont les parents débordés font vivre une librairie garage salon de thé ( un truc de fou ) et dont le frère tout aussi débordé du fait d'y travailler est plutôt désagréable avec sa petite soeur. Quand à l'école, elle subit du harcèlement de la part d'un jeune, Gilbert, pour mieux se faire reprocher de vivre du harcèlement de la part de sa meilleure amie. Et ben, c'est pas joyeux!
Je dois dire que je m'attendais à une certaine forme d'humour quand il apparait que Leoliam-Liulan est soudainement investie d'un pouvoir plus ou moins pratique: Réaliser ses propres souhaits formulés à voix haute. Mais je ne m'attendais pas à ce que ça ne soit que cela.
D'une part, je ne suis vraiment pas convaincu que de mettre le fardeau sur les épaules de l'intimidé.e soit exactement ce dont on besoin de se faire dire les élèves victimes de harcèlement. Dans l'histoire, on oriente l'histoire sur le fait que Leoliam s'exprime peu et n'est pas capable de s'imposer, mais pourquoi ne pas insister plus sur le fait que Gilbert est dans le tort? Seule la meilleure amie le formule clairement, mais elle commet l'erreur de le reprocher de manière cinglante. J'ai surtout eu l'impression que c'était à Leoliam de changer plutôt que Gilbert de cesser d'être une petite ordure avec elle. Quand même, une porte en pleine tête, c'est pas rien! Et même une tentative de meurtre un peu plus loin...
Sinon, tout ce bazar de choses improbables qui arrivent, le matelas collé, le chat collant, les parents du harceleur soudainement affectueux envers elle nous mènent vers un raz-le-bol pour Leoliam, qui finit par tout faire figer. Littéralement. Elle prend alors le temps de parler avec quelque uns des personnages, dont sa meilleur amie, qui admet avoir été dure envers elle, en lui demandant de réagir comme elle le ferait elle-même. Bonne chose que ce soit réglé, je ne trouvais pas leur amitié saine du tout. Tous les gens n'ont pas la même personnalité ni le même tempérament, on ne peut donc pas exiger des autres de réagir de la même façon que soit. C'est sans doute la plus belle leçon qu'on peut tirer de cette histoire.
Côté Gilbert, franchement, c'est décevant. Je comprend qu'on a voulu illustrer que les intimidateurs sont en fait très souvent des enfants ayant des enjeux, mais ça n'existe en RIEN d'être des salauds envers les autres. Il s'en tire à bon compte, ce personnage, vaguement punit en étant renvoyé de son école, pour aller voyager dans le monde avec ses parents enfin conscients de son existence, après une visite qui a mal tournée au Musée. Si c'est rocambolesque sans commune mesure, c'est aussi une occasion ratée de parler de l'intimidateur. Il n'a fait aucune prise de conscience et s'en sort à bon compte, grâce aux déboires générés par Leoliam. Bref, si notre héroïne a du subir beaucoup, lui n'aura jamais reçu le juste retours de ces méchancetés gratuites. Parce que oui, c'est purement gratuit.
J'ai souvent du mal avec les romans sur l'intimidation car on ne va pas assez loin dans la prise de conscience, et c'est rarement réaliste. Ici, c'est même complètement improbable. Certes, c'est drôle, mais au fond, pas vraiment pertinent. "Affirme toi", c'est dure à entendre quand on est un enfant écrasé par un estime de soi fragile, un sentiment d'abandon et l'impression de ne pas avoir de valeur pour qui que ce soit. Il me semble que ce n'est pas logique de leur en rajouter une couche, surtout quand les intimidateurs ne sont même pas punis pour leurs comportements égoïstes et puérils, résultat de lacunes dans leur besoins comme dans leur façon de gérer leurs émotions. Je réitère: être expulsé pour aller vivre une vie de rêve avec ses parents, ce n'est pas une punition, c'est un renforcement. Il n'a rien apprit ce personnage, et il restera un petit con.
L'intimidation reste encore une problématique majeure dans les écoles, qui ne semble jamais être traitée comme il faut. La réalité terrain, c'est que les intimidateurs ont le beau jeu. Ce sont souvent des manipulateurs, des lâches qui ne font jamais leurs violences devant les adultes, des enfants mesquins qui essaient de détruire l'estime de soi des autres, plutôt que de bâtir le leur. À leur décharge, ils ont des enjeux, très souvent, mais pas toujours. Certains aiment seulement avoir de l'ascendant sur les autres. Mais au lieu de se demander ce qui cloche chez nos jeunes intimidés, souvent des enfants différents ou trop gentils, on ne devrait pas plutôt expliquer pourquoi l'intimidation est néfaste? Qu'elle détruit des vies? Détruit l'estime de soi, mine la confiance envers les autres, banalise la violence et instaure des relations d'emprise? Et que les adultes ont la fâcheuse manie de banaliser tout ça et de réduire des comportements et mots violents en simples chamaillerie de cours d'école? Et que ce sont même souvent les victimes qui paient en étant relocalisés dans d'autres écoles, perdant tous leurs repères, alors que les intimidateurs s'en tirent à bon compte?
Donc, certes, il existe une dimension chez les enfants où ils prennent confiance en eux pour s'affirmer, mais leur mettre le fardeau d'emblée, comme si c'était à eux de régler le problème, je ne suis pas d'accord. L'estime, ça se construit de bas en haut: Victoires, réalisations, relations saines et auto-affection, on commence avec ça; à travers viendra l'affirmation. D'ailleurs, Loeliam en est un exemple: elle n'a rien des quatre élément mentionnés. Il lui aura fallut attendre d'être au fond du baril pour avoir une révélation, c'est quand même triste. Et pas très réaliste.
Je le mentionne également, mais ce que Gilbert fait subir à Leoliam est tiré exactement de la même source problématique que la tienne: Ils sont tous les deux des enfants avec des parents absents. Curieux que ça n'ait pas donné envie à Leoliam de devenir intimidatrice, non? Bon, je fais du sarcasme là. Ce que je veux surtout mettre en relief que les excuses sont pauvres de la part des intimidateurs, car tous les enfants ont des enjeux, de différentes natures, mais tous ne deviennent pas des bourreaux. En plus, ici, ils ont le MÊME enjeu! Ça me permet de parler ici de la façon de gérer les émotions: Gilbert externalise, Leoliam internalise. L'un fait du mal aux autres, la seconde fait surtout du mal à soi. Donc, pour un enjeu presque identique, l'un choisi de faire du mal à autrui, et l'autre d'encaisser quitte à se faire du mal.
L'absence parental est un enjeu commun dans le monde moderne, car pour beaucoup de parents, tant que les besoins matériaux sont comblés, tout va. En réalité, les besoins psychologiques sont aussi importants, surtout dans la construction de l'identité et pour le maintient d'un bon équilibre en santé mentale. Les enfants ont besoin d'être reconnus, entendus, aimés, respectés et sécurisés. Clairement, Gilbert et Leoliam avaient des besoins non-adressés en la matière, mais si Leoliam voulait surtout ne pas causer de soucis aux autres et s'effacer, Gilbert a eu besoin de se défouler sur quelqu'un de plus vulnérable encore que lui. Non, mais quel petite enflure, je vous jure!
Donc, si certains jeux de mots et la présence de cette petite voix pas toujours pertinente adoucissait le tout, le trouve le fond pas très pertinent et trop culpabilisant pour les victimes d'intimidation. Je vois difficilement comment ça va engager les jeunes sur de réelles réflexions à travers tout ce fantastico-humoristique déjanté qui ne propose guère de solutions. Ça n'a pas besoin d'être scabreux ou lourd comme approche, mais au moins que ça présente les vrais enjeux, qui sont de l'ordre émotionnel, identitaire et social. Et peut-être aussi les difficultés des adultes à traiter le sujet et le manque de ressources autours, mais ça c'est peut-être au lectorat adulte qu'il faudra l'adresser.
Dans les romans sur le sujet, j'avais aimé "Harceler n'est pas jouer", qui pose l'intimidation comme suit: "Dès le moment où le geste ou parole ne fait pas rire la personne qui le reçoit, dès lors, ce n'est plus un jeu et ce n'est plus drôle". Dans ce roman, les adultes interviennent et même expliquent. Pour les ados, "Qu'est-ce que tu fais là, Stella" était aussi très clair sur le sujet et on n'a pas laissé entendre que c'était à Stella de "s'affirmer", juste de dénoncer ses harceleurs, avec de l'aide.
Donc, une lecture décevante pour ma part, qui ne propose guère de contenu pertinent sur l'intimidation sinon de dire que pour s'en sortir, il faut s'affirmer. Ce n'est pas complètement faux, pas c'est à mon sens loin d'être le principal enjeu. J'ai aussi vu que certains conseils et commentaires sont venus d'une classe de niveau primaire, mais honnêtement, c'est difficile de savoir ce qu'on leur doit. Ça doit les avoir fait rire comme histoire, c'est sur, mais quand à savoir ce qu'ils ont retenu ou comprit de l'enjeu, je me demande. Je pense que le conseillerais beaucoup plus comme un roman d'humour que comme un livre orienté sur la compréhension de l'intimidation.
Pour un lectorat intermédiaire du 2e cycle primaire, 8-9 ans+
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